Au lendemain de la Révolution de velours, la dernière chose dont l’Arménie a besoin est la poursuite de nouvelles perturbations sociales. Le soulèvement populaire ayant porté Nikol Pachinian au pouvoir n’a pas encore rapporté de dividendes au peuple, qui n’a pas encore vu de vrais changements dans sa vie quotidienne, mis à part l’euphorie générée par la révolution. Si les attentes ne sont pas satisfaites en temps opportun ou si elles ratent leurs objectifs, l’euphorie pourrait s’avérer bien éphémère.
Les questions intérieures de l’Arménie doivent être évaluées dans leur contexte politique régional, pour le moins déconcertant.
La récente victoire du président Recep Tayyip Erdogan en Turquie voisine a des ramifications bien au-delà de ses frontières. Après sa victoire, Erdogan s’est immédiatement rendu à Bakou afin d’attiser les rêves panturcs du Caucase en Asie centrale. Cette initiative a été reprise et accomplie par Nursultan Nazarbayev du Kazakhstan, qui a réitéré l’appel à l’unité des peuples turcophones. Ironiquement, Nazarbayev est supposé être l’allié stratégique de l’Arménie en raison de son adhésion à l’Union économique eurasienne.
Tous ces évènements ont mené vers une concentration accrue des troupes au Nakhitchevan, où l’état-major turc prévoit exécuter sept exercices militaires consécutifs dans un proche avenir.
Cette situation est aggravée par l’intensification des soupçons de Moscou sur les intentions politiques du nouveau gouvernement arménien. Une délégation russe s’est déjà rendue en Azerbaïdjan et a critiqué l’Arménie pour sa position quant au Karabagh. La tension politique est dans l’air, rappelant les années 90 lorsque le gouvernement du président Levon Ter-Petrosian avait préconisé un changement de politique face à Ankara et que la Russie avait répondu en envoyant des armes et un soutien stratégique à l’Azerbaïdjan. Puis la partie arménienne était revenu à la raison, avait changé sa politique, récupéré les 2/3 du Haut-Karabagh et signé l’accord de cessez-le-feu le 12 mai 1994.
Qui a conscience en Arménie de cette situation flagrante alors que des manifestants réclament un nouveau Catholicos pour la nouvelle Arménie. Leur nombre et leurs appels pourraient être facilement ignorés si ce n’était de la position équivoque du gouvernement vis-à-vis de ces désordres.
Un prêtre mécontent, le père Koryun Arakelian, sanctionné par Sa Sainteté, a rejoint un groupe de manifestants qui se sont d’abord rassemblés dans la cour de l’église Sainte-Anne au centre-ville d’Erévan. Ils ont ensuite envahi Etchmiadzine, lançant des insultes et exigeant la démission de Sa Sainteté Karekin II. Certains sites sociaux se sont également joints au chœur, fabriquant des histoires scandaleuses sur le Catholicos. Ce genre de grossièreté dans les journaux et en ligne est dégradant pour le journalisme en général en Arménie, où les lois sur la diffamation sont toujours une parodie.
Le 17 juillet, le Catholicos de l’Église arménienne a défroqué Arakelian pour « conduite incorrecte ».
Le mouvement contre le Catholicos de tous les Arméniens Karekin II a atteint un point d’ébullition lorsque celui-ci a récemment fait un voyage dans un monastère dans la région de Vayk. Il a visité Gundevank, où un groupe de manifestants a encerclé la voiture de Sa Sainteté et l’a forcé à marcher. En marchant, ils ont commencé à l’insulter, lui lançant des slogans obscènes et lui demandant de démissionner. Ils ont également partagé une vidéo de la manifestation, en demandant au Catholicos de négocier avec eux les termes de son abdication. La scène ne pouvait qu’apporter répulsion à toute personne saine d’esprit. Leurs slogans et leur conduite générale ressemblaient à des comportements de voyous. Rien de plus.
Sur le chemin de retour à Etchmiadzine, Sa Sainteté a été arrêté et entouré par des partisans à Khor Virab, où il leur a donné la bénédiction et a accordé son pardon aux manifestants, en disant qu’ils étaient « toujours nos enfants ».
La police n’a pas agi face à toute cette agitation. Elle est demeurée spectatrice. Plus tard, en visionnant la vidéo, le premier ministre a convenu que la police ne s’était pas comporté comme prévu, mais il a ensuite publié une déclaration peu digne d’un homme d’État. Il a expliqué que la situation n’était pas devenue incontrôlable. Si jamais cela arrivait, le gouvernement agirait, a-t-il dit.
