Dans son premier discours devant le département d’État, le président Joe Biden a présenté un aperçu de la nouvelle politique étrangère américaine, commençant son discours par la déclaration suivante: « L’Amérique est de retour, la diplomatie est de retour au centre de notre politique étrangère. Comme je l’ai dit dans mon discours inaugural, nous réparerons nos alliances et nous engagerons à nouveau avec le monde. »
Il s’agit là d’un contraste frappant avec la politique étrangère de son prédécesseur Donald Trump, dont le principe fondamental était « l’Amérique d’abord », qui a finalement évolué pour devenir « l’Amérique seule ».
À la suite de son investiture, le président Biden, lors de son premier jour en fonction, avait signé une série de décrets annulant la plupart des politiques de Trump ayant conduit les États-Unis à l’isolement sur la scène internationale.
Le président Biden a également envoyé des messages à des amis et ennemis du monde entier. Les plus significatifs ont été ses initiatives de paix.
Avec le récent coup d’État birman, il a déclaré: « L’armée birmane devrait renoncer au pouvoir qu’elle a pris, libérer les défenseurs, les militants et les fonctionnaires qu’elle a détenus ».
Le contraste est frappant avec son prédécesseur amoureux des despotes et des potentats; plus le pouvoir est fou, meilleure était la relation (c’est-à-dire la Corée du Nord, l’Arabie saoudite et la Turquie).
Plus important encore, il a abordé la situation au Yémen, une guerre civile effroyable qui a conduit 80% des 30 millions d’habitants du pays au bord de la famine. Une guerre qui a tué des dizaines de milliers de personnes et en a déplacé des millions.
« Cette guerre doit prendre fin », a annoncé le président.
La guerre, bien que de portée civile, a été alimentée par des puissances extérieures; en fait, il s’agit d’une guerre par procuration entre l’Arabie saoudite, soutenant le gouvernement assiégé au Yémen, et l’Iran, qui finance les rebelles houthis occupant la majeure partie du territoire.
Espérons que Biden cessera immédiatement de fournir des armes à l’Arabie saoudite, ainsi que de fournir au pays un soutien consultatif militaire et technique. L’ironie est que le Royaume est inondé d’argent, achetant les systèmes d’armes les plus sophistiqués qu’il ne peut utiliser et a besoin que le fournisseur lui vienne en aide.
Le président Trump avait fait valoir que les ventes d’armes à l’Arabie saoudite pour la guerre au Yémen créaient des emplois dans le secteur de la défense aux États-Unis, une vision des plus humanitaires de la pire catastrophe humanitaire au monde !
Les initiatives de paix du président Biden ont eu un effet domino alors que la longue guerre en Libye s’est récemment arrêtée avec l’accord entre le général Haftar et le gouvernement d’accord national dirigé par Fayez al-Sarraj.
Anticipant les changements à venir, la Turquie a demandé aux Nations unies de reprendre les négociations avec Chypre et a envoyé son ministre des Affaires étrangères Mevlut Çavusoglu à Bruxelles pour tenter de ressusciter ses relations moribondes avec l’Union européenne.
Parallèlement à ces initiatives de paix, le président Biden a tiré les premières salves sur la Russie et Pékin, faisant référence aux différences existantes et aux problèmes potentiels.
Au vu des déclarations ci-dessus, il est justifié de se demander si la nouvelle administration américaine est prête pour la paix universelle ou la redistribution des cibles des guerres sans fin des adversaires traditionnels.
William Astore, dans le numéro du 2 février de The Nation, répond à la question: « Le nouveau cabinet et la liste de conseillers du président Joe Biden sont bien garnis de généraux à la retraite, de néoconservateurs reconstitués, de faucons sans excuse et de passionnés de guerre similaires. … Les dépenses de « défense », comme les dépenses de guerre sont généralement connues dans ce pays, et demeurent à un niveau record de 740,5 milliards de dollars pour l’exercice 2021. Les discussions sur la nouvelle guerre froide avec la Russie et la Chine (ou les deux) réchauffent paradoxalement les bureaux et les couloirs du Pentagone. »
L’auteur propose neuf recommandations à l’administration Biden pour passer d’un sentier de guerre à des objectifs pacifiques et l’une de ces recommandations rappelle de manière significative le discours d’adieu du président Dwight D. Eisenhower en 1961: « Faites attention et exercez une surveillance vigoureuse et un contrôle zélé sur le complexe militaro-industriel. »
L’économie américaine est liée au complexe militaro-industriel sous n’importe quelle administration. La logique de M. Trump selon laquelle la guerre « crée des emplois dans le domaine de la défense » demeure valable. Par conséquent, des ennemis doivent être confrontés ou créés pour satisfaire des entrepreneurs de défense comme Boeing et Raytheon.
Puisque le président Biden vise les guerres sans fin, les Arméniens peuvent placer leurs espoirs sur certains signes positifs émanant de son camp et du département d’État concernant les problèmes de longue date ou récents, à savoir la reconnaissance du génocide arménien, la reprise de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et le réengagement des coprésidents du groupe de Minsk.
