Kotcharian est-il le baromètre des relations russo-arméniennes ?

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 18 décembre 2018

Alors que les Arméniens sont euphoriques depuis les élections pacifiques du 9 décembre, élections qui ont marqué la victoire de la révolution de velours par les voies législatives, il semble qu’une crise potentielle se prépare dans les relations entre l’Arménie et la Russie.
Lorsque le deuxième président d’Arménie, Robert Kotcharian, a été incarcéré pour la première fois en juillet, puis libéré sur ordre du tribunal, il a reçu un message de félicitations du président russe Vladimir Poutine. Le président russe a ainsi manifestement signalé que le bien-être de Kotcharian lui importait. Le camp du Premier ministre Nikol Pachinian, qui a choisi le même lieu pour envoyer un message à la Russie, semble avoir bien compris que le cas Kotcharian était une affaire intérieure et que l’Arménie, en tant que pays souverain, ne renoncerait pas à sa justice indépendante. Ainsi, Kotcharian a été une nouvelle fois emprisonné, deux jours avant les élections législatives de ce mois-ci.
Certaines personnes ont interprété cette action comme un moyen de susciter la peur avant les élections, tandis que d’autres l’ont associé à une dégradation des relations entre la Russie et l’Arménie. D’autres encore pensaient que Kotcharian méritait sa sentence parce que coupable d’avoir ordonné la mort par balle de manifestants le 1er mars 2008, à la suite de l’élection présidentielle qui a permis à Serge Sargissian d’accéder au pouvoir.
Pachinian et son équipe ne sont pas naïfs; ils savent ce qu’ils font et en ont déjà calculé les répercussions. La preuve en est la fuite de conversations téléphoniques entre les autorités de sécurité et Pachinian au sujet d’un autre cas qui représente une dimension différente affectant les relations entre l’Arménie et la Russie, celui de Youri Khatchatourov.
Khatchatourov était secrétaire général de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC). Son mandat se prolongeait jusqu’en 2022. Il a été accusé le 2 novembre « d’avoir renversé l’ordre constitutionnel arménien alors qu’il était vice-ministre de la Défense lors des manifestations du 1er mars 2008. »
Les responsables ont exprimé leur crainte que le limogeage de Khatchatourov puisse hérisser quelques plumes à Moscou, mais ont mené à bien l’opération. En effet, la réaction a été dure; L’Arménie a été accusée d’avoir porté atteinte au prestige de l’OTSC. Mais c’était aussi une blessure auto-infligée, car le secrétaire de l’OTSC dispose d’un avantage pour observer et examiner toutes les opérations militaires au sein de l’alliance.
Si les conséquences de l’action ont bien été évaluées, le gain net pour le pays n’a pas encore été divulgué.
Le chœur des médias robotisés a applaudi le mouvement comme une démonstration courageuse de l’indépendance du pays.

Pachinian surfe sur une vague de popularité. La population jouit de toutes les libertés promises par le biais de la révolution de velours. Aucun groupe ni aucun média qui enfle son sens de l’infaillibilité ne rendra service ni à Pachinian ni à l’Arménie.
Aujourd’hui, l’Arménie est dans une impasse avec la Russie. Après les élections du 9 décembre, le département d’État américain et les dirigeants européens ont tous félicité M. Pachinian pour sa victoire écrasante. Les normes démocratiques adoptées lors de ces élections ont été unanimement approuvées. Le président Poutine, qui a félicité Serge Sargissian en 2017, dès le lendemain des élections, est jusqu’à présent resté muet. Ce silence résonne plus que tout autre message indiquant que le Kremlin n’est pas satisfait des résultats de l’élection ni n’approuve l’orientation de la politique menée par le gouvernement Pachinian.

