La manne qui divise et unie la communauté arménienne d’Istanbul

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans le Armenian Mirror-Spectator en date du 3 août 2017

La manne divise et unie la communauté arménienne d’Istanbul, une contradiction en soi. La manne est une compensation remise par le gouvernement turc pour la confiscation des biens de l’église arménienne. La compensation divise la communauté arménienne mais l’unit également.  Les responsables sont divisés par les procédures qui ont éventuellement permis cette compensation, et l’utilisation future de cette richesse nouvellement acquise.
L’indemnisation a été accordée à la petite église décrépite Saint-Nigoghayos dans le quartier de Beykoz, à Istanbul et son conseil paroissial a déjà accepté de constituer un fonds communautaire afin que les sommes profitent à toutes les institutions de la communauté arménienne. En effet, il s’agit d’un acte de solidarité louable, rarement saisi dans la communauté arménienne à travers le monde.
En termes réels, cependant, la compensation n’est en réalité qu’une dette due. Le gouvernement turc a détruit des milliers d’églises, d’écoles, d’hôpitaux et autres institutions arméniennes dans l’histoire de l’Arménie. Contrairement au traité de Lausanne de 1923, qui a donné naissance à la république actuelle de Turquie, les administrations successives ont confisqué avec application d’autres églises, orphelinats et cimetières autour d’Istanbul, afin de tarir la richesse de toute la communauté arménienne.
En fait, le gouvernement turc dirige les conseils paroissiaux de l’église arménienne et autres institutions, les rendant directement responsables devant l’État, contre son approbation, de leur existence et de leur fonctionnement, plutôt que de permettre aux églises de rendre compte au Patriarcat. Durant le règne des sultans, le Patriarcat fonctionnait comme un chef autonome du millet arménien (communauté religieuse légalement protégée).

Ce traitement par la république a laissé le Patriarcat sans aucune autorité légale sur la communauté et, par conséquent, les églises et les organismes communautaires demeurent, par conception, des subalternes de l’état.
Dans cette perspective historique, la compensation accordée représente une proportion infinitésimale de ce qui reste sous la tutelle de l’État.
Il faut être conscient que la compensation actuelle n’a pas été accordée volontairement ; C’est le résultat des pressions de l’Union européenne.
Alors que les espoirs d’Ankara à se joindre à l’Union européenne étaient élevés, certaines lois byzantines ont été assouplies pour permettre au gouvernement de rendre des biens communautaires confisqués aux minorités. L’affaire Beykoz est une longue histoire de batailles légales ; Elle a débuté en 2008 lorsque les lois ont été assouplies. Le conseil paroissial de l’église Saint-Nigoghayos a poursuivi la municipalité d’Istanbul qui avait confisqué la propriété du cimetière adjacente à l’église pour y construire une école publique. La paroisse a remporté le procès devant un tribunal inférieur, mais un tribunal supérieur a renversé le verdict et la bataille juridique s’est poursuivie jusqu’à ce jour.
Maintenant que les relations de la Turquie avec l’UE sont tendues, tout espoir pour des compensations futures est restreint.
Au cours des batailles légales, Varoujan Maghakanian, président du conseil paroissial de l’église Beykoz, s’est adressé à l’administration de l’hôpital Sourp Purgich pour traiter l’affaire. Selon tous les journaux, Maghakanian semble être le véritable dirigeant de l’affaire. Le président de l’administration de l’hôpital est un éminent homme d’affaires, Bedros Sirinoglu, qui se considère comme le probable chef de l’ensemble de la communauté arménienne.
Pensant que ce dernier est une personne influente qui tentait de mettre tous les biens de la communauté à sa portée, le conseil paroissial a décidé de poursuivre l’affaire sous les auspices du Patriarcat.

Étant donné que le Patriarcat ne jouit pas de la possibilité de mener une opération commerciale, le Vakif (Fondation) Hovaguim 1461, vers lequel les fonds ont été transférés, a repris l’affaire.
La compensation a été remise par le ministère de l’Éducation, soit une somme totale de 26 millions de livres turques. Mais seulement 20,6 millions ont été déposés dans le compte de l’église jusqu’à présent. Les frais judiciaires de l’avocat qui a traité l’affaire n’ont pas encore été déterminés. À l’origine, il était convenu de payer 20% des sommes reçues, réduites ensuite à 14%, comme l’a négocié le vice-président du conseil d’hôpital, Herman Balian. Il est évident qu’une certaine inexpérience a influé, parce que l’avocat, Ali Ejbeloglu, a déposé la compensation sur son propre compte puis l’a transféré au compte de l’église, après en avoir déduit ses honoraires. Il a promis d’émettre un reçu ou une déclaration, mais il est introuvable. Il serait à la pêche aux Maldives !
La compensation totale de 20,6 millions représente plus de 6 millions de dollars. Un montant similaire est également attendu de la part de la municipalité d’Istanbul, portant le total à 11 ou 12 millions de dollars.
Une triade est en train de se former qui comprend Hovaguim 1461, le Conseil paroissial de l’Eglise de Beykoz et VADIP (une confédération des fondations de charité arménienne) dirigé par Sirinoglu. Ce dernier jouera un rôle secondaire dans le futur de l’ensemble du processus. Il a été ouvertement critique dans la presse jusqu’à présent. À son avis, la communauté perd 2 millions de livres turques, et il a exprimé un doute sur la compétence des personnes impliquées dans la gestion des actifs. Actuellement, le plan semble être d’acquérir des propriétés locatives afin de générer des revenus pour les besoins de la communauté.
On s’attend également à ce que les valeurs de l’immobilier augmentent au cours des années.

La communauté a une perspective autre qu’historique face à cette compensation. Il s’agit pour elle d’un cadeau, une initiative inattendue qui permet d’aider toutes les institutions communautaires.
Une fois retirée la question de son contexte historique, les dirigeants de la communauté seront reconnaissants envers le gouvernement du Président Recep Tayyip Erdogan, qui, contrairement à ses prédécesseurs, a pris l’initiative de rendre un bien communautaire aux Arméniens, pas nécessairement avec un sentiment de charité ou de justice, mais comme un stratège politique pour se conformer aux règles de l’Union européenne.
Les motivations du gouvernement ne concernent pas les dirigeants de la communauté arménienne tant que les fonds permettent à la communauté d’avoir plus de pouvoir.
M. Sirinoglu, qui espérait indirectement voir l’archevêque Aram Atessian prendre le devant de la scène aux élections patriarcales, semble avoir été marginalisé. Il a également perdu de son emprise dans le cas actuel, ce qui l’a mis en colère.
Le temps peut guérir les failles de la gouvernance si des résultats positifs sont générés.

Si le modèle d’Istanbul réussit, il pourra aussi servir d’exemple d’altruisme pour d’autres communautés, un altruisme que toutes les communautés arméniennes doivent pourvuivre dans le monde cruel du globalisme. By Edmond Azadian

Traduction N.P.