La visite de Nancy Pelosi à Erévan a évité une guerre à grande échelle

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 21 septembre 2022

Il semble que la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, soit devenue la meneuse de la politique étrangère de l’administration Biden en narguant les intimidateurs sur la scène internationale. Son voyage à Taïwan en août, défiant les ambitions de la Chine à l’égard de cette île, a été suivi de son voyage en Arménie, pour envoyer des messages à ses voisins, la Russie et l’Iran. Par conséquent, dans ce tableau plus large, la visite à Erévan, bien que présentée comme sa mission principale, est devenue marginale.

Cependant, le moment de la visite du Congrès américain le 17 septembre, dirigée par la présidente Pelosi, s’est avéré salvatrice pour l’Arménie, car selon toutes les indications, le tandem Azerbaïdjan-Turquie prévoyait porter un coup dévastateur à l’Arménie et réaliser ce que le dirigeant azerbaïdjanais Ilham Aliev préconisait publiquement, soit ouvrir le corridor de Zangezour par la force.

Le président azerbaïdjanais a appris de son suzerain, le Turc Recep Tayyip Erdogan, que l’on peut prendre des risques, défier ses alliés et s’en sortir indemne.

Au vu de l’ampleur de l’agression contre l’Arménie, les dommages aux infrastructures militaires et civiles ont été lourds, résultat de la vague d’activités logistiques entre l’Azerbaïdjan d’un côté et la Turquie, Israël et le Pakistan de l’autre. En effet, une activité intense, y compris des vols militaires, a précédé l’attaque du 13 septembre. En particulier, Silk Airways, propriété de la famille Aliev, a été très occupée à transporter du matériel militaire depuis la Turquie et Israël. Ces vols ont été complétés par du trafic aérien militaire en provenance du Pakistan.

Pour préparer le terrain à une guerre à grande échelle, la Turquie avait concentré ses troupes aux frontières de l’Arménie et annoncé des jeux de guerre conjoints avec l’Azerbaïdjan au cours des semaines précédentes, rejouant exactement le même scénario qui avait conduit à la guerre dévastatrice de 2020 contre l’Arménie.

L’Azerbaïdjan, enhardi par ses récents gains territoriaux en Arménie proprement dite ainsi qu’en Artsakh, a été convaincu que de nouveaux troubles et guerres dans la région pourraient offrir des opportunités pour de futures aventures. L’Azerbaïdjan, en particulier, a jeté son dévolu sur la province iranienne de l’Azerbaïdjan. Ce plan, bien sûr, est conforme à la politique de pantouranisme de la Turquie et à la politique d’Israël consistant à contenir les ambitions nucléaires de Téhéran, si nécessaire, en renversant le régime actuel ou en démembrant son territoire.

Nous osons spéculer qu’il y avait un plan plus vaste en jeu : organiser une mini-guerre contre l’Arménie et ainsi créer la couverture d’une guerre à plus grande échelle contre l’Iran.

L’administration Biden était sur le point de finaliser l’accord nucléaire avec l’Iran, lorsque la délégation israélienne est arrivée à Washington pour bloquer les négociations, menaçant probablement de semer la discorde.

L’Europe et les États-Unis avaient pris le risque calculé d’obtenir de l’énergie à partir de sources alternatives au cas où la Russie couperait complètement l’approvisionnement en gaz, y compris les perspectives iraniennes.

Soit dit en passant, le voyage honteux à Bakou de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen pour présenter des compliments injustifiés à l’autocrate azerbaïdjanais se traduira au mieux par la génération de 2 % d’approvisionnement annuel en gaz de l’Europe. Faire cela dans le sillage du plaidoyer ouvert de ce pays pour le nettoyage ethnique et le soutien à l’attaque d’un pays souverain est indéfendable.

L’Azerbaïdjan a ressenti du ressentiment envers les États-Unis lorsqu’ils ont désigné l’ambassadeur Philip Reeker comme coprésident du groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Cela allait à l’encontre des plans et des déclarations d’Aliev selon lesquels le Groupe de Minsk n’avait plus de rôle à jouer, car l’impasse du Karabagh avait été résolu par la force, foulant ainsi aux pieds l’un des principes fondamentaux de la mission de l’OSCE.