Après une semaine de silence, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a déclaré que la Russie était « disposée à engager un dialogue constructif » avec l’Arménie, sans aucun message de félicitations, tandis que Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de Russie, était en visite officielle à Bakou, a informé le président azéri Ilham Aliev « Vladimir Poutine envoie ses salutations les plus chaleureuses. Il valorise votre relation personnelle, ce qui contribue grandement à renforcer notre partenariat stratégique. »
Mme Zakharova a ajouté l’injure à l’insulte lorsqu’on lui a posé des questions sur la réticence de Poutine à émettre un message de félicitations. Elle a répliqué : « Cela ressemble à une femme qui demande à un homme, s’il l’aime ? »
Alors que Moscou maintient un silence assourdissant, il convient de noter que tous les soi-disant alliés stratégiques de l’Union économique eurasienne (EEU) et de l’OTSC ont adopté la même position. Alors que l’OTSC est censée servir de contrepoids à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), ses membres, contrairement à ceux de l’OTAN, se jugent mutuellement ou sont en désaccord sur toutes les questions sauf s’ils décident de s’opposer à l’Arménie à l’unisson.
Alors que le président Poutine semble visiblement troublé et qu’il a décidé d’observer un silence total, un autre méchant est en action: le président biélorusse, Alexandre Loukachenko.
Il semble que cette relique de la guerre froide ait assumé le rôle de chien d’attaque pour l’alliance qui jusqu’à présent, visent l’Arménie. La Biélorussie et le Kazakhstan sont d’ailleurs des alliés stratégiques de l’Arménie, mais ont défendu sans vergogne les intérêts de l’Azerbaïdjan au sein de l’alliance et de la région.
Lorsque l’alliance a tenu l’une de ses sessions à Erévan, le président Noursoultan Nazarbaïev n’a même pas pris la peine d’y assister.
Loukachenko a fait pression sur Pachinian en utilisant des accusations colériques et des railleries vulgaires : « Nous ne sommes pas ceux qui ont créé le scandale lors de l’élection du secrétaire de l’OTSC. Si Nikol Pachinian était un homme sage, nous pourrions régler cette question rapidement. »
Par ailleurs, il a annoncé unilatéralement que la question de l’élection du secrétaire général avait été réglée lors de la session tenue à Saint-Pétersbourg. Stanislav Zas, le candidat biélorusse, devait succéder à Khatchatourov en tant que secrétaire. Pachinian a publiquement réfuté cette déclaration parce que les décisions au sein de l’alliance sont prises par consensus et que l’Arménie n’a pas apporté son soutien à cette élection.

La verbosité de Loukachenko s’est étendue à une variété de questions, loin de l’incarcération de Kotcharian et du sort de Khatchatourov. Il a évoqué le système d’armes appelé système de roquettes multiples Polonez, vendu par le gouvernement de Loukachenko à l’Azerbaïdjan, et il a fait un autre pas en avant dans la recherche d’une solution facile au conflit du Karabagh. Il a reproché à l’Arménie d’avoir refusé une offre « généreuse » qu’il avait faite en 2016 à Erévan, en demandant à l’Arménie de céder cinq régions à l’Azerbaïdjan, sans qu’aucune mesure ne soit prise, mais seulement en assurant que la Biélorussie et la Russie pourraient mettre en place des forces de maintien de la paix pour empêcher l’Azerbaïdjan d’agir sur le reste du Karabagh. Après avoir observé sa conduite politique erratique, la dernière chose que devrait faire l’Arménie est de donner crédit aux assurances de Loukachenko.
L’ambiance est sombre en Arménie. Les commentateurs s’inquiètent des conséquences possibles de cette impasse. Pour le meilleur ou pour le pire, un fait historique a été établi: il est dans l’intérêt de la Russie de garantir l’existence et la sécurité de l’Arménie. Bien sûr, il y a d’autres voix qui plaident en faveur d’une inclination vers l’Occident ou même une adhésion à l’OTAN, oubliant l’expérience géorgienne et le fait que la Turquie est un acteur puissant de l’OTAN. La Turquie occupe 30% de Chypre depuis 1974 sans répercussion. Récemment, elle a saisi des terres de la Syrie et il y a à peine trois semaines, un général turc a menacé de détruire une autre alliée, la Grèce, en quatre heures et l’OTAN n’a pas encore réagi contre ce commentaire.
L’un de ces experts, qui écrit sous le pseudonyme de Sarkis Arzruni (ces personnes sont d’ailleurs appelées des « mangeurs de subventions » en Arménie), a indiqué qu’il n’y avait pas lieu de paniquer. Plutôt que d’attendre et de pleurer sur les raisons pour lesquelles Poutine n’a pas adressé ses félicitations, rassurons-nous et renonçons.
Maintenant que l’Arménie a résolu l’un de ses principaux problèmes intérieurs, une nouvelle et très grave complication de politique étrangère est apparue, qui pourrait saper nos espoirs et la volonté de l’Arménie à accéder à la sécurité et à la prospérité.

 

Traduction N.P.