À la suite de l’effondrement de l’Union Soviétique, alors que l’Arménie est devenue indépendante, elle considérait ses frontières sécuritaires en raison de son alliance militaire avec la Russie. Et Moscou, en effet, inspirait confiance à ses alliés du « proche étranger », se considérant comme le maître du Caucase. Il était également très commode pour Moscou que l’Iran subisse des sanctions occidentales, cherchant ainsi ailleurs des amis et des alliés.
La Turquie et l’Azerbaïdjan ont tous deux des plans ambitieux dans la région. L’objectif de la Turquie est de creuser un fossé entre la Russie et la Chine, projetant sa puissance afin de finalement placer sous son emprise toutes les nations turques d’Asie centrale. L’Azerbaïdjan, en revanche, a d’autres projets d’expansion, en intégrant le sud de l’Azerbaïdjan, soit le nord de l’Iran – et « l’ouest de l’Azerbaïdjan » soit l’Arménie.
Malgré leurs réticences envers les deux pays, les puissances occidentales et Israël voient ces plans d’un bon œil, voire les encouragent.
La Turquie n’était pas un facteur ou une préoccupation importante dans la région jusqu’à ce que le président Recep Tayyip Erdogan révèle ses ambitions pantouraniques et impériales et commence à tester la force et la détermination de la Russie à tenir bon. Et comme toutes les confrontations entre Ankara et Moscou l’ont démontré depuis sur les champs de bataille de la Syrie, de la Libye et au Karabagh, la Russie a cédé à la poussée de la Turquie et s’est installée pour limiter les dégâts. Cependant, la Turquie accentue ses actions en armant l’Ukraine de ses drones Bayraktar et en remettant en cause la légitimité de la présence de la Russie en Crimée.
Le porte-parole de M. Erdogan, Ibrahim Kalin, a même menacé la Russie d’imploser en réveillant les 25 millions de musulmans qui y vivent. L’administration de Vladimir Poutine a maintenu un silence inhabituel, prouvant la potentielle véracité de cette menace.
Outre les 25 millions de musulmans, il semble que le cercle de Poutine est également redevable à l’entrée du pétrole d’Azerbaïdjan à Moscou. Selon Lragir.am, le dictateur azéri Ilham Aliev a canalisé 10 milliards de dollars US pour soudoyer des acolytes de Poutine par l’intermédiaire d’un ami du président russe, Ilham Rahimov, pour assurer la défaite de l’Arménie durant la guerre.
Ces nouvelles pourraient n’être que des rumeurs, si ce n’était des sommes offertes par Aliev aux anciens dirigeants arméniens Robert Kotcharian et Serge Sargissian (16 milliards $ US) pour régler le problème du Karabagh.
Le fait que la Russie n’ait pas rempli ses obligations au titre de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) envers l’Arménie peut s’expliquer par deux raisons ou une combinaison de celles-ci; Premièrement, le pot de vin d’Aliev a joué un rôle, ou deuxièmement, la Russie a peur d’une confrontation avec la Turquie qui pourrait exposer à des fissures dans sa structure de pouvoir.
Depuis le 12 mai, les forces azerbaïdjanaises ont traversé les frontières arméniennes de Syounik et Gegharkounik et elles y ont séjourné en dépit de fortes protestations de l’Union européenne, des États-Unis, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et autres puissances. Elles ont augmenté le nombre de leurs soldats sur le sol arménien de 300 à 600, puis à 1 000. Elles ont également tué un soldat arménien et capturé six autres juste devant les forces de maintien de la paix russes. La Russie a pris des engagements envers le tandem Turquie-Azerbaïdjan et ces engagements enhardissent la main de Bakou.
Dans la perspective du prochain sommet du président Joe Biden et de Vladimir Poutine à Genève le 16 juin, Erdogan a riposté en disant se rendre à Chouchi le même jour, très probablement pour avertir la Russie de ne pas céder et ainsi de ne pas s’écarter de leur accord initial.
Le Premier ministre Nikol Pachinian semble être tout aussi impuissant : son appel à l’OTSC n’a reçu aucune réponse et, dans un geste désespéré, il a proposé de déplacer les forces arméniennes et azerbaïdjanaises à des positions équidistantes et a invité la Russie ou d’autres observateurs internationaux à surveiller le processus de délimitation et de démarcation à la frontière. L’OSCE a immédiatement répondu, au grand dam de Moscou. D’autre part, les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne (UE) sont en route pour le Caucase afin de se rendre à Erévan, Tbilissi et Bakou.
