La délinquance en diplomatie

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 17 juin 2021

La guerre a détruit le moral de l’Arménie. Les gens pleurent leurs pertes et le pays tout entier panse ses plaies. Soixante-cinq pour cent du territoire du Karabagh est perdu et Syounik, au sud de l’Arménie est sous la menace de l’Azerbaïdjan mais les partis politiques arméniens semblent avoir oublié les pertes et les risques et se battent plutôt pour ce qui demeure.

C’est une situation étrange pour ces gens qui essaient de surmonter le traumatisme infligé au pays et prétendent que le cours normal de la vie est déjà rétabli.

La campagne électorale est si intense que les partis concernés ont créé leur propre monde et ont perdu de vue les problèmes régionaux qui ont leur propre rythme de développement. Un tel détachement des problèmes régionaux peut conduire à un réveil brutal.

Bien que dans l’ensemble, deux camps principaux (celui du Premier ministre Nikol Pachinian et celui de l’ancien président Robert Kotcharian) s’affrontent, après un examen plus approfondi, la mosaïque peut révéler une image plus nuancée ; il y a 22 partis et quatre alliances mais on pense que tous ces partis finiront par devenir des filiales des deux principaux camps.

Kotcharian a fait alliance avec la FRA et un groupe de Syounik et se caractérise comme axe de retour de l’ancien régime. Ce n’est pas tout à fait vrai, car le premier président du pays, Levon Ter-Petrosian, a tenté de réunir tous les ex-présidents pour freiner l’avance de son ancien disciple, Pachinian, mais ont échoué à se mettre d’accord. Kotcharian a suivi son propre chemin et il semble qu’il a pu se connecter avec des résidents mécontents.

Dans son plus récent débat public, Ter-Petrosian a vu une lueur d’espoir en la participation de tant de partis, qui peuvent faire voler en éclats le vote et ne pas permettre à un seul parti d’obtenir un mandat fort, ce qui rend finalement tous les partis gagnants dans un gouvernement d’union nationale. C’est une manière positive de observer la situation, mais la haine, l’animosité et le langage acrimonieux sont si intenses qu’une perspective de coopération après le 20 juin semble impossible.

Dans cette atmosphère surchauffée et polarisée, une voix de la raison se distingue, celle d’Edmond Maroukian, chef de l’Arménie radieuse. Il semble être un véritable homme d’État qui pourrait être en mesure de mener les camps Pachinian et Kotcharian vers un gouvernement viable. Mais dans le feu de l’action, sa voix est noyée parmi les partisans qui croient avoir le monopole de la vérité.

Pachinian a abandonné son alliance Mon Pas et utilise son propre parti, le Contrat civil. Les sondages internes suggèrent que le camp Pachinian remportera 60 pour cent des voix, mais les meilleures estimations externes suggèrent qu’il pourra à peine atteindre les 30 pour cent, ce qui est toujours une avance sur tous les autres groupes.

Pachinian est à la tête d’un gouvernement boiteux, qui en temps normal, ne pourrait guère répondre aux attentes des citoyens. Mais avec les pertes liées à la guerre et la menace de nouvelles pertes en Arménie même, sa tâche est d’autant plus difficile.

Le principal danger pour le pays demeure le développement régional, mais l’Arménie est saisie dans la fièvre d’une campagne électorale qui ne semble pas remarquer que ces changements façonneront son avenir.

Plus vite la normalité sera rétablie, mieux ce sera parce que le pays doit faire face à ces défis et formuler une politique étrangère cohérente qui pourrait l’aider à traverser ces temps difficiles.

Un développement régional qui pourrait éventuellement aider l’Arménie est le retour de l’Iran en tant qu’acteur majeur dans le Caucase. Téhéran a souffert des sanctions imposées, laissant à la Russie et à la Turquie les mains libres pour faire avancer leurs propres intérêts. Maintenant que l’implacable Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a été délogé du pouvoir, Washington a plus de flexibilité pour faire face à Téhéran. Cela permettra non seulement de réactiver l’accord nucléaire, promesse du président Biden, mais jugera également les actions communes de la Russie et la Turquie dans le Caucase.

Par conséquent, il n’est pas surprenant que l’Iran, qui avait observé une stricte neutralité durant la guerre, ait déployé ses muscles. On s’attend à ce qu’il réponde à la décision de Biden dans ses propres termes ; deux jours avant les élections en Arménie, l’Iran organisera sa propre élection présidentielle. Le président Hassan Rohani, considéré comme libéral, ne peut plus être candidat et le prochain sera peut-être celui qui tirera parti des ouvertures de Washington.

