La mission impossible de Pachinian à Moscou

Il existe un bras de fer entre Moscou et Ankara, et l’Arménie est prise entre les deux.

La guerre de 44 jours a été nécessaire pour que la Russie réinstalle sa force militaire en Azerbaïdjan. Il était également nécessaire que la Turquie donne en échange une victoire à l’Azerbaïdjan, pour acheter sa souveraineté.

La Turquie recherchait depuis longtemps une telle occasion. Le président Recep Tayyip Erdogan est plus ravi de cette victoire que le président Ilham Aliev parce qu’un rêve turc historique se réalise. C’est pourquoi M. Erdogan a évoqué, lors du défilé de la victoire, Enver Pacha qui avait tenté de construire il y a un siècle un empire pantouranien. Désormais, un obstacle à cette feuille de route a été levé avec la déclaration signée par le Premier ministre Nikol Pachinian et les présidents Vladimir Poutine et Aliev, le 9 novembre 2020, dont la pièce maîtresse est la construction d’une route entre l’Azerbaïdjan continental et le Nakhitchevan à travers la pointe sud de l’Arménie.

La déclaration n’a pas encore été pleinement interprétée. Les parties turque et azerbaïdjanaise affirment que la route devrait fonctionner sous des droits extraterritoriaux, supervisés par les forces de maintien de la paix russes, tandis que l’Arménie insiste sur son utilisation normale lorsque toutes les voies de transport seront débloquées pour toutes les parties.

La Turquie contrôle l’Azerbaïdjan militaire et politiquement, ce qui à long terme se transformera en un contrôle économique. Ankara n’a pas tardé à déployer les conduites de pétrole et de gaz azerbaïdjanaises aux pays des Balkans et au reste de l’Europe, sevrant progressivement ces pays de leur dépendance envers l’énergie russe.

Ainsi, Moscou, en plus de son aventure militaire en Azerbaïdjan, tente d’inciter ce dernier à se joindre au bloc de l’Union économique eurasienne (UEE). Techniquement, l’Arménie peut opposer son veto à l’adhésion de l’Azerbaïdjan à ce club économique, mais dans les circonstances actuelles, alors que l’Arménie est devenue l’opprimée, la Russie ne se souciera pas de l’opinion d’Erévan.

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Ce traitement s’est même manifesté dans les protocoles accordés à Aliev et Pachinian lorsqu’ils sont arrivés à Moscou pour le sommet tripartite du 11 janvier.

Une énorme appréhension régnait en Arménie quant à ce voyage de Pachinian à Moscou pour rencontrer Poutine et Aliev, avec la crainte justifiée que Pachinian puisse être forcé de signer un autre accord sans aucune consultation, conduisant l’Arménie à éprouver des problèmes encore plus profonds, en plus de ceux déjà infligés par la déclaration du 9 novembre.

Mais il s’est avéré que la réunion avait pour but de mettre en place un mécanisme de mise en œuvre des termes de la déclaration du 9 novembre.

Accueillant ses deux invités, le président Poutine a exprimé sa satisfaction de voir que les principes de la déclaration du 9 novembre étaient appliqués sous la supervision des forces de maintien de la paix russes et que 48 000 réfugiés arméniens déplacés du Karabagh avaient pu retourner chez eux.

Pour mettre les choses en perspective, avant la guerre, le nombre d’Arméniens vivant au Karabagh était de 150 000.

Et la Russie investit pour ramener une vie à la normale dans l’enclave amputée, a ajouté Poutine.

La réunion a convenu de travailler pour « débloquer toutes les routes économiques et de transport de la région ».

À cette fin, les parties ont convenu de former un groupe de travail comprenant les vice-premiers ministres des trois pays.

Un calendrier a été fixé pour que le Groupe de travail tienne sa première réunion le 30 janvier et soumette un plan pour « la mise en œuvre et la sécurité du trafic international effectué par les Républiques d’Azerbaïdjan et d’Arménie » avant le 1er mars.

Un protocole pour la mise en œuvre du programme a peut-être été signé à Moscou, mais cela ne signifie pas grand-chose en soi, car les problèmes fondamentaux demeurent non résolus.

Avant son voyage à Moscou, le président Aliev a fait des déclarations provocantes, à l’occasion de la visite du ministre arménien des Affaires étrangères Ara Aivazian au Karabagh. Aliev a sollicité à tous les visiteurs du Karabagh de demander d’abord l’autorisation de Bakou. Il a même menacé de tuer par des drones tous les politiciens en visite. Les soldats de la paix russes ont gardé le silence.

Si les routes seront débloquées et surveillées par les soldats de la paix russes, pourquoi cette menace ? Aliev a annoncé que très bientôt, des routes seront construites à travers l’Arménie pour relier le trafic entre l’Azerbaïdjan continental et l’enclave du Nakhitchevan.

Il a également été signalé que des avions turcs violaient maintenant l’espace aérien arménien pour relier la Turquie à l’Azerbaïdjan. Si le point 8 de la déclaration n’a pas encore été mis en œuvre, pourquoi y a-t-il cette précipitation unilatérale à profiter de ses dispositions ?

