Les prochaines négociations arméno-azerbaïdjanaises seront le prolongement des pourparlers arméno-turcs, qui ont débuté avec l’assurance qu’il n’y aura pas de conditions préalables. Ankara a déplacé les négociations vers un domaine connexe, où des conditions préalables ont émergé. Alors que la Turquie insistait sur l’absence de conditions préalables, dans l’intervalle, elle a déclaré qu’elle coordonnait ces pourparlers avec l’Azerbaïdjan, où des conditions préalables ont émergé.
Après deux séries de pourparlers turco-arméniens, dont ont émergé des « signes positifs », il semble que ces pourparlers soient temporairement suspendus, en attendant le résultat des pourparlers entre Nikol Pachinian et Ilham Aliev à Bruxelles le 6 avril (après être allé sous presse). De cette façon, le dirigeant turc Recep Tayyip Erdogan est tiré d’affaire vis-à-vis de l’administration Biden, qui avait initialement demandé à M. Erdogan de normaliser ses relations tendues avec l’Arménie. Si les pourparlers Pachinian-Aliev ne produisent aucun résultat concret, la Turquie aura amplement l’occasion de blâmer la partie arménienne.
En préparation du sommet du 6 avril, Pachinian a fait une présentation détaillée devant le Conseil de sécurité arménien, où il a souligné les principaux problèmes. Il a révélé que le pays est confronté à une situation difficile, car Bakou a envoyé un plan de paix en cinq points, avec un avertissement voulant que si un traité de paix n’est pas signé immédiatement, la prochaine étape serait la guerre.
Pourtant, de nombreux problèmes en suspens entre les deux pays n’ont pas été résolus et les conditions fixées par la déclaration tripartite du 9 novembre 2020 n’ont pas été remplies : les réfugiés n’ont pas été réinstallés, les prisonniers de guerre arméniens n’ont pas été libérés et les forces azerbaïdjanaises n’ont pas quitté les régions de Sevlij et autres zones frontalières d’Arménie.
Erévan a accepté les négociations, même si l’un des cinq points de la proposition azerbaïdjanaise est l’accord mutuel sur l’intégrité territoriale des deux pays.
Cela signifie que l’Arménie devra accepter la prémisse que le Karabagh fait partie de l’Azerbaïdjan. Bref, le destin du peuple du Karabagh est sur le billot.
La Turquie et l’Azerbaïdjan se hâtent de créer des victoires irréversibles sur le terrain, maintenant que l’Arménie est en position de faiblesse après sa défaite et que la Russie et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) sont pleinement engagées dans la crise ukrainienne.
Récemment, une délégation militaire britannique se serait rendue en Azerbaïdjan, ce qui pourrait signaler que ce dernier a les mains libres pour éventuellement ouvrir un deuxième front contre la Russie en attaquant l’Arménie dans un autre jeu de pouvoir mondial.
Dans le contexte d’une réprimande pointilleuse du Département d’État américain à Bakou, accusant ce dernier d’aggraver les conflits frontaliers, et malgré la position critique des États-Unis sur le génocide culturel de l’Azerbaïdjan dans les territoires occupés, la récente dérogation à l’article 907 de la loi sur le soutien à la liberté ne devrait pas être interprété comme un mouvement politique anti-arménien parce que cela reflète la stratégie globale des États-Unis de contenir la Russie. L’Arménie fait simplement partie des dommages collatéraux.
Les États-Unis ou les puissances occidentales n’ont pas les moyens de neutraliser ou de pousser la Russie hors du Caucase. Ce rôle a été relégué à la Turquie, qui est devenue le mal nécessaire pour les deux camps opposés. C’est pourquoi toutes ses transgressions sont pardonnées ; par exemple, après avoir blâmé la Russie pour son agression en Ukraine et voté contre la Russie pour l’annexion de la Crimée, Erdogan a le courage de refuser de respecter les sanctions imposées à la Russie par l’Occident.
La Turquie opère dans un espace d’impunité qu’elle s’est créé. Par conséquent, fonder des espoirs sur un grand pays pour aider l’Arménie contre l’agression turque et azerbaïdjanaise est irréaliste.
Nous devons admettre à contrecœur que le voyage de Pachinian à Bruxelles ne peut se résumer qu’à la signature d’un autre document de capitulation, similaire à la déclaration du 9 novembre 2020.
La seule garantie pour préserver la sécurité et la souveraineté de l’Arménie – et par extension du Karabagh – sont les forces armées, pas nécessairement en gagnant une guerre mais en dissuadant de la faire.
Lors de la dernière guerre, les forces armées arméniennes ont combattu vaillamment pendant 44 jours, malgré les réseaux d’espionnage, les défections et le dysfonctionnement de ses missiles Iskandar. Depuis la guerre, quatre chefs d’état-major et trois ministres de la défense ont été inculpés, ce qui n’augure rien de bon.
La Turquie et l’Azerbaïdjan ont choisi Bruxelles pour le sommet du 6 avril contrariant ainsi Moscou, la ville abritant le siège de l’OTAN. C’est pourquoi le président Poutine a appelé frénétiquement le président Aliev et le Premier ministre Pachinian. Même après des appels à chaque parti, Poutine a rappelé Pachinian, certainement pour l’avertir de ne pas franchir certaines lignes rouges.
