Le facteur chinois

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 19 août 2017

Le 9 août dernier, le ministre adjoint chinois aux Affaires étrangères, Li Huilai, a dirigé une délégation officielle qui s’est rendue en Arménie pour des consultations entre les ministères des Affaires étrangères des deux pays. Les invités ont assisté à l’inauguration officielle de la nouvelle ambassade chinoise en Arménie, sur une surface de 40 000 mètres carrés. Ce sera la deuxième en taille parmi les représentations diplomatiques de l’ex-Union soviétique. Bien sûr, nous connaissons déjà les dimensions gigantesques de l’ambassade des États-Unis à Erévan, la deuxième plus grande dans le monde, après celle de Bagdad.
En 2015, lorsque le président Serge Sargissian s’est rendu à Pékin, le gouvernement chinois a organisé une importante réception diplomatique, faisant sourciller les capitales mondiales, un pays de 1,5 milliard de personnes offrant tant d’attention à un petit pays d’à peine 3 millions d’habitants.
La Chine a établi des relations diplomatiques avec l’Arménie il y a 25 ans et au cours de cette période, elle a démontré une générosité extraordinaire envers le pays, lui faisant don d’une flotte d’ambulances, de taxis, de machines agricoles, etc.
Il y a quelques années, le gouvernement azerbaïdjanais a accusé Pékin d’avoir fourni à l’Arménie de l’armement d’une valeur d’un milliard de dollars. Le gouvernement chinois a annoncé qu’il ferait une enquête pour savoir si cette accusation était véridique. À ce jour, aucune information n’a été dévoilée.

Au cours de la cérémonie à l’ambassade, le ministre arménien des Affaires étrangères Edouard Nalbandian a annoncé que les relations bilatérales se développaient à un rythme dynamique entre les deux pays. Certains accords ont également été signés dans les domaines scientifiques et culturels. Les deux parties ont aussi accepté d’instaurer des vols directs entre les deux capitales. Nalbandian a profité de l’occasion pour remercier le gouvernement chinois pour son approche équilibrée du conflit du Karabagh.
Compte tenu de la course aux armements imposée à la région par l’Azerbaïdjan, il n’est pas mauvais pour l’Arménie d’avoir un ami puissant comme la Chine, qui a développé l’une des industries d’armements les plus sophistiquées au monde. La Chine possède également un droit de veto au Conseil de sécurité des Nations Unies.
La Chine est une puissance mondiale en croissance et il est intéressant de spéculer sur la place de l’Arménie dans le schéma général du plan chinois.
Un contraste flagrant oppose la Chine et l’ex-Union soviétique au niveau idéologique. L’Union soviétique a adopté l’idéologie marxiste-léniniste pour développer une société du goulag où, au nom du prolétariat, une dictature d’opportunisme s’est développée pour opprimer ce même prolétariat. Le système soviétique a créé l’égalité dans la pauvreté pour ses citoyens, tandis que la Chine a développé l’égalité dans la prospérité. Les Chinois ont utilisé la discipline du système marxiste pour élever le niveau de vie de 1,5 milliard de personnes. À l’échelle nationale, la Chine a permis l’émergence d’une classe millionnaire sans s’excuser pour son opportunisme, car elle a mené son commerce extérieur sans sangles idéologiques.
Il peut sembler ironique que l’adversaire idéologique de la Chine, les États-Unis, soit l’un de ses plus grands partenaires commerciaux. Au lieu d’atteindre la parité nucléaire avec les États-Unis, la Chine a eu un effet de levier économique pour influencer la politique américaine.
L’influence économique de la Chine joue également partout dans le monde. Récemment, le gouvernement de Pékin a engagé des dépenses de plusieurs milliards de dollars pour une nouvelle route de la soie afin d’étendre son commerce de Chine jusqu’au nord de l’Europe. La route de la soie est en concurrence avec les initiatives mondiales russes et elle contournera le territoire russe, s’étendant à travers l’Asie centrale. Sur le chemin, il développera les économies de ces pays. Les plans de la Chine contestent et contreviennent aux plans économiques russes, mais empêchent également la Turquie de pénétrer en Asie centrale.

Il est bien connu qu’avec la chute de l’Empire soviétique, les conceptions idéologiques panturquistes d’Enver Pacha ont été relancées. La Turquie a envoyé des délégations vers les nations turques d’Asie centrale pour former une union linguistique, un plan qui n’a donné aucun partenariat solide. Deuxièmement, l’élément de religion a été promu, avec l’assistance de l’Arabie saoudite. Des Madrasas (écoles religieuses) et des mosquées ont été construites par ces deux pays, mais le fanatisme religieux n’a pas pris le dessus parmi les personnes dont les croyances ont été domptées par le système soviétique athée.
Mais ces échecs n’ont ni dissuadé ni découragé la Turquie. Ankara a également eu l’audace de susciter des problèmes dans la région ouïghour de Chine. C’est peut-être pourquoi la Chine rétorque au mouvement turc en Asie centrale en développant des partenaires stratégiques dans le Caucase. L’Arménie doit indirectement la générosité chinoise à cette politique mondiale de la Turquie.
La Chine a également un intérêt dans le théâtre de guerre syrien. L’Occident a trouvé très facile et commode de détruire les pays au Moyen-Orient sous l’étiquette de « Printemps arabe » ou « changement de régime ». La Syrie et l’Iran sont sur la liste cible ; Par conséquent, la Chine avec la Russie, a dû tracer une ligne rouge. Alors que la Russie a une base militaire en Arménie pour projeter son pouvoir au Moyen-Orient, la Chine cherche activement à en développer une parce que le Moyen-Orient demeure l’une des composantes importantes de la politique étrangère chinoise.
Bien que les politiques chinoises et russes soient parallèles au Moyen-Orient, les deux pays sont en conflit ethnographique. En effet, malgré la politique de Beijing de deux enfants par famille, la population chinoise augmente à un rythme alarmant. Pour éviter une explosion démographique et répondre aux besoins économiques de sa population, la Chine devra conquérir de nouveaux territoires. Où pourrait-on trouver ce territoire, sinon en Russie, où la population diminue, ainsi que dans l’ensemble de l’arrière-pays asiatique de Russie, peu peuplé. Déjà, les avant-postes chinois ont pénétré paisiblement dans la région.
La projection chinoise de pouvoir dans la région du Caucase est une évolution bienvenue pour l’Arménie.
Le partenariat stratégique de la Russie avec l’Arménie a une tendance désinvolte. C’est pourquoi l’Arménie n’a pas encore abandonné son partenariat avec l’Europe et a récemment participé à des exercices militaires de l’OTAN en Géorgie.
La Chine a jusqu’ici utilisé un pouvoir suave dans le Caucase et l’Arménie est l’un de ses bénéficiaires. Le président Heydar Aliev se vante que les relations israélo-azerbaïdjanaises sont comme un iceberg, submergées à 95%. Il serait idéal pour l’Arménie de créer un tel iceberg dans ses relations avec la Chine.

Traduction N.P.