La Russie et la Turquie pressurent l’Arménie

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 24 août 2017

Au cours des deux dernières décennies, les relations entre la Turquie et la Russie ont eu une incidence directe sur le destin de l’Arménie. Ironiquement, l’amélioration des relations entre les deux puissances a eu lieu au détriment des intérêts de l’Arménie.
L’Empire ottoman a mené trois grandes guerres contre la Russie : la guerre de Crimée de 1853-1856, qui a pris fin avec la défaite de la Russie aux mains de la Turquie et de ses alliés ; La guerre de 1877 à 1978 qui a entraîné l’avance des forces russes jusqu’à San Stefano (Adrianopolis), près de la capitale ottomane, et bien sûr, la Première Guerre mondiale, lorsque l’alliance turque ottomane avec l’Allemagne a été vaincue, mais l’effondrement de l’Empire russe n’a pas aidé l’Arménie.
À la fin de la Seconde guerre mondiale, le destin de l’Arménie s’est dessiné aux cours de deux congrès consécutifs, San Stefano et Berlin.
Les vagues clauses du traité de Berlin se sont finalement concrétisées en 1914, avec la nomination de deux gouverneurs européens dans les Villayets arméniens, un mouvement frustrant à cause de la guerre et du génocide. Cependant, durant la guerre, la présence russe a aidé les Arméniens à mener une guerre d’autodéfense à Van, ce qui a permis de sauver 200 000 Arméniens.
Au cours de la guerre froide, la Turquie s’est jointe à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et l’Occident, mais Moscou a essayé de conquérir Ankara grâce à des gestes politiques au détriment des Arméniens. Nikita Khrouchtchev a même annoncé que l’Union Soviétique n’avait pas de revendications territoriales sur la Turquie, validant indirectement les Traités de Moscou et de Kars, qui ont scellé la frontière actuelle entre l’Arménie et la Turquie.
En outre, par déférence envers la Turquie, la question du génocide est resté silencieuse en URSS et les restes du héros national, le général Andranik, ont été bloqués à Paris jusqu’à ce que l’Arménie ait acquis son indépendance.
Actuellement, la Turquie a adopté une attitude impériale. Il y a quelques jours, le président Recep Tayyip Erdogan a annoncé que la Turquie était en voie de devenir une importante puissance régionale et internationale.
La Turquie est membre de l’OTAN ; Elle est consciente qu’elle ne peut abandonner le parapluie de l’OTAN. De la même manière, l’OTAN ne peut permettre à la Turquie de se détourner, compte tenu de son emplacement stratégique. Mais une certaine dichotomie permet à cette dernière de jouer un camp contre l’autre – la Russie contre l’Occident.
Erdogan est en train d’énerver de nombreux dirigeants ces jours-ci, en particulier les Européens, mais ils doivent vivre avec son arrogance. Même les dirigeants allemands normalement stoïques ne supportent plus la conduite et les déclarations explosives d’Erdogan.
La Russie a longtemps pris l’allégeance de l’Arménie pour acquise et dans la poursuite de ses politiques internationales, les intérêts de celle-ci ne figurent pas dans ses plans.
Bien que les relations russo-turques aient subit un coup sévère en 2015, après que la Turquie ait abattu un avion de guerre russe, leurs intérêts économiques mutuels ont attiré les deux puissances. Et les sanctions continuelles de l’Occident contre la Russie les rapprochent encore plus.
Un article signé Mourad Sezer sur Reuters explique pourquoi la Russie a besoin de la Turquie. L’article cite une autre source russe, Rotislave Ishchenko, voulant que des relations plus étroites entre les deux pays facilitent l’accès de la marine russe au détroit du Bosphore, ce qui pourrait contribuer à la stabilité de la région autour de la mer Noire. Bien qu’Ankara ait voté contre l’annexion de la Crimée en Russie et même défendu les droits des Tatars de Crimée, cette relation plus étroite renforcera l’emprise de la Russie contre la Crimée.

La Russie et la Turquie sont entrées sur le front de guerre syrien dans des camps opposés, ils sont maintenant partenaires en vue de résoudre le conflit.
Mais le plus important entre les deux parties est économique.
Alors que l’Occident essaie de dissuader les efforts russes d’approvisionner l’Europe avec son gaz, Moscou a trouvé un moyen d’atteindre ses objectifs grâce à la Turquie, devenue un partenaire favorable. L’offre russe de gaz naturel à la Turquie a augmenté de 22% depuis le début de l’année. Gazprom-Russie a commencé à construire un second tronçon de l’oléoduc Turkish Stream, destiné principalement à atteindre l’Europe.
Par ailleurs, Ankara a également des relations tendues avec Israël, mais serre les dents afin d’attirer les oléoducs israéliens destinés à l’Europe. Ainsi, bien que la Turquie soit privée d’hydrocarbures, elle devient un centre énergétique à travers sa politique et son emplacement stratégique.
La Russie est en train de construire la première centrale nucléaire de Turquie à Akkuyu, dont la première tour sera opérationnelle pour le centenaire de la République turque en 2023. Mais la coopération la plus cruciale entre les deux pays est militaire. Les deux parties en sont à la dernière étape de la mise en place d’un système avancé de défense antimissile S-400 russe, qui stimulera l’industrie de l’armement russe, en plus de marquer un changement stratégique dans la structure de l’OTAN. Il s’agit là d’un important irritant pour l’Occident.
Ce qui affecte directement l’Arménie est l’intention d’Ankara d’entrer dans l’Union économique eurasienne (EEU). Le Président du Kazakhstan, Nursultan Nazarbayev a contribué à rapprocher la Turquie et l’Azerbaïdjan de l’EEU. Le président russe Vladimir Poutine lui en est reconnaissant et a ignoré son attitude méprisante à l’égard de l’Arménie.
La coopération ou la participation d’Ankara à l’EEU soulève une question très épineuse, celle des frontières fermées entre l’Arménie et la Turquie. En abordant la question, le ministre de l’Économie Nihat Zeybekçi a réitéré la position de son pays voulant que la frontière reste fermée jusqu’à ce que la question du Haut-Karabagh soit résolue. Bakou continue de dominer Ankara par ses investissements continus en Turquie.
M. Erdogan est en route pour Astana, devenu le principal forum de la guerre en Syrie. Mais sa participation à l’EEU sera également à l’ordre du jour. Il semble que la Turquie aura sa part du gâteau et la mangera, se joignant à l’EEU et refusant d’ouvrir la frontière avec l’Arménie, avec la bénédiction de Vladimir Poutine.
Après Astana, Erdogan s’arrêtera à Bakou afin de mieux garantir le flux des investissements azerbaïdjanais, épicé de déclarations incendiaires contre l’Arménie.
La Russie et la Turquie pressure l’Arménie. Pourtant, tout mouvement indépendant d’Erévan est mal vu par Moscou. La participation récente des forces armées arméniennes à un exercice militaire de l’OTAN en Géorgie a fait froncer les sourcils de Moscou. Un commentateur a même critiqué : « Allez demander à l’OTAN de résoudre vos problèmes avec la Turquie et l’Azerbaïdjan. »
L’Arménie est aux prises avec une position insoutenable. Exercer un pouvoir quelconque dans un forum international nécessite une influence proportionnelle, ce qui manque à l’Arménie.
Et cette situation définit la politique étrangère de l’Arménie. Edmond Y. Azadian

Traduction N.P.