Le Groupe de Minsk de l’OSCE fait une lecture erronée de ses propres principes

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 10 décembre 2020

Après 44 jours de guerre intensive, entraînant d’énormes pertes humaines et territoriales, une paix précaire a finalement été rétablie en Arménie et au Karabagh.

Le rétablissement de la paix en Arménie est aussi périlleux que la guerre ne l’a été. L’armée est brisée, incapable de protéger ses frontières, l’effondrement économique et la misère humaine est insupportable.

La première priorité devrait aller aux familles en deuil pour qu’elles puissent récupérer les dépouilles de leurs proches et faire leur deuil.

L’Azerbaïdjan traîne des pieds en ce qui concerne le retour des corps ainsi que des prisonniers de guerre et cause encore plus de chagrin aux familles.

L’impact politique de cette défaite est plus que ce que la société arménienne ne peut supporter, car combiné avec les ravages de la pandémie de COVID-19.

La question est de savoir si la guerre aurait pu être évitée et si le Premier ministre Nikol Pachinian est capable de mener le pays sur la voie du redressement, après avoir prouvé son incompétence.

Mais ce qui est plus important, c’est que le paysage politique a changé dans la région du Caucase et que la viabilité de l’Arménie en tant qu’État souverain est remise en question.

Les principaux acteurs de la région, la Russie et la Turquie, sont bien implantés. Il est évident que la guerre était un outil nécessaire pour que les deux parties poursuivent et atteignent leurs objectifs stratégiques. Il appartient désormais aux dirigeants arméniens de tracer la voie de leur survie en marge de la rivalité des deux grandes puissances. Malheureusement, l’espace de manœuvre est devenu extrêmement limité. Deux raisons à cela : au cours des trois décennies, l’Arménie n’a pas conçu des forces défensives de manière adéquate, elle a également gaspillé les possibilités diplomatiques de forger des alliances.

Tout au long de la guerre tragique et sanglante lancée par l’Azerbaïdjan, la communauté internationale n’a réagi que du bout des lèvres. Maintenant vient le remède du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui a été écarté par la Russie et la Turquie pendant la guerre.

Mais il s’avère que le remède est pire que le mal lui-même.

La Russie et la Turquie, après avoir déclenché la guerre « nécessaire », ont abandonné la responsabilité de ramasser les morceaux aux mains de l’OSCE, qui a publié une déclaration conjointe cette semaine, signée par les ministères des Affaires étrangères des pays coprésidents du groupe de Minsk, les États-Unis, la France et la Russie.

Alors que l’Arménie doit relever les défis de l’interprétation et la mise en œuvre du document signé le 9 novembre mettant fin à la guerre, la déclaration de l’OSCE jette plus de leurre sur la situation politique. Chaque prémisse et présomption doit en être analysé.

Les coprésidents, dans leur déclaration, saluent le cessez-le-feu et rendent indirectement hommage à la Fédération de Russie pour son initiative. Ils demandent en outre aux signataires de s’acquitter de leurs obligations avec diligence tout en reconnaissant la participation à la guerre de mercenaires étrangers.

Ils appellent également au départ complet et total de la région de tous les mercenaires et appellent toutes les parties à faciliter ce départ. Cette déclaration est l’un des aspects les plus cyniques du document, car elle ne nomme pas la partie – la Turquie – qui a illégalement conduit des mercenaires sur le champ de bataille et ensuite, sur un ton plus cynique, s’est déchargé de sa responsabilité « sur toutes les parties » pour faciliter ce départ.

Il est du devoir du gouvernement arménien de protester vigoureusement contre ce fardeau politique injuste qui lui est assigné.

La question suivante est « le droit humanitaire international, en particulier en ce qui concerne l’échange des prisonniers de guerre et le rapatriement des dépouilles ».

Aucun des appels de la Croix-Rouge internationale et du gouvernement arménien n’a rencontré de réponse de Bakou. Quel est le recours ou le remède que les coprésidents entendent apporter à ce cas flagrant de non-conformité ?

Les parties « soulignent également l’importance de la protection du patrimoine historique et religieux dans et autour du Haut-Karabagh ».

Sur cette question, nous avons appris que le président Poutine était fermement résolu à ce que ces biens culturels et religieux jouissent de sa protection personnelle. Pourtant, le président Aliev a répondu à toutes ces déclarations par une moquerie en désignant un faux prêtre de la secte Oudi comme gardien de Dadivank, l’un des monastères arméniens les plus anciens, situé à Kelbajar.

Tout ce qui est contenu dans la déclaration est assez scandaleux. Cependant, ce qui n’est pas contenu est encore plus néfaste, car cela sape les valeurs mêmes que le Groupe de Minsk a soutenues jusqu’à présent – nous nous référons à la question du statut juridique du Karabagh.

