Impasse au Patriarcat d’Istanbul

Les ambitions du sultan Erdogan à vouloir gouverner un empire s’étend de son mépris envers l’OTAN jusqu’à négocier un accord de missiles avec la Russie et diriger les affaires religieuses internes de la minuscule communauté arménienne.
Son message du 24 avril selon lequel aucun Arménien ne devrait se sentir citoyen de seconde classe en Turquie est contredit par ses actes, s’immisçant de manière cruelle dans les élections du patriarche d’Istanbul. Afin de décrier la communauté arménienne, il a délégué la responsabilité des questions patriarcales au vice-gouverneur d’Istanbul – pas même au gouverneur lui-même.
En mars dernier, le Conseil religieux a tenu une réunion et a élu l’archevêque Karekin Bekjian comme locum tenens pour superviser le processus électoral du patriarcat. À son tour, l’archevêque Bekjian a nommé l’évêque Sahak Mashalian comme adjoint. L’élection mettait fin à l’autorité de l’archevêque Aram Ateshian comme vicaire général, poste que ce dernier avait arraché du même conseil en usant de violence.
Les membres du conseil sont redevables envers l’archevêque Aram et la communauté croyait que le conseil ne parviendrait pas à démontrer son indépendance et à voter pour l’archevêque Ateshian. Mais l’inverse s’est produit avec l’élection de l’archevêque Bekjian, démontrant le manque de confiance envers l’archevêque Ateshian.
Puis une visite au bureau du vice-gouverneur d’Istanbul a tout changé. En termes clairs et directs, le vice-gouverneur a déclaré à la délégation en visite, qui comprenait Ateshian et Mashalian, que les élections et règlements n’ont aucune influence, et que seul Ateshian est reconnu comme représentant du patriarcat.
Aucune autorisation n’est requise pour tenir une élection. Ni le Traité de Lausanne ni aucun code de conduite d’un pays civilisé ne permettent un comportement aussi arbitraire et méprisant. Par conséquent, Ateshian est revenu de cette visite victorieux sur son trône. Au même moment, le Catholicos de tous les Arméniens à Etchmiadzine a fait un malheureux faux pas, en envoyant un message de félicitations à l’archevêque Bekjian.
Depuis, la confusion règne dans la communauté arménienne. Une situation créée à dessein par le gouvernement et non par défaut.
Les trois archevêques ont fait des déclarations contradictoires qui indiquent la tension de la situation dans la communauté. Ateshian se pose comme la voix non officielle du gouvernement, ce qui fait peur à certaines personnes. Mashalian semble être un franc-tireur, qui poursuit son animosité envers Ateshian. Bekjian a exprimé son désespoir face à la situation et son intention de démissionner, mais dans une déclaration récente, il a nié cette intention.
D’autre part, les médias turcs jouent sur les controverses de la communauté arménienne. Récemment, un contributeur au journal local Milliyet, Mert Inan, a interrogé l’évêque Mashalian qui a annoncé que « la raison du retard dans les élections n’est pas l’incompétence du leadership, mais simplement qu’Ateshian s’arrime volontairement à son poste, sachant très bien qu’il ne sera pas le gagnant si des élections avaient lieu maintenant. L’église est paralysée et aucune organisation n’est capable de fonctionner. Karekin, élu comme locum tenens, ne peut s’acquitter de ses fonctions, parce que ses pouvoirs lui ont été enlevés. Karekin et moi essayons de calmer la communauté par nos déclarations pacifistes, mais ce silence ne peut durer éternellement. L’élection doit avoir lieu prochainement et le siège patriarcal doit être occupé. »

L’archevêque Bekjian semble agité. Il s’est rendu d’Istanbul en Allemagne puis à Etchmiadzine. Et maintenant, il envisage d’assister à la session prolongée du Conseil spirituel suprême, que le Catholicos a prévu de tenir à Moscou.
Bekjian est membre du Conseil suprême en sa qualité de Primat du diocèse d’Allemagne. En l’absence d’Ateshian à la session, il représentera également le Patriarcat d’Istanbul, par défaut. Cela peut indiquer la préférence d’Etchmiadzine envers Bekjian, alors qu’officiellement le Catholicos maintient une distance égale face à tous les candidats.
Dans le message de Pâques d’Etchmiadzine, le nom de Bekjian a été mentionné reflétant les sentiments généraux dans la communauté d’Istanbul mais contredisant le diktat du gouvernement turc.
La communauté et les deux évêques, en plus d’Ateshian, tentent de s’accrocher à l’autorité d’Etchmiadzine, ce qui s’avérera contre-productif.
Dans sa déclaration, Bedros Shirinoglu, chef de la communauté arménienne d’Istanbul, a demandé à rencontrer le président Erdogan afin de fixer une date d’élection. Shirinoglu espère que lors d’une prochaine réunion de l’organisation caritative Waqifs, présidée par Erdogan, il pourra rencontrer le président pour un bref entretien.
Par ailleurs, la communauté juive envisage également d’élire un rabbin en chef. Mais ils ne font pas face à la même controverse car il n’y a qu’un seul candidat, Rabbi Haleva.
L’archevêque Ateshian règne sur ce chaos et poursuit ses déclarations comme s’il était une autorité gouvernementale. En réaction aux déclarations de Mashalian, il a déclaré au quotidien Zhamank d’Istanbul : « En tant que religieux, nous n’avons pas et ne pouvons pas avoir de problèmes personnels. En tant que deux membres du clergé de haut rang, nous supportons tout le fardeau du siège patriarcal sur nos épaules. …. Je n’évite pas les élections, mais aller de l’avant ne nous soustraira à aucun de nos problèmes. Si nous travaillons en collaboration avec les organismes respectifs, tout ira plus facilement et sans heurt. »
Ateshian sait comme tout le monde que personne ne veut s’opposer aux « organes respectifs. » Bien entendu, toutes les procédures doivent être approuvées par la lourde main du gouvernement. Mais la dernière phrase d’Ateshian contient un code signifiant qu’à l’heure actuelle, les lecteurs comprendront : « Je suis le choix du gouvernement, conformez-vous à cela et abandonnez vos objections. »
Cette réflexion prend de l’ampleur parmi certains leadeurs pragmatiques de la communauté. L’hebdomadaire Agos est manifestement et bruyamment opposé à Ateshian, exprimant les sentiments dominants de la communauté. Les autres journaux et les dirigeants présentent la question d’une manière plus estompée afin de ne pas être surpris.
Le gouvernement turc n’est pas responsable devant la communauté internationale. D’une manière ou d’une autre, il semble avoir décidé d’imposer à la communauté arménienne un homme en tenue religieuse agissant comme un employé de l’État. Nous ne devons pas sembler frustrés si l’inévitable se produit. En attendant, l’autre clergé doit agir de manière plus responsable pour ne pas aggraver une situation déjà surchauffée.
Il est intéressant d’attendre et de voir combien de temps durera cette impasse au Patriarcat d’Istanbul.

 

Traduction N.P.