Après l’agression azerbaïdjanaise du 13 septembre contre l’Arménie, de nouvelles tombes sont creusées au cimetière militaire commémoratif de Yerablur et de plus en plus de familles pleurent la perte de 207 soldats et civils. Et tandis qu’un cessez-le-feu précaire tient sur le terrain, le champ de bataille s’est déplacé vers les Nations unies.
Il existe toujours de l’appréhension dans les cercles politiques arméniens et parmi la population en général alors que les informations font état de vols militaires d’Israël et autres vers l’Azerbaïdjan, et de la concentration des forces armées turques aux frontières de l’Arménie.
Pendant la guerre de 44 jours, dont le deuxième anniversaire, le 27 septembre, est à nos portes, la communauté internationale a gardé un silence presque complet. Cependant, cette fois-ci, il y a plus d’intérêt et l’alarme s’est déclenchée contre une future escalade. Le conflit arméno-azerbaïdjanais était à l’ordre du jour de deux sessions du Conseil de sécurité des Nations unies la semaine dernière. Au début de la 77e session de l’Assemblée générale, le champ de bataille s’est déplacé à New York, d’abord à travers les discours prononcés par le Premier ministre Nikol Pachinian et le ministre azerbaïdjanais des Affaires étrangères Jeyhun Bayramov, puis par d’autres groupes concernés, principalement l’Iran et la Russie.
Pachinian, dans son discours, a présenté une image complète de la récente agression, avec ses sombres résultats, et a appelé l’Azerbaïdjan à signer un traité de paix global. A ce jour, l’Azerbaïdjan n’a pas répondu à l’appel de l’Arménie. Au lieu de cela, Bayramov a souligné les résolutions de l’ONU sur le conflit, donnant l’impression que l’organisme mondial avait soutenu des résolutions unilatérales contre l’Arménie.
Puisque le débat se déroulait à l’ONU, Pachinian n’a pas joué la carte du groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), créé par l’ONU. Cela aurait pu effrayer Bayramov, car Bakou refuse de reconnaître le rôle de l’OSCE dans le conflit, lançant ainsi un défi direct à l’ONU.
Le discours de Bayramov a été conçu de manière à présenter l’Arménie comme l’agresseur, tandis que sa nation est présentée comme un « bon gars ». Il a déclaré : « Après la provocation des forces armées arméniennes du 12 au 14 septembre 2022, l’Azerbaïdjan s’est engagé à éliminer les conséquences humanitaires et, dans ce contexte, s’est déclaré prêt à restituer unilatéralement les restes des soldats tombés au combat en Arménie ».
Cela signifie que tuer ces soldats n’était pas un crime et qu’en plus, pour avoir restitué leurs corps, l’Azerbaïdjan devrait être récompensé.
N’importe quel leadeur rationnel dans l’audience pourrait conclure que l’Arménie, vaincue il y a deux ans, n’aurait aucune motivation pour de nouvelles provocations.
Cependant, la pratique à l’ONU est que les politiciens croient ce que leurs intérêts politiques dictent et non la simple vérité. Par exemple, Bayramov a vanté le faible niveau d’énergie fourni à l’Europe pour gagner la sympathie de tous en déclarant : « Simultanément, l’Azerbaïdjan reste un fournisseur fiable de sources d’énergie sur les marchés internationaux ».
Bien sûr, les parties bénéficiaires de cet approvisionnement énergétique, comme la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, devront croire le récit de Bayramov.
Bayramov a également proféré une menace voilée en déclarant : « Chaque fois que l’Arménie recourt à de graves provocations, évitant la responsabilité de prendre les décisions nécessaires pour faire une percée à un stade crucial, l’Azerbaïdjan est déterminé à surmonter toute menace à sa souveraineté et à son intégrité territoriale ainsi que la sécurité de ses citoyens » et demandent « à l’Arménie de s’abstenir de toute nouvelle escalade de la situation. L’Arménie devrait participer de manière constructive au processus de normalisation afin de créer une situation stable dans la région en établissant des relations amicales et de bon voisinage. »
Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Çavusoglu, a soutenu l’appel de son collègue, exhortant l’Arménie à signer un traité de paix global avec l’Azerbaïdjan. Pour Ankara et Bakou, ce traité de paix doit être signé aux dépens du territoire souverain de l’Arménie, qui serait offert à l’Azerbaïdjan comme butin de guerre.
