L’un des problèmes primordiaux qui affligent l’établissement de la politique étrangère de l’Arménie est la stagnation de la diplomatie du pays qui l’a conduit à l’isolement. L’Arménie n’a certes pas de véritables amis et alliés de confiance, comme l’a prouvé la guerre de 44 jours.
La vague récente d’initiatives diplomatiques indique que l’Arménie essaie de briser ce cercle d’isolement ; Ainsi, la visite du Premier ministre Nikol Pachinian à Vladivostok pour participer au 7e Forum économique oriental, les consultations du ministre des Affaires étrangères Ararat Mirzoyan avec son homologue russe Sergueï Lavrov à Moscou et la visite du ministre de la Défense Souren Papikian au Pentagone ont tous suscité l’espoir que la communauté internationale indique enfin qu’une mesure de coopération est en cours. Mais il est important d’évaluer chaque initiative pour savoir si elle est conforme à l’agenda global de la politique étrangère ou si elle est en conflit avec les autres. En fait, y a-t-il une jonction entre les politiques ou un conflit ?
La réunion de Pachinian avec le président russe Vladimir Poutine à Vladivostok et la rencontre de Mirzoyan avec Lavrov sont considérées comme cérémoniales au cours desquelles la partie arménienne a glorifié les relations russo-arméniennes et fait l’éloge du rôle des forces russes de maintien de la paix au Karabagh, peu importe que la force ait été inefficace dans l’instauration d’une véritable paix dans la région et dans la prévention de la prise de contrôle par l’Azerbaïdjan de terres arméniennes et au Karabagh, comme, par exemple, Sev Lij en Arménie et Parukh et Kara-Klukh au Karabagh. Encore une fois, comme nous l’avons vu le 13 septembre, la Russie n’a pas dissuadé une attaque azerbaïdjanaise à grande échelle contre l’Arménie, mais a plutôt revendiqué le mérite d’avoir conclu un cessez-le-feu, qui est malheureusement observé au gré du gouvernement azerbaïdjanais.
La principale mission de paix que les casques bleus russes ont menée a été d’évacuer la population arménienne de Berdzor, Aghavno et Sus, des zones du Karabagh qui ne devaient même pas être remises à l’Azerbaïdjan selon la déclaration trilatérale du 9 novembre 2020.
La visite de Papikian n’était pas au plus haut niveau. Les visites des anciens ministres arméniens de la Défense à Washington se sont terminées par une rencontre avec leurs homologues. Souren Papikian a été reçu au Pentagone par le sous-secrétaire américain à la Défense pour la politique Colin Kahl, tandis que le secrétaire à la Défense Lloyd Austin est demeuré injoignable.
L’ordre du jour de cette réunion consistait à « discuter de la situation sécuritaire en Ukraine, des défis auxquels est confrontée la paix et la stabilité du Caucase du Sud et des moyens de renforcer la coopération de défense américano-arménienne ». Comme nous pouvons le constater, il n’y a pas eu de percées, ni de réalisations substantielles lors de la réunion ci-dessus, à propos de laquelle le ministère arménien de la Défense a déclaré que Papikian et Kahl ont convenu d’intensifier la coopération bilatérale dans les opérations de maintien de la paix ainsi que dans l’éducation et la médecine militaires. Bien sûr, il ne pouvait être question de fournir à l’Arménie du matériel militaire, puisque l’Arménie fait partie d’un bloc militaire concurrent, l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), dirigée par la Russie.
Bien que le ministre arménien de la Défense soit revenu les mains presque vides de Washington, la réunion elle-même a suffi à ébouriffer quelques plumes au Kremlin. Cette rencontre, ainsi que le sommet du 30 août à Bruxelles entre le président de l’Union européenne Charles Michel, Nikol Pachinian et le président azerbaïdjanais Ilham Aliev, avaient énormément irrité Moscou. Ce sommet devait avoir lieu à Moscou, mais à la dernière minute, il a été déplacé à Bruxelles, faisant presque pleurer la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, lorsqu’elle a annoncé que la paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ne pouvait être obtenue qu’à Moscou et nulle part ailleurs.
L’un des plus éminents commentateurs anti-russes en Arménie, Hovsep Khourchoudian, a une vision totalement différente de la visite de Papikian, voulant que « le processus de libération de l’Arménie de la Fédération de Russie ait commencé et ne pouvait se faire sans le soutien de l’Occident. »
Khourchoudian ouvre une boîte de Pandore en déclarant que l’Arménie a l’intention d’acquérir des armes de fabrication occidentale. Il dit également que « l’élimination des ‘agents’ sous influence russe a déjà commencé dans les forces armées du pays ».
