Le pouvoir judiciaire arménien ébranlé par un scandale

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 2 juillet 2022

Lorsque Nikol Pachinian est arrivé au pouvoir en 2018, il a placé sous son contrôle les branches législative et exécutive du gouvernement. Il a acquis ainsi un pouvoir absolu sur le front législatif parce qu’il a pu installer un parlement d’approbation par l’intermédiaire de son parti au pouvoir, le Contrat civique. Le pouvoir judiciaire, cependant, est resté hors de sa portée, mais pas pour longtemps.

Il ne fait aucun doute que le système judiciaire avait besoin d’être réformé en raison de la corruption endémique durant le précédent régime et le système était utilisé comme un appareil permettant au gouvernement de régler des comptes ou de poursuivre des ennemis présumés. Il y avait certainement des juges honnêtes qui exerçaient leur travail avec intégrité. Cependant, Pachinian lui-même et son entourage ont décidé de retirer une page du livre de jeu de l’ancien régime plutôt que d’apporter les changements nécessaires dans le système judiciaire. Leur mot d’ordre est devenu loustratzia (purge en russe arménisé) et pour réaliser cette purge, ils n’ont pas hésité pas à utiliser tous les moyens, légaux et illégaux.

Dès le début, Pachinian s’est concentré sur les tribunaux. Dans ses premiers jours au pouvoir, il a ordonné à la foule de bloquer l’entrée des tribunaux, paralysant ainsi le système.

L’ancien président Robert Kotcharian était une cible de choix pour le nouveau régime.

Kotcharian n’avait pas les mains propres mais les méthodes utilisées pour l’embarrasser allaient bien au-delà des paramètres légaux. Il est certainement responsable des événements du 1er mars 2008 au cours desquels 10 personnes ont été tuées. Mais après que la nouvelle administration ait embarrassé Kotcharian pendant un an et l’ait maintenu illégalement derrière les barreaux avant son procès, il a été acquitté parce que le tribunal a conclu qu’il n’y avait aucun article dans la constitution sur lequel fonder une poursuite contre l’ancien président. Par conséquent, le gouvernement a décidé de modifier la constitution pour pouvoir poursuivre Kotcharian.

Le suivant dans le viseur de l’administration a été Hrayr Tovmasyan, alors président de la Cour constitutionnelle. Il a été persécuté par le gouvernement et traqué par les médias fidèles. La campagne n’a abouti qu’à le destituer du poste de président. Cependant, il s’est battu avec ténacité pour demeurer à la cour constitutionnelle.

Nikol Pachinian n’a cessé de blâmer l’ancien régime, dont les dirigeants contrôlaient les tribunaux et sous la surveillance desquels les juges attendaient des appels de la branche exécutive pour obtenir leurs ordres concernant les verdicts. Pachinian s’est vanté de n’avoir jamais téléphoné à aucun juge. Il faut croire sa déclaration, car lorsqu’il pourra placer ses copains qui connaissent l’agenda politique de l’administration sur les bancs du tribunal, ils agiront en conséquence et n’auront pas besoin de rappels téléphoniques.

Jusqu’à présent, les actions des cercles dirigeants méritaient peut-être le bénéfice du doute, qu’ils aient agi de bonne foi et dans le respect des normes légales. Pourtant, de récents scandales ont révélé toute la vérité sur le processus mené pour « réformer » le système judiciaire. L’étoile du scandale est un juge notoirement corrompu qui avait quitté le navire du précédent régime pour sauver sa peau après la révolution de velours. Il s’appelle Gagik Jhangirian. Après que le scandale ait été rendu public, Jhangirian a avoué qu’il avait agi dans le but de bloquer le retour au pouvoir de Robert Kotcharian, c’est-à-dire qu’il avait été chargé par l’exécutif d’exécuter une mission politique en utilisant le processus judiciaire.

Le prochain sur la ligne de purge est Rouben Vartazarian, le président du Conseil supérieur de la magistrature (SJC). Le devoir de cet organe est de superviser les tribunaux et de réglementer la conduite des juges.

