L’Arménie à cheval entre l’est et l’occident

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 7 décembre 2017

L’Arménie n’a pas signé d’accord avec l’Union européenne (UE) il y a quatre ans, mais un accord a été signé le 24 novembre dernier à Bruxelles, en marge du sommet du partenariat européen réunissant les délégations des 28 pays de l’Union européenne, des représentants de l’Arménie, de la Géorgie, de la Moldavie, de l’Ukraine, de l’Azerbaïdjan et de la Biélorussie.
Malgré la volte-face de l’Arménie à l’époque, l’UE n’a pas puni l’Arménie ni ne l’a traitée négativement. Au contraire, il a maintenu des relations amicales parce qu’elle poursuivait un objectif plus étendu, et cette fois-ci, plusieurs républiques de l’ex-Union soviétique sont impliquées dans ce nouvel accord, qui « n’est dirigé contre les intérêts d’aucun parti en particulier », mais tout le monde sait qu’il est destiné à isoler la Russie.

Lors de la cérémonie de signature, Donald Tusk, président du Conseil européen, a profité de l’occasion pour critiquer Moscou pour ses actions en Crimée. En outre, la Première ministre britannique Theresa May n’a pas mâché ses mots pour définir le rôle de l’accord sur la limitation de la Russie.
L’accord donne à l’Arménie moins que dans l’accord précédent, qui devait faire partie d’une « zone de libre-échange importante et complète ».
Il ne serait pas sage de se plonger dans les implications juridiques de l’accord, sans étudier le document de 350 pages, mais nous pouvons discuter des retombées publiques. En enrôlant des pays de la sphère d’influence russe, l’UE répond à l’appel d’offres des États-Unis en ce qui concerne la Russie.
Comme puissance en second, l’UE ne peut se détourner des États-Unis, quelles que soient les différences politiques qu’elle peut avoir avec Washington. Le président français Emanuel Macron et la chancelière Angela Merkel ont parfois ouvertement critiqué l’administration américaine, dans le but de démontrer leur souveraineté, mais ne sont pas allés jusqu’à rompre leurs relations.
L’accord signé par l’Arménie marque des engagements vis-à-vis de l’UE; les signataires doivent lutter contre la corruption domestique, briser les monopoles, rendre les tribunaux indépendants, organiser des élections libres, etc. On peut se demander pourquoi l’Arménie ne peut mener seule ces réformes et doit être membre d’une association pour être obligée de les mettre en œuvre. Il semble que, par association, l’Arménie s’engage à défendre les valeurs européennes. La deuxième raison, plus valable, est que l’UE offre 200 millions de dollars à l’Arménie pour mener à bien ces réformes d’ici 2020. Il semble que l’UE doive soudoyer l’Arménie pour l’aider à prendre de bonnes décisions.
Un journaliste respecté du quotidien Aravot, Aram Aprahamian dans sa chronique éditoriale, semble sceptique devant les visages de ces dirigeants responsables de la situation morose actuelle en Arménie.
L’Arménie a obtenu de Bruxelles moins que ce qu’elle avait négocié. Dans sa déclaration officielle avant la cérémonie de signature, l’UE a abordé indirectement la question du Karabagh, confirmant sur un pied d’égalité les principes d’intégrité territoriale et du droit à l’autodétermination. Le second principe a été supprimé de la déclaration finale, par déférence pour l’Azerbaïdjan. Mais pour donner une tournure positive à la situation, le diplomate arménien, Édouard Nalbandian, qui a signé l’accord, a déclaré que « l’accord réaffirme les engagements de l’Union européenne à soutenir les efforts et les approches des coprésidents du Groupe de Minsk de l’Organisation sur la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour le règlement pacifique du conflit du Haut-Karabagh, fondé sur les normes et principes de droit international, en particulier le non-recours à la force ou les principes d’autodétermination et d’intégrité territoriale. »

Il y a une semaine à peine, le Conseil de coopération de la mer Noire avait adopté une déclaration similaire, omettant le principe de l’autodétermination et aucun pays n’a défendu l’Arménie et la délégation arménienne a dû quitter la conférence.
Le deuxième paragraphe de l’accord de l’UE fait référence à l’intégrité territoriale, l’indépendance et la souveraineté, visant la Russie, pour satisfaire la Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Ukraine, laissant de nouveau l’Arménie dans les limbes.
Sur le front diplomatique, l’accord général semble régner pour toutes les parties concernées. Selon les hauts responsables d’Erévan, l’accord historique de l’Arménie avec l’UE ne compliquera pas ses relations politiques et économiques étroites avec la Russie. Le président du Parlement, Ara Babloyan, a déclaré lors d’une audience : « L’Arménie n’a jamais suivi la voie qui consiste à opposer les intérêts de ses partenaires, et encore moins des amis, les uns contre les autres.
À son tour, Piotr Switalski, chef de la délégation de l’UE à Erévan, a renforcé les assurances de Babloyan en déclarant que « l’accord n’est dirigé contre aucune partie. Il ne contient aucune disposition qui saperait ou influencerait négativement l’intérêt des autres pays qui coopèrent avec l’Arménie. »
Le plus inquiétant aurait été la réaction de Moscou. L’Arménie n’aurait jamais fait le geste de se rapprocher de l’UE sans avoir régler d’abord avec Moscou. À première vue, la réaction de la Russie semble rassurante par la déclaration de son ministère des Affaires étrangères, selon laquelle Moscou « respecte » la volonté d’Erévan de forger des liens plus étroits avec l’UE.

L’ambassadeur de Russie à Erévan, Ivan Volynkin, a réaffirmé qu’en tant que « pays souverain, l’Arménie est libre de former des alliances et que les dispositions de la CESP ne vont pas à l’encontre de l’adhésion de l’Arménie à l’Union économique eurasienne dirigée par la Russie. »
Mais ces déclarations officielles ne cadrent pas bien avec les attaques que les deux chaînes de télévision moscovite contrôlées par l’État ont déclenchées contre l’Arménie. De nombreuses émissions diffusées spécialement sur NTV, dépeignent l’Arménie comme une femme mariée à la Russie, demandant des cadeaux du mari tout en flirtant avec l’amant européen.
Aucun commentateur arménien n’a été invité à ces spectacles pour fournir des points de vue différents. Malheureusement, cette campagne de dénigrement se traduit par des abus et même des meurtres dans les rues de Moscou, où les Arméniens, ainsi que d’autres immigrants caucasiens, sont isolés et sont souvent insultés.
Un haut représentant du parti Russie unie du président Vladimir Poutine en visite en Arménie a désavoué ces attaques cinglantes en déclarant que « de tels commentaires ne reflètent pas la position de Moscou sur la question. »
Ainsi, l’Arménie, croyant que sa mission historique est de rapprocher l’Est et l’Occident, a pris une initiative positive, mais ce mouvement est semé d’embûches et de risques.
En fait, la politique étrangère de l’Arménie est devenue une politique multi-vectorielle. Il est possible que la présidence de l’organisation des pays francophones mène le président Macron en Arménie, alors que le ministre iranien des Affaires étrangères, Jawad Zarif, a par ailleurs permis la signature d’importants accords économiques.
Et pourtant, toutes ces activités doivent se traduire en emploi pour le citoyen ordinaire, et espèrent que les jeunes resteront en Arménie.
Il existe beaucoup de contre-courants contre le développement de l’Arménie et le gouvernement a pris d’audacieuses mesures pour briser l’isolement et assurer que tous ces accords produisent maintenant des bénéfices. Edmond Y. Azadian

Traduction N.P.