Le président Aliev avait soigneusement planifié la dernière attaque de son pays pour qu’elle coïncide avec le voyage de M. Reeker à Bakou, pour exprimer son mécontentement face à la relance du groupe de Minsk, qui viendra le hanter avec l’affaire inachevée du conflit du Karabagh. Cette attaque visait également à éclipser la visite de Nancy Pelosi en Arménie.

La visite de deux jours de Mme Pelosi à Erévan avait ses dimensions émotionnelles et politiques. Quant à l’émotionnelle, sa visite au monument du martyr du génocide arménien de Tsitsernakaberd, avec des larmes coulant sur son visage, a envoyé un message puissant, surtout quand on se souvient de la reconnaissance du génocide arménien par l’administration Biden. Elle veut que les électeurs américano-arméniens se souviennent, lors des prochaines élections américaines, qu’une administration démocrate les soutient.

Sur le plan politique, la visite a envoyé un avertissement sévère à l’Azerbaïdjan voulant que les jours de laisser-faire de l’ère Trump étaient révolus, lorsque le secrétaire d’État de l’époque, Mike Pompeo, avait donné le feu vert à Bakou au début de la guerre de 2020 en déclarant : « Nous espérons que les Arméniens pourront se défendre. »

La présidente Nancy Pelosi et le secrétaire d’État Antony Blinken ont clairement indiqué que l’agresseur était l’Azerbaïdjan et que Bakou devait retirer ses forces des territoires arméniens occupés.

Les Arméniens étaient enthousiastes face à leurs attentes vis-à-vis des États-Unis. Lorsqu’on lui a demandé si les États-Unis pouvaient fournir des armes à l’Arménie, Mme Pelosi a été très habile et a donné une réponse diplomatique anticipée : « Nous sommes ici pour savoir ce que veut l’Arménie », comme si elle n’était pas consciente qu’une nation vaincue a, à la fois, besoin d’un soutien politique ainsi que d’armes modernes.

Nancy Pelosi a utilisé l’Arménie comme rampe de lancement pour tirer sur la Russie en référence à la guerre en Ukraine. Lorsqu’elle s’est exprimée devant la peinture murale Khanjian de Vartanank au Centre Cafesjian et a évoqué de braves guerriers arméniens chrétiens défendant leur nation, à tort ou à raison, cela a été considéré par certains analystes arméniens comme une référence indirecte à l’Iran d’aujourd’hui, qu’ils considéraient comme un faux pas, d’autant plus que les Iraniens d’il y a 1 500 ans n’étaient même pas musulmans (et l’Iran d’aujourd’hui entretient de bonnes relations avec l’Arménie).

L’une des retombées de cette visite a été d’encourager les forces politiques de tendance occidentale en Arménie à organiser des rassemblements exigeant que l’Arménie quitte l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), une structure de défense dirigée par la Russie qui est devenue une moquerie dans les cercles diplomatiques en tant qu’organisation édentée, trompant les Arméniens sur le fait qu’ils peuvent fonder la défense de leur pays sur elle.

Même le secrétaire du Conseil de sécurité d’Arménie, Armen Grigorian, a dit ouvertement que l’Arménie ne pouvait compter sur l’OTSC pour ses besoins militaires et de défense.

La guerre de 2020, aussi horrible soit-elle, n’a pas reçu beaucoup d’attention sur le radar politique mondial. Cette fois-ci, la visite de Nancy Pelosi et le rôle affirmé des États-Unis dans la région ont amplifié les répercussions du conflit.

Le Conseil de sécurité des Nations unies a débattu de la question et le ministre arménien des Affaires étrangères Ararat Mirzoyan vient de rencontrer son homologue azerbaïdjanais, Jeyhun Bayramov, grâce aux bons offices d’Antony Blinken.

L’euphorie émotionnelle doit se calmer et laisser place à une planification politique sobre. L’« invasion » politique du Caucase par les États-Unis, traditionnellement considérée comme une zone d’influence de la Russie, pourrait encore générer un certain ressentiment et des répercussions politiques, comme en témoignent les sarcasmes du porte-parole du dirigeant russe Vladimir Poutine. Lors d’un appel avec des journalistes, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré qu’une « approche calme et professionnelle » du conflit arméno-azerbaïdjanais porterait ses fruits, qualifiant les actions et la visite de Nancy Pelosi de « fortes ». Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.