Après la signature de la capitulation du 9 novembre, une foule est entrée dans le parlement et a attaqué le président du Parlement, Ararat Mirzoyan. Pachinian voulait que les assaillants soient sévèrement punis, mais Vartazarian a libéré les assaillants et a publiquement affirmé que des pressions gouvernementales avaient été exercées. Cette action lui a coûté son poste et a lui-même été accusé d’entrave à la justice.

Vartazarian a nié les accusations et a déclaré qu’il avait été inculpé parce que le gouvernement prévoyait le remplacer par le susmentionné Gagik Jhangirian. Le gouvernement aurait pu avoir gain de cause devant le tribunal de l’opinion publique n’eut été des méthodes sournoises mises en œuvre par Jhangirian pour tenter de convaincre Vartazarian de présenter volontairement sa démission.

Ces méthodes sournoises semblent être devenues une pratique courante pour le régime de Pachinian ; inculper des gens d’accusations forgées de toutes pièces et régler des comptes avec eux.

Ainsi, une rencontre a été organisée dans un restaurant entre Jhangirian et Vartazarian. Nous apprenons maintenant que ce dernier a secrètement enregistré leur discussion et qu’il a rendu publique 14 minutes de cette bande. Au cours de leur discussion, Jhangirian a promis qu’il abandonnerait les accusations contre Vartazarian s’il démissionnait volontairement. Il ne suffit pas qu’il ait commis un crime, mais le langage grossier qu’il a utilisé était plein de blasphèmes déplacés pour un juge ou même un citoyen ordinaire. Jhangirian est apparu plus tard dans un talk-show avec Petros Ghazarian et s’est excusé auprès de toutes les femmes d’Arménie : « Sœurs, filles, épouses, les déclarations malheureuses ne vous étaient pas destinées. Je m’excuse. »

Tous les médias arméniens se sont indignés. Même les analystes politiques amis du régime ont demandé à Jhangirian de démissionner de son poste de président intérimaire du Conseil supérieur de la magistrature, poste précédemment occupé par Vartazarian.

Malgré le scandale qui faisait rage, Jhangirian a eu le culot de faire face au public pour présenter le verdict contre Vartazarian. Dans une déclaration lue par Jhangirian, le CJS a déclaré que Vartazarian avait été limogé en tant que président et membre du conseil ainsi que juge du tribunal de première instance d’Erévan pour « violations disciplinaires importantes ».

Malheureusement, la décision a été soutenue par huit membres dociles du SJC et une dissidence. Jhangirian a également recouru à une ruse consistant à antidater le document au 16 juin, avant la date de la fuite de la bande sonore.

Après la diffusion de la bande, le public est demeuré choqué et le gouvernement est resté silencieux. Mais après quelques questions des médias, certains membres du parlement, y compris du parti au pouvoir, ont commencé à justifier le marché scandaleux entre les deux juges comme « le cours normal des affaires entre deux collègues ».

Ce scandale entache tout le processus de réforme du système judiciaire que Pachinian prétend vouloir instaurer.

L’ancien régime utilisait les tribunaux pour régler ses comptes politiques et nous découvrons maintenant que le régime « révolutionnaire » n’est pas différent. Cela ternit toutes les affirmations selon lesquelles le régime essaie de démocratiser le système dans lequel trois branches du gouvernement doivent chercher un équilibre et se contrôler.

L’utilisation des tribunaux comme main courante du régime s’est également manifestée lors des élections locales, lorsque les représentants de l’opposition gagnants aux urnes sont placés derrière les barreaux avec de fausses accusations, comme cela s’est produit à Vanadzor. Là, Mamigon Aslanian était le vainqueur incontesté, mais il s’est plutôt retrouvé en prison lorsque les votes n’ont pas pu être modifiés.

Alors que l’Azerbaïdjanais Ilham Aliev menace quotidiennement les frontières de l’Arménie, la priorité du gouvernement Pachinian doit passer d’une chasse aux sorcières interne à la protection du pays. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.