Les personnes ayant souffert de fatalité sont plus enclines à ressentir la souffrance des autres. Les Arméniens, un peuple qui a enchaîné les calamités tout au long de son histoire est en première position pour l’aide aux autres.
Nous nous apitoyons sur le fait que notre douleur n’a pas été universellement reconnue et nous faisons des comparaisons avec les Juifs, dont l’Holocauste n’est jamais mis en doute. Mais nous oublions un aspect qui fait la différence : partout où les Juifs émigrent, en particulier en Europe et aux États-Unis, ils donnent généreusement à leur propre peuple, ils dépassent également leurs frontières ethniques pour faire du bien aux autres. Aux États-Unis, ils participent à des activités civiques, contribuent et soutiennent les arts et font partie des conseils d’administration d’hôpitaux, d’universités, d’organismes et autres entités qui n’ont aucun lien avec leurs préoccupations ethniques spécifiques. Ces actions méritent plus de visibilité mais cette visibilité est soutenue par beaucoup de dons et d’activisme en dehors de leur sous-ensemble spécifique.
Les Arméniens contribuent, par contre, beaucoup moins aux problèmes de leur propre peuple, moins encore à d’autres causes, et ils s’attendent pourtant à obtenir une reconnaissance identique à celle des Juifs.
Si le téléthon annuel de l’Arménie est un baromètre des dons de charité, nous devrions avoir honte. Non seulement notre générosité collective est misérable mais chaque donateur a son lot de détracteurs qui le traite de drogué, et l’organisation comme étant une fraude. L’Arménie est sur le point de s’effondrer. Le pays est toujours en guerre bien qu’il y ait un cessez-le-feu sur papier. Très peu de monde suggère que la guerre devrait être gagnée dans un effort uni, avant de régler les querelles internes.
Mais il y a de bonnes nouvelles. 100 ans de misère et d’introversion plus tard, certaines personnes ont heureusement commencé à voir la lumière, à faire pour d’autres, tout ce que nous attendons des autres pour nous. Déplacer l’esprit de charité à un niveau supérieur et lui donner une portée universelle.
À cet égard, deux groupes phénoménaux viennent à l’esprit, celui de la Fondation Hrant Dink et l’Initiative humanitaire Aurora.
La Fondation Hrant Dink, fondée à la suite de l’assassinat, à Istanbul, en 2007 du fondateur du journal arménien Agos, Hrant Dink, a récemment reçu le Prix Chirac pour la prévention des conflits. Le président français Emmanuel Macron a participé à la cérémonie de remise des prix. La mission de la Fondation Chirac est de « soutenir les efforts de prévention des conflits, de dialogue entre les cultures et d’amélioration de la qualité de l’accès aux services de santé. »
Alors que nous pleurons depuis un siècle la non reconnaissance du génocide arménien, le visionnaire et défunt journaliste Hrant Dink a profité de l’occasion pour faire du prosélytisme, bien avant de s’attendre à ce que le génocide arménien soit reconnu par la Turquie, et que les droits humains en général soient respectés, ce qui aurait fini par ouvrir la porte à la reconnaissance du génocide arménien. Dink a défendu les droits des Kurdes et autres minorités traitées de manière inhumaine comme les Arméniens l’ont été, il y a un siècle. Le message de Dink a été reçu par les segments éclairés de la société turque qui voulait se débarrasser de la fausse histoire de la république turque. C’est pourquoi Hrant a payé cher les principes qu’il chérissait.
En acceptant le Prix Chirac, Rakel Dink, la veuve de Hrant et le président de la fondation, ont déclaré que l’intention d’établir la fondation avait été « de poursuivre les efforts de Hrant et de tenter de combler le vide laissé dans nos vies pour son combat pour les droits humains, les femmes et les hommes qui se battent au quotidien, sur le terrain, afin que les tensions ne dégénèrent en conflits plus sérieux. »
Il n’est donc pas surprenant que les lauréats du prix Hrant Dink ne soient pas nécessairement arméniens. Sa portée dépasse les frontières ethniques pour atteindre l’humanité en général, pour aider les personnes souffrant dans le monde de la même manière que les Arméniens, tout au long de leur histoire. Les lauréats de cette année sont Eren Keskin de Turquie et Ai Weiwei de Chine.