Soit dit en passant, la guerre en Ukraine est une épée à double tranchant face à l’Arménie ; si la Russie remporte une victoire écrasante, il y a de fortes chances que la perspective d’un « État d’union » reprenne vie et que l’Arménie devienne candidate à l’adhésion. Si, au contraire, la Russie y est humiliée, l’Occident la chassera du Caucase. Dans ce scénario, le garant de la sécurité de l’Arménie ne sera pas directement l’Occident, mais son substitut dans la région, la Turquie. Cela devrait certainement faire frémir.
Il est à propos de citer ici la sénatrice française Valérie Boyer, qui, commentant une déclaration dans le quotidien Le Figaro, a déclaré cette semaine : « Lors de l’agression à grande échelle de 2020, l’Azerbaïdjan, avec le soutien de la Turquie, a massacré les Arméniens d’Artzakh avec des bombes, du phosphore blanc et des drones. L’esprit génocidaire s’est réveillé en eux. Et le monde regarde en silence sans lever le petit doigt. Les empiètements se poursuivent dans une atmosphère d’indifférence. »
Le ministère arménien des Affaires étrangères a pour habitude de délaisser ses avoirs avant de s’asseoir à la table des négociations. Cela s’est produit avant les négociations arméno-turques et cela se reproduit maintenant, en préparation du sommet du 6 avril. Le rédacteur en chef du Caucase turc à Eurasianet, Joshua Kucera, écrit : « Concéder la souveraineté sur le Karabagh représenterait un tournant dramatique pour Erévan. Le gouvernement arménien admet effectivement que les Arméniens ne seront pas en mesure de conserver le contrôle du Haut-Karabagh, ouvrant la voie à l’Azerbaïdjan pour reprendre le contrôle total de la souveraineté sur le territoire et augurant d’un avenir incertain pour les résidents arméniens actuels de la région. La concession n’a pas été faite explicitement mais plutôt via un changement manifeste dans la rhétorique officielle d’Erévan. »
Pour corroborer sa déclaration, Kucera cite le ministre arménien des Affaires étrangères Ararat Mirzoyan : « Pour nous, le conflit du Haut-Karabagh n’est pas une question territoriale, mais une question de droits. »
Cela prépare le terrain pour abandonner le Karabagh, alors qu’il y a d’autres options à explorer ; l’une de ces options est le principe de la « sécession corrective », qui a été utilisé avec succès dans le cas du Kosovo, du Soudan du Sud et du Timor oriental afin d’accéder à l’indépendance. Le Karabagh est un cas parfait étant donné la politique génocidaire de l’Azerbaïdjan.
Les « droits » sont des formulations assez vagues, dans lesquelles l’OSCE peut facilement situer certains droits culturels après avoir placé la tête du peuple du Karabagh sous la hache de Ramil Safarov. Bien sûr, ce dernier cas est symbolique, remontant à 2004, à Budapest, lorsque Safarov a décapité un soldat arménien, Gourgen Margarian, un autre participant à un programme parrainé par l’OTAN. Safarov a été arrêté mais rapatrié en Azerbaïdjan, où le gouvernement hongrois a été assuré qu’il irait directement en prison. Au lieu de cela, il a été accueilli en héros, a reçu un pardon complet et une promotion.
Face à une communauté internationale résolue, Aliev peut même acheter le principe des droits.
La confusion et le désespoir se répandent parmi la population du Karabagh. Officiellement, 117 000 Arméniens vivent dans cette enclave. Leur ténacité est incroyable : ils prennent, malgré tout, soin de leur terre. Chaque citoyen du Karabagh est un vote pour la survie de cette république autoproclamée. Il y a encore 22 000 réfugiés du Karabagh en Arménie qui sont prêts à retourner sur cette terre dévastée et à la défendre. Au lieu de les aider, le gouvernement arménien distribue des fonds aux partis politiques en dehors du parlement pour acheter de l’influence. Encore une fois, la petite politique intérieure prime sur l’existence même du Karabagh.
Il y a de l’incertitude dans et autour du Karabagh. Le président Arayik Haroutiounian du Karabagh a appelé Moscou à augmenter le nombre de ses soldats de la paix pour y renforcer la sécurité. Alors que l’Ossétie se prépare à se joindre à la Russie dans l’État de l’Union, cette initiative a alimenté l’imagination de certains politiciens du Karabagh. Hayg Khanoumian, ministre du gouvernement local et des infrastructures publiques du Karabagh, a déclaré dans une entrevue : « C’est ce qui alimente les appels de certains Arméniens du Karabagh pour un référendum sur l’intégration à la Russie ».
Malheureusement, le Karabagh n’est pas la fin du jeu politique de la Turquie et de l’Azerbaïdjan. Ils ont été brutalement honnêtes dans leurs plans et ont déclaré avec arrogance qu’après le Karabagh, c’est le Zangezour, et peut-être toute l’Arménie elle-même, que M. Aliev nomme l’Azerbaïdjan historique. Zangezour est une tranche de terre précieuse pour l’Azerbaïdjan, une porte d’entrée pour la Turquie pour unir les républiques d’Asie centrale à son empire touranique, tandis que pour l’occident, c’est l’état final d’encerclement et de confinement de la Russie. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.