Le changement en Azerbaïdjan, un scénario gagnant pour l’Arménie

Editorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 23 janvier 2015

Des experts et des observateurs de la presse occidentale ont remarqué récemment l’intensification des critiques envers le gouvernement azéri et son dirigeant autoritaire, Ilham Aliev. On peut supposer une réelle détérioration des relations américano-azerbaïdjanaises. Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg, parce que de puissants courants, y compris les réalignements régionaux et les changements tectoniques dans la politique mondiale – jouent tous leur rôle.
Dans le monde intégré d’aujourd’hui, toute action politique crée un effet domino, et influence les politiques, au loin, dans une autre région.
Malgré la liberté absolue de la presse aux États-Unis et en Europe, il y a une collusion tacite entre les gouvernements et les grands médias. Par exemple, un changement de politique de grande envergure de la dernière administration Bush serait annoncé en éditorial du Wall Street Journal. De même, la récente amélioration des relations américano-cubaines a été précédée par une série de commentaires éditoriaux dans le New York Times encourageant l’administration à renoncer à son isolationniste vieux de 50 ans envers Cuba. Ou les rédacteurs du Times avaient des prémonitions ou ils avaient reçu un hochement de tête de l’administration afin de jeter les bases pour le public américain vers un changement de politique.
Et lorsque l’annonce spectaculaire de M. Obama de changer de cap dans les relations américano-cubaines a été faite, certaines personnes ont cru en la puissance de la presse pour influencer les politiques.
C’est dans cette perspective que nous devons analyser la poussée soudaine des sujets négatifs autour de l’Azerbaïdjan dans la presse américaine. Ce n’est pas une nouvelle que d’apprendre que l’Azerbaïdjan est, depuis longtemps, dirigé par un despote.
En outre un éditorial cinglant dans l’édition du 11 janvier du New York Times, montrait Aliev en « un magistral Jekyll et Hyde politique, » et dynamitait son bilan déplorable des droits humains, l’Institut Brookings a publié une analyse donnant à réfléchir sur les relations Etats-Unis-Azerbaïdjan, rédigé par Richard D. Kauzlarich. M. Kauzlarich a été ambassadeur des Etats-Unis à Bakou, et à ce titre, n’avait d’autre choix que de débiter la politique officielle du Département d’Etat. Mais dans son article, il a pris la liberté d’exprimer ses propres observations et points de vue, de dépeindre l’Azerbaïdjan et ses autorités de leurs vraies couleurs, pour le moins pas très flatteuses. La conclusion est dans ces quelques lignes : « Le 3 décembre 2014, l’ère Heydar Aliev en Azerbaïdjan a pris fin. Et ainsi s’en est allé la relation politique précédemment étroite entre les Etats-Unis et l’Azerbaïdjan. »
En plus de sa propre analyse, M. Kauzlarich a fondé ses conclusions sur un document publié par le haut-responsable de l’appareil présidentiel azerbaïdjanais, Ramiz Mehdiyev, dans lequel les relations américano-azerbaïdjanaises sont présentées dans une perspective de paranoïa politique extrême.

