La guerre qui n’a pas mis fin aux guerres

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 15 novembre 2018

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le président des États-Unis, Woodrow Wilson, arborait son manteau de pacificateur. C’est dans ce rôle qu’il a proclamé que la Première Guerre mondiale était la guerre qui mettait fin à toutes les guerres. Malheureusement, les événements ultérieurs l’ont démenti et sa prédiction est devenue saugrenue.
Lors de la récente cérémonie de commémoration du 11 novembre, l’un des orateurs a déclaré que 222 conflits faisaient actuellement rage dans le monde qui affectaient plus d’un milliard d’êtres humains.
Alors que 84 chefs d’État se sont réunis à Paris pour marquer le centenaire de l’armistice qui a officiellement mis fin à la Première Guerre mondiale en 1918, le onzième jour du onzième mois à onze heures du matin, les atrocités des conflits actuels ont pesé dans leur esprit.
Les inquiétudes politiques étaient très visibles, séparant d’une part les puissances mondiales alignées avec le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel qui prônent le patriotisme et d’autre part le nationalisme prôné par les États-Unis. Le président Donald Trump, le président russe Vladimir Poutine et le président turc Recep Tayyip Erdogan ainsi qu’une foule de régimes de droite en train de prendre leurs fonctions en Europe de l’Est.
Les discours étaient émouvants et les cérémonies touchantes. Des messages pour un monde pacifique ont fusé de toutes parts.
De nombreux intervenants ont cité différents chiffres sur les pertes en vies humaines au cours de la Première Guerre mondiale. Les chiffres allaient de 17 à 20 millions. Nous ne savons pas si ces chiffres incluent les 1,5 martyrs arméniens. La guerre a entraîné la disparition des empires ottoman, russe, allemand et austro-hongrois. Ironiquement, les Arméniens des empires ottoman et russe en conflit ont été intégrés dans des armées opposées, ce qui a entraîné une double souffrance.

Les prédictions de Wilson étaient erronées parce que le traité de paix a provoqué l’humiliation des gouvernement et peuple allemands en imposant au pays des sanctions paralysantes et de lourdes taxes, ce qui l’a énormément affaibli. Adolf Hitler a par la suite capitalisé sur la colère et l’humiliation du peuple pour mettre de l’avant sa campagne perverse et a finalement poussé le pays dans une conflagration mondiale encore plus grande qui a sacrifié un nombre encore plus grand de civils. Il a déclenché l’Holocauste qui a conduit à l’extermination de huit millions de personnes, dont six millions de Juifs, et des centaines de milliers de Tsiganes, homosexuels, handicapés mentaux ou physiques ainsi que ceux qui partageaient un point de vue politique différent. Rien qu’en Union soviétique, les pertes se sont élevées à 25 millions, dont 300 000 Arméniens.
Jusqu’aujourd’hui, la Turquie est atteinte du syndrome de Sèvres, alliée de l’Allemagne durant la Première Guerre mondiale, et ce chaque fois que la fin de la Première Guerre mondiale est évoquée. Bien que le président Erdogan ait assisté aux commémorations de Paris, cette commémoration représentait un jour sombre pour son pays, car le traité de Sèvres de 1920, qui a suivi l’armistice, a démembré l’empire ottoman et n’a pas pris en compte la trahison des grandes puissances. Le territoire, qui recouvrait la plupart des périmètres historiques du Traité de Lausanne de 1923, arraché par les kémalistes, a fini par définir les frontières turques actuelles.
Les cérémonies du centenaire n’ont servi qu’à camoufler l’unité, tandis que les courants sous-jacents étaient très visibles, le président Macron accusant le nationalisme d’être à l’origine des conflits. Se sentant puni, le président Trump a ignoré la plupart des activités pour se rendre à une cérémonie à Suresnes, où les victimes américaines de la guerre sont enterrées et leur a rendu hommage tout en réprimandant publiquement le président Macron selon lequel le nationalisme était contraire au patriotisme.

Macron et Merkel promeuvent désespérément le multilatéralisme dans leurs discours, tandis que Trump et les dirigeants de droite de l’ancien bloc soviétique séparent le monde par leur populisme et leur nationalisme débridés.
Le président allemand Frank-Walter Steinmeier a reconnu les atrocités commises par les Allemands contre les Juifs en mentionnant les pogroms de la Shoah et de la Nuit de cristal de 1938: « Par nos actions, nous devons prouver que nous, Allemands, avons vraiment appris du passé et sommes devenus plus vigilants en raison de notre histoire. »
À son tour, la chancelière Merkel a blâmé « l’arrogance allemande » pour avoir causé les deux guerres. Alors que ces deux dirigeants s’efforçaient de s’excuser pour la sombre histoire de leur pays, le président Macron avait choisi la voie inverse en déclarant qu’il était « légitime de rendre hommage au général Philippe Pétain, vainqueur de Verdun en 1916 », devenu plus tard un collaborateur nazi qui a envoyé de nombreux juifs vers des camps de concentration.
L’Arménie a également participé à juste titre à ces cérémonies du centenaire, au cours desquelles le Premier ministre Nikol Pachinian a déclaré: « En effet, nous ne pouvons pas changer cette histoire et nous n’en avons pas besoin. Mais l’histoire peut nous changer et nous permettre d’améliorer notre avenir. »
Les Arméniens ont consenti d’énormes sacrifices au cours de la Première Guerre mondiale, au point de presque disparaître. Pachinian a présenté le génocide arménien et le conflit du Karabagh.
L’année 1914 est l’une des périodes les plus chanceuses de l’histoire de l’Arménie: les engagements ottomans de 1878 (Traité de Berlin) sont sur le point de se concrétiser, alors que les réformes promises dans les provinces arméniennes ont commencé. Mais les dirigeants Ittihadistes ont prédit les dangers de la création d’une Arménie et ont décidé de porter un coup mortel. On ne peut qu’imaginer le potentiel de démembrement de la Turquie actuelle avec les Kurdes et les Arméniens en lice pour leur indépendance.
Mais malgré le génocide et son terrible bilan humain, les Arméniens ont rassemblé suffisamment de forces pour mener deux guerres: à l’est, lors de la bataille de Sardarabad, qui a donné naissance à l’Arménie indépendante, en mai 1918, et la bataille d’Arara, en Palestine, où la légion arménienne a combattu sous le drapeau allié. Cinq mille combattants arméniens qui se sont vu promettre la Cilicie, se sont glorieusement battus pour détruire les fortifications germano-ottomanes à Arara, qui a marqué le début de la fin des empires ottoman et allemand.
Malheureusement, le centenaire de la bataille d’Arara (19 septembre 2018) a été à peine mentionné dans la presse et dans le discours public pour diverses raisons, mais si les Alliés avaient tenu leurs promesses, nous aurions aujourd’hui une Arménie plus viable avec un port sur la méditerranée.
L’armistice de 1918 a été une leçon parlante pour l’humanité mais une occasion historique ratée pour les Arméniens. Edmond Y. Azadian

Traduction N.P.