A la suite à la signature de ce nouveau document le 11 janvier, les trois dirigeants ont fait des déclarations contradictoires.

Poutine a exprimé sa satisfaction que les deux parties respectent les termes de la déclaration. Aliev a annoncé que le problème était derrière lui et qu’il était temps d’ouvrir les routes et de développer des entreprises dans la région. Pachinian s’est plaint que la question des prisonniers de guerre n’avait pas encore été résolue, rendant impossible l’application des autres conditions.

En effet, ces routes ne peuvent être construites sur les cendres de martyrs arméniens.

Quant aux prisonniers de guerre arméniens, l’Azerbaïdjan les retient en otages et entrave le travail de recherche et d’identification des soldats morts pour causer plus de douleur au public arménien, sachant pleinement que ne pas libérer les prisonniers de guerre entraînera une déstabilisation supplémentaire en Arménie.

Il a également commencé à qualifier les prisonniers de guerre arméniens de terroristes pour trouver une excuse – ou une justification – pour ne pas les libérer, ou pire.

Les discours qui ont suivi la signature du document donnaient l’impression d’un dialogue entre trois sourds.

La Russie estime qu’elle a créé des faits sur le terrain et c’est définitif. Le président Poutine a annoncé à maintes reprises que le statut du Karabagh serait déterminé à une date ultérieure. Pachinian a rappelé aux personnes présentes la question du statut, mais il n’y a pas eu de réponse des deux autres parties.

Si l’un des principes du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a été respecté, à savoir la restauration de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, alors il est temps d’aborder l’autre question, celle de l’autodétermination du Karabagh. Le futur c’est maintenant.

Poutine a fait des déclarations du bout des lèvres au groupe de Minsk, convaincu que les coprésidents suivront ses actions. Il ne semble pas que cela se produise.

Le président français Emmanuel Macron s’est penché sur la question au nom des deux autres coprésidents, alors que les États-Unis sont pris dans leur propre débâcle intérieure.

Avant la réunion de Moscou, M. Macron avait pris l’initiative d’appeler Poutine et Pachinian, déclarant que les aspects politiques du problème du Karabagh devaient être abordés.

Une annonce publique du ministère russe des Affaires étrangères indique que Macron et Poutine ont discuté des aspects humanitaires de la guerre, sans mentionner les aspects politiques.

S’adressant au président Poutine, Macron a déclaré qu’en plus des questions humanitaires, le groupe de Minsk devrait également aborder la solution politique du problème et lui a rappelé les résolutions adoptées par les deux chambres de la législature française reconnaissant l’indépendance du Karabagh. Il a également précisé que sous aucune condition, des solutions unilatérales ne seraient acceptées par les autres coprésidents du groupe de Minsk.

Maintenant que la France a adopté avec force une position pro-arménienne, quel diplomate habile pourrait tendre la main à la France et étendre la position du pays à l’ensemble du Groupe de Minsk ?

Après sa réunion à Moscou, Pachinian prévoyait rencontrer des chefs d’entreprise arméniens à Moscou. Au lieu de cela, il a fait face à une manifestation hostile devant l’ambassade d’Arménie à Moscou et est retourné en Arménie les mains vides pour affronter des groupes encore plus hostiles.

C’était donc une mission impossible pour Pachinian.

En plus des 17 partis, le président Armen Sarkissian a annoncé qu’il prévoyait conduire l’Arménie vers la quatrième République, dans l’espoir de former un cabinet de transition de technocrates.

Les appels à la démission se sont multipliés pour Pachinian et son équipe car ils ont démontré que résoudre les problèmes actuels de l’Arménie dépassait leur capacité. Ils manquent de diplomatie mais leur arrogance correspond à leur ignorance. Contre tous les appels à la démission, ils sont restés fidèles à leur position selon laquelle seules des élections anticipées peuvent les déloger de leurs fonctions, avec la ferme conviction qu’ils contrôlent l’appareil d’État et peuvent gagner les élections comme l’ont fait les anciens dirigeants Serge Sargissian et Robert Kotcharian.

Les 17 partis comprennent le Parti républicain et la Fédération révolutionnaire arménienne, dont les archives sont bien documentées. De plus, la machine de propagande de Pachinian les a suffisamment diabolisés pour les discréditer.

Le président Armen Sarkissian semble être la seule alternative viable, mais il est également victime de la machine de diffamation du gouvernement.

La société arménienne est gravement polarisée et les réseaux sociaux font des heures supplémentaires dans le but d’aggraver la situation.

Le gouvernement et l’opposition ont tous deux leurs réseaux sociaux bien huilés pour amplifier une campagne de salissage envers leurs opposants, au prix de l’érosion de la confiance du public.

Si le compte Twitter du tout-puissant président Trump peut être réduit au silence pour prévenir une insurrection, pourquoi l’Arménie ne peut-elle pas faire de même pour réduire les tensions et créer une atmosphère plus positive pour le discours public ?

Ce n’est qu’après avoir atténué cette rhétorique que le public pourra soigner ses blessures, se ressaisir et penser à l’avenir périlleux de l’Arménie, avant le leur.

Jusque-là, l’Arménie fait face à sa propre mission impossible.

 

Traduction N.P.