La plupart des représentants au Conseil de sécurité ont tenté d’observer une stricte neutralité. Le représentant chinois est allé jusqu’à blâmer les deux parties pour avoir violé le cessez-le-feu, bien qu’il ait ajouté qu’il ne peut y avoir de solution au conflit sans le règlement du problème du Karabagh. Seuls les représentants de la Norvège et surtout de la France ont clairement indiqué que l’Azerbaïdjan était l’agresseur. Le représentant russe, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, s’est vanté que ce soit Moscou qui ait contribué à l’instauration du cessez-le-feu, alors que la Russie, en tant qu’allié stratégique de l’Arménie au sein de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), n’aurait pas dû permettre à l’Azerbaïdjan de déclencher la guerre.
Le système azerbaïdjanais de politique étrangère et les groupes de réflexion pro-gouvernementaux sont particulièrement mécontents que les États-Unis, par l’intermédiaire de son secrétaire d’État Antony Blinken, l’ambassadrice américaine en Arménie Lynne Tracy, ainsi que la présidente de la représentante de la Chambre Nancy Pelosi, aient pointé du doigt l’Azerbaïdjan comme agresseur, lui ont demandé de se retirer du territoire souverain de l’Arménie et de renvoyer tous les prisonniers de guerre.
Réunis en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, le président iranien Ebrahim Raïsi s’est entretenu avec le Premier ministre Pachinian et le ministre iranien des Affaires étrangères Hossein Amir- Abdollahian avec son homologue arménien, Ararat Mirzoyan, et les deux responsables iraniens ont réaffirmé que tout changement aux frontières était une ligne rouge pour l’Iran.
L’Iran a des concentrations de troupes aux frontières de l’Arménie pour éviter toute incursion de l’Azerbaïdjan ou de la Turquie. Mais les dirigeants iraniens sont bien conscients que si l’opinion publique mondiale est focalisée sur l’Ukraine, son propre territoire pourrait être victime d’une attaque surprise. Par conséquent, si l’Arménie est menacée, nous ne devrions pas nous attendre à ce que l’Iran s’en mêle, car ce serait un piège tendu par la Turquie, l’Azerbaïdjan, Israël et les États-Unis. Ce scénario peut sembler plus réaliste si l’on se rappelle comment les guerres en Irak, en Syrie et en Libye ont débuté : la dissidence interne a été déclenchée en premier, comme c’est le cas ces jours-ci en Iran, suivie d’une agression étrangère.
Avec tous ces développements, l’atmosphère est extrêmement tendue en Arménie. L’élite politique est confuse et le parti de Pachinian très prudent quant à la sollicitation de l’aide de quiconque en dehors du contrat civil. Trois anciens présidents – Levon Ter-Petrosian, Robert Kotcharian et Serge Sargissian – ont rencontré cette semaine le Catholicos de tous les Arméniens Karekin II pour unifier le pays, mais ils font face à toutes sortes de réactions négatives, suggérant qu’ils conspirent et organisent un coup d’État.
Ter-Petrosian, au cours d’une émission radio de Petros Ghazarian, voulait faire la lumière sur les raisons pour lesquelles tous ces anciens dirigeants, qui sont des ennemis jurés, s’étaient réunis. Il a déclaré que ce que tout ce que demandent les parties extérieures n’est connu que du seul Pachinian et que même ses proches collaborateurs l’ignorent. Quel que soit le document que Pachinian signera, a-t-il dit, il sera préjudiciable à l’Arménie et ce même Pachinian sera traité de traître. Le moins qu’il puisse faire, a suggéré Ter-Petrosian, est de partager les informations avec l’ancien leadership, dans la plus stricte confidentialité, afin qu’ils puissent offrir des conseils avisés et éventuellement trouver le chemin le moins terrible, et de cette façon, la responsabilité sera partagée par le gouvernement et l’opposition à travers un consensus pan-national.
Pachinian seul ne peut, en effet, tenir le destin de l’Arménie entre ses mains et faire face à l’histoire. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.