Les efforts pour résoudre le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan se déplacent rapidement d’une capitale à l’autre, provoquant un effet tourbillon tant pour les joueurs que les observateurs.
Le 6 octobre, les dirigeants arméniens et azerbaïdjanais se sont rencontrés à Prague pour discuter du traité de paix entre les deux pays. Le 14 octobre, ils se sont réunis à Astana, au Kazakhstan, dans le cadre du forum des chefs d’État de la Communauté des États indépendants (CEI), une ample fédération d’anciennes républiques soviétiques.
Dans chaque cas, non seulement le lieu est différent, mais les participants le sont aussi, avec des perspectives et des programmes politiques divers, tous en compétition pour le butin.
La réunion du 6 octobre à Prague s’est déroulée en toile de fond de la Communauté politique européenne, où l’acteur majeur était la France, et son président la figure la plus loquace.
L’Europe et l’Occident, en général, se concentrent sur la guerre en Ukraine et profitent de toute occasion pour mettre la Russie sur la défensive et tenter de saper sa position dans le Caucase. En revanche, à Astana, le 14 octobre, la Russie et son président étaient les principaux acteurs et leur objectif était de maintenir les anciennes républiques soviétiques en phase avec les ambitions impériales de la nation.
L’Arménie et l’Azerbaïdjan ne sont que des pions sur l’échiquier à utiliser par les grandes puissances. C’est la nature de la politique. En tant qu’acteurs mineurs, ils tenteront de trouver des failles sur les principales scènes politiques pour croiser leurs intérêts avec ceux qui bougent et en tirer le maximum d’avantages.
Pendant la guerre de 44 jours de 2020, la communauté internationale a été presque totalement silencieuse, permettant à la Turquie et à l’Azerbaïdjan de vaincre l’Arménie, avec la collusion de la Russie. Cette fois-ci, quelque chose semble avoir changé et l’Arménie a trouvé des partisans, même s’il ne s’agit pour le moment que de convaincre en douceur.
Lorsque la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, s’est rendue en Arménie, son principal défi et son message étaient dirigés vers la Russie et l’Iran, faisant de sa visite à Erévan un spectacle secondaire. Néanmoins, cela a eu un impact puissant sur les relations arméno-azerbaïdjanaises en évitant une nouvelle agression immédiate de Bakou, devenu de plus en plus audacieux.
Cette fois-ci, la France a visé Moscou, soulignant le cas de l’Arménie comme l’outsider de cette guerre.
La réunion de Prague a fait avancer le conflit arméno-azerbaïdjanais en prenant la décision d’envoyer 40 observateurs civils européens aux frontières des deux pays. Bien que l’Azerbaïdjan ait refusé d’accueillir les observateurs sur son territoire, leur présence jouera certainement un rôle modérateur pour freiner la belligérance d’Ilham Aliev durant au moins deux mois, jusqu’à l’expiration de leur mandat. Ces contrôleurs sont déjà en place, engagés dans leurs propres fonctions.
La rencontre d’Astana a fini par être beaucoup plus fougueuse que d’habitude. La première confrontation a eu lieu entre les ministres des Affaires étrangères d’Arménie et de Russie, Ararat Mirzoyan et Sergueï Lavrov, respectivement, lorsque ce dernier a demandé sarcastiquement ce que faisaient des dirigeants arméniens en Europe alors que la clé de la résolution du conflit était entre les mains de la Russie depuis la déclaration du 9 novembre qu’elle avait supervisée. Pour la première fois, le représentant arménien a osé demander à Moscou quelle était sa véritable position et a critiqué l’alliance militaire dirigée par la Russie, l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), pour son inaction. Cela a touché une corde sensible chez M. Lavrov, qui s’est moqué de l’OTSC en déclarant que cette dernière aurait pu envoyer des observateurs à la frontière pour un rapport si et quand l’Arménie, qui préside, à tour de rôle, la session actuelle de l’organisation, était passé par les canaux appropriés alors qu’une telle bureaucratie n’avait pas été nécessaire lorsque Moscou avait demandé des troupes à l’Arménie après des troubles au Kazakhstan.
Mais la principale altercation a eu lieu plus tard entre le Premier ministre Nikol Pachinian et Ilham Aliev en présence des représentants de la CEI, censés être les alliés de l’Arménie mais soutenant l’Azerbaïdjan. Cette confrontation s’est déroulée dans l’ombre des propos cinglants du président Emmanuel Macron contre l’Azerbaïdjan et la Russie.
Dans une entrevue sur France 2 à la télévision, le président Macron a carrément blâmé l’Azerbaïdjan comme étant l’agresseur qui avait occupé le territoire souverain de l’Arménie et a poursuivi : « Que se passe-t-il à la frontière ces deux dernières années… 5 000 soldats russes seraient là pour garantir le frontière [mais] les Russes ont utilisé ce conflit, qui remonte à plusieurs siècles, ont joué le jeu de l’Azerbaïdjan avec la complicité turque et sont revenus affaiblir l’Arménie, qui était autrefois un pays dont isl étaient proche.