Toute attention extérieure à la région inquiète certainement à la fois Moscou et Ankara et place leur arrangement mutuel sous la loupe.
Pachinian, très prudent pour ne pas outrepasser les instructions de Poutine, mais voulant répondre à la pression intérieure, a décidé de prendre une mesure audacieuse et a rendu visite au président Emmanuel Macron à Paris et à Charles Michel, président de l’Union européenne à Bruxelles, le 1er juin, pour découvrir la substance de leur offre d’aide à l’Arménie afin de résister aux pressions azerbaïdjanaises.
Cette pression internationale a aussi ses ramifications sur le dôme des politiques en Arménie, au cours de la campagne préélectorale actuelle.
Vingt-six groupes sont inscrits aux élections législatives : 22 partis politiques et quatre alliances.
Ce qui est significatif, c’est qu’au vu de la réticence de la Russie à respecter ses obligations conventionnelles envers l’Arménie, des forces politiques anti-russes se sont formées et se font entendre.
Certains d’entre eux sont de véritables forces politiques, à l’instar de Tigran Khzmalian, président du Parti européen, qui est un poids léger dans les structures politiques arméniennes.
Les groupes pro-occidentaux importants sont l’Alliance Babadjanian-Shirinian, l’Axe populaire, représenté par les poids lourds Varoujan Avetissian et Karekin Choukaszian, ainsi que l’Arménie constructive d’Andreas Ghougasian.
Ce que ces voix démontrent, c’est que l’Arménie dispose d’autres moyens sur lesquels compter. Mais il n’est pas réaliste que ces groupes reçoivent beaucoup de soutien de l’électorat qui a toujours été biaisé en faveur de la Russie. D’expérience, ils se souviennent aussi que la Russie ne peut pas être très indulgente si l’Arménie tente de trop s’éloigner de sa sphère d’influence, comme cela est arrivé avec la Géorgie, qui a été amputée au cours de sa guerre de 2008 contre la Russie.
En plus des jeux de puissance internationale et des désordres domestiques, Pachinian doit lutter contre les tiraillements guerriers d’Aliev. La présidente de l’Alliance Mon Pas, Lilit Makunts, insiste sur le fait qu’aucune négociation n’aura lieu avec l’Azerbaïdjan tant que cette dernière ne retirera pas ses forces du sol arménien. Le vice-premier ministre Mher Grigorian, qui travaille avec ses homologues russes et azerbaïdjanais à l’application de la déclaration du 9 novembre en restaurant les routes et les communications, et Pachinian lui-même, insistent sur le fait qu’il n’y a aucune discussion quant à un corridor de Zangezour à l’Azerbaïdjan, tandis que le président Aliev insiste, lui, sur le fait que l’ Arménie ne peut en aucun cas renoncer à son accord d’ouvrir un tel corridor à travers Zangezour, corridor qui serait contrôlé par les forces russes.
Au cours d’une visite à Bakou par le ministre des Transports et des Infrastructures de Turquie, Adil Karaismayiloglu, le Président Aliev a présenté un rapport sur les travaux en cours et en dépit de tous les démentis de l’Arménie, a déclaré: « Comme vous le savez, à une première étape après la guerre, l’Arménie a exprimé sa protestation sur la question. Cependant, j’ai été récemment informé que la partie arménienne analysait déjà correctement les problèmes liés à l’inévitabilité de ce corridor et il y a de bons résultats. »
Le démenti de Pachinian est compréhensible, car si la déclaration d’Aliev s’avère réelle, cela pourrait avoir un impact négatif sur les résultats des élections alors que le parti de Pachinian demeure favori.
Mais lorsque la poussière retombera, verrons-nous peut-être les déclarations d’Aliev être malheureusement vraies.
À la suite de la guerre dévastatrice et des troubles qui font rage dans la région, il est insensé d’organiser des élections anticipées pour prouver que Pachinian est toujours en avance en termes de popularité. Mais la participation de tant de partis et d’alliances a le potentiel de division des votes pour les camps de Pachinian et Kotcharian, en ne permettant pas à un groupe d’engranger un avantage écrasant, ce qui peut éventuellement conduire vers une unité nationale, garantie à venir pour tous ces événements catastrophiques. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.