- Recep Tayyip Erdogan a déjà vu les signes avant-coureurs et a prévu de prévenir tout mouvement qui pourrait provenir de la communauté internationale.
Pour commencer, la Turquie est l’une des instigatrices de ces interminables guerres, provoquant des troubles et des désillusions en Syrie, en Irak, en Libye et, tout récemment, dans le Haut-Karabagh. Le défi le plus redoutable de l’administration Biden deviendra peut-être celui d’apprivoiser la Turquie.
Sur le front du Karabagh, la nouvelle est que les coprésidents du Groupe de Minsk, la Russie, la France et les États-Unis, visiteront la région et en particulier les zones ravagées par la guerre pour poursuivre leur mission. Le département d’État a publié une déclaration indiquant que « les États-Unis contribuent au processus du Groupe de Minsk de l’OSCE dans le but d’aider les parties à parvenir à un règlement final basé sur les principes de l’Acte d’Helsinki, qui appelle à l’exclusion de la force militaire pour résoudre les problèmes, l’intégrité territoriale et le droit à l’autodétermination des peuples. »
Les politiciens qui ont fait ces déclarations trouveront un fait accompli au Karabagh, puisque le premier principe qu’ils prônent – celui du non-recours à la force – a déjà été violé. Cette violation a conduit à la résolution du deuxième principe, la restauration de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. Ce qu’il leur reste à résoudre, c’est le droit à l’autodétermination du peuple du Karabagh.
Le président azerbaïdjanais Ilham Aliev a déjà déclaré que le statut du Karabagh avait été déterminé. Le président Poutine a contré cela en déclarant que le statut n’a pas encore été déterminé et que la décision sera prise à une date ultérieure.
Maintenant que les deux autres coprésidents se sont réengagés, ils doivent mesurer leurs propositions. Le parlement français a déjà adopté une résolution demandant la reconnaissance de l’indépendance du Karabagh. Ce point de vue se reflétera dans les délibérations à venir. Le point de vue américain n’est pas encore clair, mais dans de nombreux problèmes dans la région, il contredit la position russe. À moins de marchandage de dernière minute, les États-Unis seront également d’accord avec la France, car les deux pays se sont plaints d’avoir été exclus du processus de colonisation après la guerre. Leur implication s’attardera principalement sur l’application de la déclaration de cessez-le-feu en neuf points imposée par la Russie et la Turquie à l’Arménie. Cette dernière a un défi et une chance afin d’interpréter à son avantage certaines des clauses injustes et peu claires.
Dans le cadre du plan général de la Turquie pour démontrer son bon comportement comme citoyenne de la diplomatie mondiale, Ankara a eu recours à plusieurs initiatives, en plus des négociations chypriotes et du rapprochement avec l’Europe.
Ankara a indiqué qu’elle était « prête à normaliser ses relations avec l’Arménie », comme le rapporte un article publié dans le Washington Post. L’article de l’analyste politique turc Amberin Zaman dans le numéro du 1er février d’Al-Monitor fait référence à ce signal. Le titre de l’article dit tout: « Le discours de la Turquie sur la paix avec l’Arménie sonne creux. »
Son commentaire est plus révélateur lorsqu’elle écrit: « Les critiques disent que la magnanimité apparente de la Turquie reflète davantage ses récents efforts pour réparer ses liens déchirés avec Washington sans faire les concessions qui lui sont réellement demandées. »
Zaman a interrogé plusieurs diplomates arméniens et non arméniens et constate que l’intention de la Turquie n’est pas sincère et ressemble à un ballon d’essai relevant de l’opportunisme politique.
Un diplomate arménien anonyme répond à la question de la journaliste: « Il est choquant qu’un pays puisse s’en tenir à une intention génocidaire durant un siècle sans ressentir un pouce de culpabilité pour ce que ses prédécesseurs ont fait [plutôt que] reconnaître et se repentir de son crime. »
Que pourrait offrir la Turquie à l’Arménie pour inciter cette dernière à normaliser ses relations? Si l’offre lève le blocus et ouvre les communications, cette offre profite plus à la Turquie qu’à l’Arménie. En levant le blocus, la Turquie corrigera son acte de violation du droit international en bloquant l’Arménie et en outre, les dirigeants turcs prévoient depuis plus d’un siècle occuper la région de Siounik (autrefois Zanguezour) de l’Arménie ou de se frayer un chemin vers l’accomplissement de leur plan pantouranien. Depuis que la déclaration en neuf points après la guerre du Karabagh a accordé ce passage, la Turquie a déjà été récompensée pour l’un de ses objectifs historiques.
Il n’est pas dans l’intérêt de la partie arménienne d’envisager des rameaux d’olivier de la part d’Ankara.
En plus de traiter avec l’Arménie, la Turquie a un chemin long et ardu pour améliorer ses relations avec Washington.
Espérons que le président Biden tiendra sa promesse de reconnaître le génocide et chargera le coprésident américain du groupe de Minsk de refléter la politique amicale de Washington. Ceux-ci peuvent s’avérer être des dividendes de l’initiative de paix de Biden pour l’Arménie. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.