Tout au long des années écoulées depuis la fin de la guerre précédente pour la libération du Karabagh, le groupe a poursuivi ses négociations sur la base de principes spécifiques. Ces principes découlent de l’Acte final des déclarations d’Helsinki – le non-recours à la force, l’intégrité territoriale et le droit à l’autodétermination.

Ce document ne fait aucune référence à ces principes, et encore moins à l’absence de condamnation du contrevenant à ces principes. L’Azerbaïdjan a violé le premier principe en utilisant la force pour résoudre le conflit.

On serait incapable de trouver une référence à la violation du premier principe du groupe de Minsk.

En violant le premier principe, l’Azerbaïdjan a atteint son objectif de restaurer son intégrité territoriale, même si ce faisant, il a délégitimé le deuxième principe.

Par conséquent, si l’Azerbaïdjan a déjà « mis en œuvre » les deux premiers principes, le seul principe qui reste à être sauvé par l’OSCE est le dernier: définir le statut juridique du Haut-Karabagh par l’application du troisième principe, celui de l’autodétermination. Puisqu’il n’est pas fait mention du troisième principe, la question se pose de savoir pourquoi revenir au processus de négociation dans le cadre de l’OSCE, alors que deux des principes ont été violés et que le troisième est apparemment nul ?

Il est important de comprendre lequel des trois coprésidents a dû s’opposer à l’inclusion de la question du statut à l’ordre du jour du groupe. Le président russe Vladimir Poutine et le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov ont récemment déclaré que la question du statut n’avait pas été résolue et devait être réglée à un moment donné.

Il est également intéressant de noter que les positions de la France et des États-Unis ne se reflètent pas dans le document. Les chambres haute et basse de France ont voté à une écrasante majorité en faveur de la reconnaissance de l’indépendance du Karabagh, tandis que le président Emmanuel Macron lui-même a critiqué le président turc Recep Tayyip Erdogan pour avoir introduit des mercenaires au Karabagh.

De même, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a eu un échange amer avec le ministre des Affaires étrangères de Turquie, Mevlut Çavusoglu, lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN sur les activités de déstabilisation de la Turquie en Méditerranée orientale et l’introduction de mercenaires étrangers au Karabagh.

Aucune de ces prises de position politiques n’apparaît dans la récente déclaration.

Pendant ce temps, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev a déclaré dans une entrevue à la BBC que les Arméniens avaient raté l’occasion de régler la question du statut et qu’il était maintenant trop tard pour la reprendre. Les Arméniens du Karabagh recevront la citoyenneté azerbaïdjanaise et bénéficieront de salaires plus élevés et de prestations de retraite qui ne sont pas disponibles en Arménie, a-t-il déclaré. Des déclarations similaires ont été réitérées par le ministre azerbaïdjanais des Affaires étrangères Jayhoon Bayramov.

Le fait que Moscou colporte en douceur la question du statut juridique est dû à des arrière-pensées; La Russie veut offrir sa citoyenneté aux Arméniens en utilisant la même manœuvre qu’en Abkhazie et en Ossétie du Sud, pour toujours maintenir le droit légal de protéger ses citoyens légitimes au cas où l’Azerbaïdjan entreprendrait de retirer les forces russes de son territoire. Dans un article paru dans la publication du Conseil des affaires internationales de la Russie, Pietro Shakarian déclare: « Dans le scénario idéal de la Russie, le statut final du Karabagh lui-même serait déterminé de manière neutre. Si le Kremlin cherche véritablement une solution juste et durable à ce problème prolongé, il pourrait le maintenir en tant qu’entité indépendante contrôlée par les soldats de la paix russes, permettant aux Arméniens et aux Azerbaïdjanais de coexister et de vivre ensemble.

Les Arméniens ont non seulement perdu la guerre, mais ils sont confrontés à une sombre perspective de règlement de la paix.

Malgré toutes les dénégations, la Turquie se déclare partie intégrante de la force de maintien de la paix. Elle a déjà l’intention de se présenter dans les territoires récupérés du Karabagh. Cela signifie que la présence turque ne se limite pas au soi-disant « centre de surveillance ». Ce qui est plus alarmant, c’est que la Russie a également consenti à un tel centre de surveillance pour la Crimée. La question se pose de savoir que si la Russie est si faible et accommodante, dans quelle mesure ses garanties de paix peuvent-elles être fiables?

Si le Groupe de Minsk reprend un nouveau processus de négociation, en utilisant ce document comme ligne directrice, alors il démarre du mauvais pied et met en échec ses propres principes. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.