M. Kauzlarich présente trois conditions pour la restauration de la respectabilité de l’Azerbaïdjan en Occident et pose la question rhétorique : « Impossible? Non, si l’Azerbaïdjan désire et recherche vraiment le respect international. Le respect résulte des mesures prises. Libérer les prisonniers politiques et négocier sérieusement avec l’Arménie afin de mettre fin au différend quant au Haut-Karabagh sont la seule voie pour gagner ce respect. »
L’évaluation de l’ancien diplomate est révélatrice des perspectives arméniennes et américaines. Par le passé, Washington était confronté au dilemme de savoir si les intérêts ou les valeurs des Etats-Unis étaient importants, Washington a souvent choisi les intérêts des Etats-Unis lorsqu’il s’agissait de l’Azerbaïdjan. Actuellement, il semble que les États-Unis ont plutôt opté pour les valeurs.
Dans un article publié sur le site Open Democracy, Thomas de Waal, associé principal pour le Caucase au Carnegie Endowment for International Peace, écrit : « Au cours de la dernière année et demie, le gouvernement de l’Azerbaïdjan a augmenté son caractère méchant, autoritaire, et anti-occidental. »
Les médias occidentaux sont inondés de critiques acerbes du régime Aliev. Depuis que Al Gore a invité Al Jazeera sur les côtes américaines, la chaîne favorise la politique des Etats-Unis dans le monde, vêtu du costume du Moyen-Orient. Publié sur le site Internet d’Al Jazeera, il y a un article d’Arzu Geybullayeva, un spécialiste en droits humains, qui révèle : « Tant que le président Ilham Aliev ne cessera de dire qu’il n’y a pas de prisonniers politiques et pas de limitation à la liberté d’expression en Azerbaïdjan – donnant l’illusion d’un pays démocratique – peu changera dans ce pays. »
Toute critique mis à part, vers où se dirige l’Azerbaïdjan ?
L’article de Mehdiyev, faisant écho à la voix de son maître à Ankara, indique clairement que l’Azerbaïdjan a adopté une ligne politique indépendante.
La Turquie, tout en continuant d’adhérer à l’OTAN, préconise la même politique. Et puisque la Turquie et l’Azerbaïdjan prétendent être une nation avec deux gouvernements, Aliev suit les traces de son mentor, le président Recep Tayyip Erdogan. Incidemment, ce dernier s’est rendu à Bakou le 16 janvier dernier, et a étendu son soutien à Aliev, sur l’épineuse question du Karabagh. Aliéné par l’Occident, Aliev a, plus que jamais, besoin de cette assurance.
Alors que l’Occident s’est engagé dans une bataille colossale afin de bloquer le retour de Moscou sur l’échiquier mondial, la Turquie a trouvé un créneau politique afin de construire sa propre base politique, indépendante des deux camps. L’Azerbaïdjan progresse au même rythme qu’Ankara, en raison de certains autres développements dans la région :
• La chute spectaculaire des prix de l’énergie ont dégonflé les rêves d’Aliev voulant construire un pays à l’instar des Emirats arabes.
• La confrontation entre l’Occident et l’Iran a stimulé l’enjeu politique de Bakou pour les puissances occidentales et Israël, comme poste d’écoute et rampe de lancement potentielle contre l’Iran. Avec l’accord nucléaire devenu presque une réalité, l’Azerbaïdjan ne peut plus servir d’atout ni pour l’Occident ni pour Israël.
• Le demi-tour de la Turquie vers la Russie, et la signature de l’accord sur l’énergie a poussé l’Azerbaïdjan vers l’Union eurasienne menée par la Russie.
La Russie se défend à son tour dans le but de retrouver son ancien statut de puissance mondiale. La Chine a exprimé sa solidarité avec la Russie, croyant que si Moscou échoue, l’Occident n’épargnera pas Pékin, qui est déjà en voie de devenir un acteur mondial important.
La Chine s’est engagée non seulement à soutenir financièrement la Russie, mais a aussi signalé tacitement qu’elle pouvait utiliser ses actifs américains comme arme pour déstabiliser l’économie des Etats-Unis.
A travers ces bouleversements politiques, Bakou est sur le point de choisir sa politique, qui peut le conduire dans l’orbite de l’influence russe, où l’Arménie est confortablement installée.
D’une part, la fracture Etats-Unis-Azerbaïdjan peut offrir un confort à l’Arménie car les États-Unis ne peuvent plus imposer une solution pro-azérie, en particulier alors que l’article 907 du Freedom Support Act est toujours en vigueur.
D’autre part, il serait trop risqué pour l’Azerbaïdjan de céder à la pression de Moscou et de se joindre à l’Union douanière.
Dans ces nouvelles circonstances, il est de l’intérêt de la Turquie d’intensifier les tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan afin de se protéger des demandes arméniennes et de jouer le rôle du sauveur de Bakou.
Ainsi, Moscou deviendrait l’arbitre final, ayant trois choix : 1. Poursuivre le statu quo, garder les deux pays en attente d’une solution en leur faveur ; 2. Forcer l’Arménie à faire des concessions pour obtenir l’allégeance de l’Azerbaïdjan, ou 3. S’engager, dans une perspective plus large, dans un programme de développement économique pour créer ses propres marchés et forcer les parties à coopérer, dans ce cas, en levant nécessairement le blocus et reprendre ainsi une vie normale.

La dernière option marquerait un résultat gagnant pour toutes les parties.

Traduction N.P.