Pendant longtemps, l’administration actuelle a cherché des moyens de se soustraire à la responsabilité de la récente défaite et de trouver activement des boucs émissaires. Une théorie avancée était que les armes russes en possession de l’Arménie et la doctrine militaire russe s’étaient révélées inefficaces contre la machine de guerre de type OTAN et la doctrine militaire occidentale adoptées par la Turquie et l’Azerbaïdjan.
Conformément à ces arguments, les héros militaires du Karabagh, les généraux Jalal Haroutiounian et Michael Arzoumanian, ont été accusés d’avoir mal géré la guerre et seront jugés. Khourchoudian, lorsqu’il fait référence aux « agents russes », parle de ces héros et d’autres militaires de l’état-major qui ont été formés à Moscou.
La Russie est si profondément ancrée dans toutes les facettes de la vie arménienne, y compris ses forces armées et sa sécurité, qu’il serait trop risqué de rechercher une libération complète et donc une confrontation avec Moscou, en particulier dans l’ombre des récentes défaites russes en Ukraine.
Un autre aspect qui a commencé à inquiéter tant Bakou que Moscou est le rôle plus affirmé des États-Unis dans le Caucase, comme en témoigne la nomination d’un diplomate de carrière de haut rang, à savoir Philip Reeker, à la coprésidence américaine du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité de la coopération en Europe (OSCE). En plus de servir de coprésident américain, Reeker deviendra le négociateur en chef de la délégation américaine aux discussions internationales de Genève.
Cette nomination inquiète Bakou, qui a mis en garde les États-Unis contre la réanimation du groupe de Minsk de l’OSCE, insistant sur le fait que le statut du Karabagh a été déterminé par la force au cours de la guerre de 2020. Dans ce dossier, Moscou est au diapason de Bakou, considérant le processus de l’OSCE moribond, alors que le seul espoir pour le peuple du Karabagh est dans la mise en œuvre des principes de l’OSCE, qui inclura éventuellement une réprimande à l’Azerbaïdjan pour avoir violé l’un des trois principes de l’Acte final d’Helsinki, interdisant la résolution de tout conflit par l’usage de la force.
Bien que la diplomatie arménienne semble être en mouvement, à en juger par les résultats, les diplomates n’ont fait que patiner.
Au moment d’écrire ces lignes, les forces azerbaïdjanaises ont lancé une attaque de quatre volets contre le territoire souverain de l’Arménie, ciblant les régions de Sotk, Kapan, Jermouk et Vardenis, faisant au moins 49 victimes et de nombreux autres blessés.
L’Azerbaïdjan est censé mener des négociations avec l’Arménie afin d’atteindre l’objectif de signer un traité de paix, mais cette attaque surprise est un signe d’impatience et de détermination à signer ce traité à ses propres conditions, compromettant l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Arménie.
Le silence cynique de la Russie indique qu’elle n’est pas un spectateur innocent. Au lieu de cela, elle a tacitement encouragé l’Azerbaïdjan à forcer l’Arménie à faire appel à Moscou pour obtenir de l’aide au lieu de Washington, où Papikian s’est rendu, au grand dam des décideurs politiques du Kremlin.
De nombreuses voix internationales ont appelé à la retenue, notamment l’Union européenne, l’OTAN et le Département d’État américain, mais aucune d’entre elles n’a fait de distinction entre l’agresseur et la victime. Ironiquement, la seule condamnation unilatérale est venue de M. Çavuşoğlu, qui a blâmé l’Arménie pour le conflit.
L’OTSC, dont l’Arménie est membre, a tenu une réunion d’urgence et a promis de publier ses conclusions après délibérations, alors que l’Arménie compte ses morts.
Ayant rencontré l’ancien président, Levon Ter-Petrosian, le 12 septembre, avant le dernier attentat, pour avoir son point de vue sur la situation actuelle, il m’a semblé complètement dévasté. Il n’a pas hésité à critiquer à la fois le gouvernement actuel et les chefs de l’opposition, les tenant pour responsables du gâchis actuel.
Lorsqu’on lui a demandé comment il allait, sa réponse a été : « Y a-t-il un Arménien quelque part dans le monde en ce moment qui se porte bien ? »
Cela dit tout.
Traduction N.P.