Mais surtout, se référant à l’Arménie, M. Macron a déclaré : « La France ne laissera pas l’Arménie seule. Nos valeurs et nos principes ne s’achètent ni avec du gaz ni avec du pétrole. La France a des liens particuliers avec l’Arménie car l’Arménie s’est toujours battue pour la tolérance et la paix dans la région. »
La France est un pays de mémoire historique. Les dirigeants français se souviennent encore qu’en 1921, ils ont abandonné les Arméniens de Cilicie pour faire face aux hordes en maraude des forces d’Atatürk. Cela hantera leur conscience politique pour toujours et peut-être qu’ils peuvent maintenant essayer de rattraper cet acte épouvantable.
Cette déclaration, en premier lieu, était à 180 degrés de la déclaration de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui s’est précipitée à Bakou le mois dernier, pour assurer au dictateur Aliev qu’il devenait un « allié fiable ». Mais il est allé au-delà de cela pour ébouriffer quelques plumes de Moscou.
À Astana, Pachinian a également pu faire valoir ses points de manière cohérente. Dans un long discours, il a présenté l’intégralité du récit sur la guerre, les atrocités, l’état des prisonniers de guerre arméniens toujours en captivité en Azerbaïdjan et a plaidé avec force contre la demande d’Aliev pour le « corridor de Zangezour ».
L’Arménie a proposé trois points de contrôle pour que l’Azerbaïdjan ait accès à la République autonome du Nakhitchevan, mais cette dernière a rejeté l’offre, acceptant seulement de se contenter d’une bande de terre à travers l’Arménie. Ainsi, a-t-il conclu, ce que l’Azerbaïdjan cherchait n’était pas un moyen d’accroître le commerce, mais une méthode pour diviser l’Arménie.
Pachinian a également accusé l’OTSC d’inaction en réponse à l’appel de l’Arménie après l’agression de l’Azerbaïdjan sur son territoire.
Fait intéressant, les dirigeants azerbaïdjanais et russes ont dirigé leur colère contre Macron, plutôt que contre Pachinian, craignant que ses remarques et sa politique aient l’intention de pousser la Russie hors de la région.
La principale réponse à Pachinian est venue d’Ankara, où le ministre des Affaires étrangères Mevlut Çavusoglu a insisté sur la question du « corridor », qui, selon lui, fera ou détruira un traité de paix avec l’Azerbaïdjan. Et la normalisation des relations avec la Turquie, a-t-il remarqué, est conditionnée à la signature d’un traité de paix avec l’Azerbaïdjan. Si le traité n’est pas signé, a-t-il déclaré de manière inquiétante, « les troubles se poursuivront » pour l’Arménie.
- Poutine a reproché au président Macron de ne pas avoir « compris la question du Karabagh ». La réaction du ministère russe des Affaires étrangères a été encore plus dure lorsque la porte-parole Maria Zakharova a reproché aux acteurs occidentaux d’avoir brouillé la politique du Caucase.
Pour détourner l’attention des acteurs occidentaux, M. Poutine a invité Pachinian et Aliev à Moscou pour négocier un traité de paix. Il n’était pas d’humeur à s’aliéner la Turquie et l’Azerbaïdjan, puisque lors de la réunion d’Astana, il avait proposé au président Recep Tayyip Erdogan de faire de la Turquie une plaque tournante pour la distribution du gaz russe, la laissant même décider du prix en commun. Et ceci avant qu’un accord nucléaire ne soit signé entre l’Iran et les États-Unis, inondant les marchés occidentaux de gaz iranien.
Alors que se déroulait le sommet d’Astana, l’Iran organisait ses troisièmes jeux de guerre à la frontière avec le Nakhitchevan, alarmé par le complot ourdi par Israël, l’Azerbaïdjan, la Turquie et l’Arabie saoudite dont les ministres de la défense s’étaient réunis la semaine précédente à Bakou.
Jusqu’à présent, l’Iran a observé une stricte neutralité entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Cette fois-ci, le commandant des jeux de guerre, le brigadier-général Mohammad Pakpour a prononcé un discours réitérant les avertissements du chef spirituel du pays, Ali Khamenei et du président Ebrahim Raisi, selon lesquels l’Iran considérerait les changements aux frontières comme une ligne rouge. Pakpour est allé encore plus loin en annonçant que « l’Iran ne restera pas neutre », si des changements aux frontières avaient lieu.
L’Iran est déjà davantage exposé à l’Azerbaïdjan et à l’espionnage israélien par l’expansion de la frontière azerbaïdjanaise avec l’Iran après la guerre de 44 jours.
Comme nous pouvons le voir, indépendamment de la volonté et des plans de l’Arménie, des politiques se développent dans la région en faveur de sa cause. L’Europe, et en particulier la France, ont de grands desseins dans la région et considèrent l’Arménie comme l’un des éléments constitutifs de ces desseins. L’Iran, pour la première fois, a basculé de sa position de neutralité vers l’Arménie. Chaque partie est motivée par ses propres intérêts politiques mais ceux-ci se croisent en Arménie. Il n’y a ni cohérence ni coordination entre les intérêts de l’Occident et de l’Iran. Par conséquent, le défi incombe aux institutions arméniennes de politique étrangère de façonner la politique internationale et de tirer parti des développements positifs évoluant indépendamment les uns des autres. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.