Cependant, l’Iran a déjà tracé sa propre ligne rouge, annonçant qu’il ne tolérera aucun changement de frontière dans la région. Il n’a pas non plus hésité à déclarer que tout changement pourrait le conduire à recourir à la force militaire. Mais plus intéressant encore, Téhéran est prêt à offrir un corridor à l’Azerbaïdjan, sur son propre territoire. Cela finira par soulager la tension sur l’Arménie et saper le plan du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, qui, selon les Arméniens, consiste à imposer le corridor azerbaïdjanais reliant Bakou au Nakhitchevan, via Syounik.

Le Président d’Azerbaïdjan Ilham Aliev est tout à fait conscient de ces possibilités et cherche à imposer à l’Arménie certaines dispositions avant que cette dernière ne se réarme, soutenue par de puissants partisans. Aliev a déclaré avoir offert à l’Arménie un accord de paix qu’Erévan a refusé de considérer et qu’elle va regretter à long terme.

Bien sûr, cette déclaration implique une menace, si l’Arménie ne signe pas un traité de paix aux conditions azerbaïdjanaises, elle finira par faire face à une autre guerre.

Mais qu’y a-t-il dans ce traité de paix que l’Arménie refuse de considérer ? L’Azerbaïdjan reconnaîtrait l’intégrité territoriale de l’Arménie en échange de la reconnaissance par l’Arménie de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, y compris le Haut-Karabagh.

L’Azerbaïdjan a également d’autres raisons de conclure des accords hâtifs avec l’Arménie. Alors que Bakou fait valoir qu’il a résolu la question du Karabagh par la force, la pression est exercée par les coprésidents du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), pour revenir à la table des négociations où certains principes s’appliqueraient.

L’un de ces principes étant le refus d’utiliser la force pour résoudre les problèmes.

L’Azerbaïdjan a déjà violé ce principe. La France, en particulier, est très désireuse de jouer un rôle pacificateur et son parlement a déjà adopté une résolution pour déclarer le Karabagh une entité indépendante.

Au cours de la visite de Pachinian à Paris et à Bruxelles au début du mois, le président français Emmanuel Macon et le président de l’Union européenne Charles Michel ont demandé la libération immédiate et inconditionnelle des prisonniers de guerre arméniens selon les termes de la déclaration du 9 novembre. Ils ont également demandé à l’Azerbaïdjan et à l’Arménie à repositionner leurs forces armées le long des lignes selon les positions du 11 mai.

Le développement le plus intéressant est l’entrée forcée des États-Unis dans le Caucase. Au moment d’écrire ces lignes, nous n’avons pas les résultats de la réunion Biden-Erdogan, mais les propos de Philip T. Reeker, secrétaire adjoint par intérim des Affaires européennes et eurasiatiques, en visite dans la région est sans équivoque « l’Amérique est de retour et jouera un rôle. »

Reeker a réitéré les déclarations de la France et de l’UE concernant les prisonniers de guerre et les questions frontalières.

De plus, les États-Unis ont contribué à la libération de 15 prisonniers de guerre au grand dam de la partie russe, qui a exaspéré ses alliés arméniens en n’appliquant pas les accords du 9 novembre avec l’Azerbaïdjan.

Ces actions ne signifient pas nécessairement que les États-Unis favorisent l’Arménie. C’est plutôt un signal pour Moscou et Ankara que le temps de leurs actions unilatérales est révolu.

Un autre signe que les États-Unis prennent note de la région, le secrétaire d’État Anthony Blinken a de nouveau activé la dérogation à l’article 907 de la Freedom Support Act pour l’aide directe à l’Azerbaïdjan par les États-Unis, spécifiquement conçue pour défendre l’Arménie contre une agression azerbaïdjanaise.

Comme nous pouvons le voir, le Caucase est en pleine transformation et l’Arménie doit profiter des circonstances qui peuvent se présenter. Mais l’establishment arménien en politique étrangère est en train de s’effondrer après la démission ce mois-ci du ministre des Affaires étrangères Ara Ayvazian.

Le protocole voulait que le ministre des Affaires étrangères salue M. Reeker à l’aéroport Zvartnots d’Erévan. Mais l’Arménie n’avait malheureusement pas de ministre des Affaires étrangères. Ce qui est plus inquiétant, c’est que M. Pachinian a lui-même agi comme ministre des Affaires étrangères, alors que la diplomatie n’est pas son fort. Si M. Pachinian aime vraiment l’Arménie, il devrait s’abstenir d’assumer une quelconque mission diplomatique.

De nombreux changements potentiels dans la région favorisent l’Arménie qui a besoin d’une équipe de diplomates de carrière compétents et expérimentés pour assurer sa position dans la région.

Malheureusement, jusqu’à présent, l’Arménie est délinquante en diplomatie. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.