« Néanmoins, » à son avis, « l’affaire n’est pas encore devenue publique et il n’est pas nécessaire d’exprimer la position du gouvernement », a-t-il ajouté.
Sa déclaration la plus révélatrice a été de dire qu’il n’était « pas un expert dans ce domaine et qu’il pouvait donc se tromper ».
Il se trompe certainement lorsque la vie du Catholicos est menacée, et plus encore les quelques individus égarés qui continuent de confondre la position du Catholicos de Tous les Arméniens avec la question locale du Général Manuel Grigorian et sa famille. Le fils de Grigorian, Garen Grigorian, était le maire de la ville d’Etchmiadzine et les manifestants l’ont évincé récemment de son poste.
Un prêtre d’Etchmiadzine, le père Asoghik, a déclaré que si le gouvernement ne protégeait pas le Catholicos, le clergé le fera.
Les postes de Catholicos et de patriarches sont à vie. Un exemple est celui du patriarche Mesrob Mutafian, à Istanbul, qui est médicalement dans un état végétatif, mais rien n’autorise une nouvelle élection au poste de patriarche.
L’élection du Catholicos est le seul cas où la diaspora et l’Arménie se réunissent en conclave ecclésiastique pour choisir le nouveau Catholicos. Par conséquent, il est techniquement le chef religieux de dix millions d’Arméniens. Ces manifestants scandaient que toute la nation arménienne « vous déteste, vous devez démissionner. »
On se demande qui a désigné ces personnes pour représenter « toute la nation arménienne ».
Ce mouvement est conçu par des bourreaux appliqués à semer la discorde entre trois millions d’Arméniens vivant dans la patrie et les sept millions vivant dans la diaspora.
La position nullement à la hauteur du Premier ministre Pachinian reflète cette attitude envers l’ancien régime malgré son engagement à ne pas faire de vendetta. Il associe encore le Catholicos aux crimes du clan du Premier ministre Serge Sargissian, sans lui donner le bénéfice du doute et en réalisant que le Catholicos n’a pas de pouvoir temporel et n’a d’autre choix que de coopérer avec l’administration en charge. Pachinian n’a pas exprimé ce point de vue mais les manifestants l’ont fait.
La plupart des diocèses et des primats à travers le monde ont exprimé leurs préoccupations et ont accordé leur soutien au Catholicos.
Ce mouvement n’est pas seulement dirigé contre le Catholicos, mais également contre la Sainte-Etchmiadzine afin de miner son autorité et la déstabiliser parce que l’Église arménienne est l’une des institutions les plus fortes contribuant à l’unité du peuple arménien.
Depuis le début de ce mouvement de protestation, de nombreuses spéculations ont pointé du doigt la responsabilité des sectes et organismes étrangers, ce que les manifestants ont nié, jusqu’à ce qu’une preuve ait été fournie récemment par un bandit nommé Garen Petrossian, un manifestant qui a publié une vidéo affirmant que son institut « Compass » reçoit un financement de l’« Open Society » pour du travail caritatif. Il semble que l’un de ces « actes charitables » est de miner l’Église arménienne. Open Society est financée par la Fondation Soros, qui engage des agents pour détruire le tissu des sociétés, saper leurs valeurs culturelles, sous prétexte de promouvoir la démocratie tout en déstabilisant les régimes et en les faisant s’effondrer par des soulèvements populaires, comme en Géorgie, ou par des renversements violents du gouvernement, comme en Ukraine.
Chacun peut avoir accès à cette confession.
L’affaire Garen Petrossian comporte d’autres complications et impliquent d’autres forces. Il a récemment été nommé directeur d’un institut éducatif gouvernemental à Gyumri. Un journaliste lui a demandé si le poste lui avait été offert comme récompense pour avoir dirigé le mouvement contre le Catholicos. Il a nié les allégations et a dit que sa nomination était celle d’un « professionnel ». Il reste à savoir quelle est sa profession si ce n’est que de servir en tant qu’agent de l’étranger.
La situation est tendue dans et autour d’Etchmiadzine. Le Saint-Siège a survécu à de nombreuses crises administratives et théologiques. Cette affaire est définitivement une campagne motivée par des considérations politiques.
Le Saint-Siège, pour l’instant, résiste aux assauts. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.