L’Initiative Humanitaire Aurora est une autre entité qui aborde la douleur universelle qui afflige l’humanité. L’initiative humanitaire Aurora est une idée originale des philanthropes Vartan Gregorian, Noubar Afeyan et Ruben Vardanyan. Beaucoup d’autres personnalités se sont joint au conseil au cours des trois premières années de son existence. Aurora remet chaque année des prix au nom du peuple arménien à ceux qui aident, dans les situations les plus difficiles et les plus graves, en faisant le maximum avec des ressources minimes. Le dernier gagnant est le Dr Tom Catena, le seul médecin des monts Nuba du Soudan, ravagé par la guerre. Selon le site Internet de l’organisme, Catena a été sélectionné parmi plus de 550 candidatures soumises par 66 pays. Comme le suggèrent les organisateurs, les Arméniens recevaient une telle aide, ils sont en mesure, aujourd’hui, de se retourner et de tendre la main à ceux qui sont dans des situations difficiles. Que dans ce processus, ces peuples entendent parler des Arméniens et du génocide arménien est un plus.
Le Prix Aurora pour l’éveil de l’Humanité repose sur le concept de gratitude. Les Arméniens ont été les bénéficiaires de nombreux organismes de charité, notamment la Fondation du Proche-Orient (Near East Relief), qui a aidé de nombreux réfugiés arméniens aux États-Unis. Ruben Vardanyan a défini le rôle de son imitative de la manière suivante : « Ils [les participants] ont vu notre volonté de façonner notre expérience et de l’utiliser pour changer le monde qui nous entoure. Je pense que nous sommes capables de regarder vers l’avenir sans oublier le passé. Et si dans le passé les Arméniens ont connu les horreurs de l’expulsion, de la guerre et du génocide. Ils ont également récemment accueilli des réfugiés dans leur pays. »
De plus, Aurora a tenu ce mois-ci sa première réunion symbolique à l’extérieur de l’Arménie, à Berlin, sur l’état des réfugiés dans le monde, en l’honneur de l’ouverture allemande à accueillir plus d’un million de réfugiés alors que d’autres pays ont fermé leurs frontières.
Il est stupéfiant de constater qu’à l’échelle mondiale, 65 millions de personnes sont actuellement déracinées de leur pays d’origine et dispersées dans le monde. Il est encore plus étonnant que 700 millions de personnes abandonnent aussi leur patrie si l’occasion se présente. Ce chiffre comprend également de nombreux citoyens d’Arménie.
Les organismes humanitaires ne peuvent pas s’attaquer aux causes profondes des tragédies humaines, mais ils peuvent au moins aider à soulager les souffrances de ceux qui vivent des exodes massifs.
Les politiciens et la politique sont responsables de ces catastrophes humaines, que ce soit en Irak, en Syrie, en Libye ou au Yémen, pays autrefois prospères avant d’être envahis et détruits. Et pourtant, personne n’a empêché Omar Bashir de commettre un génocide au Soudan, ni de contrôler l’armée au Myanmar qui a imposé l’expulsion forcée de la minorité musulmane Rohingyas vers le Bangladesh.
Ces deux initiatives lancées par des Arméniens sont le fruit d’une réflexion hors des sentiers battus. Dans le monde globalisé d’aujourd’hui, nous ne pouvons pleurer sur notre douleur au sein de nos seules frontières ethniques. Si nous souhaitons que les autres soient exposés à notre tragédie et unissent leurs forces contre tous les maux, nous devons considérer notre douleur à un niveau universel et la voir comme la souffrance subie par une plus grande partie de l’humanité.
Tel est le message et la vision que ces deux initiatives offrent aux Arméniens et au monde.
Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.