Le temps des règlements de compte

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 2 août 2018

Il y a longtemps, lors d’une rencontre entre l’Arménie et la Diaspora, à Erévan, en présence de 3 000 participants, un incident dramatique s’est produit. Le Premier ministre Vazgen Sargissian, de retour des États-Unis, avait annoncé sa détermination à éradiquer la corruption en Arménie. C’était un personnage plus grand que nature à la voix forte qui répondait à sa présence physique. En prononçant son discours, il a tenté de rassurer l’auditoire de la diaspora sur le fait que l’Arménie établirait des lois plus transparentes pour sécuriser les investisseurs étrangers. Ensuite, a-t-il ajouté, « certains responsables au plus haut niveau de notre gouvernement ont plaidé pour fournir des garanties personnelles aux investisseurs étrangers. Ces garanties personnelles n’existent pas. Nous devons appliquer rigoureusement les lois. » Et il a tourné son regard vers le président Robert Kotcharian assis sur l’estrade. À ce moment-là, j’ai vu Kotcharian se faire visiblement tout petit sur son siège, lui qui courait partout et donnait des assurances personnelles aux investisseurs.
J’ai senti à ce moment-là le destin de Kotcharian condamné.
Je ne savais pas que les rôles seraient inversés lors du massacre au parlement, le 27 octobre 1999 et que Vazgen Sargissian et le président du Parlement, Karen Demirchian, seraient parmi les premières victimes.
Tout au long, ces trois puissants hommes d’État, à savoir Demirchian, Sargissian et Kotcharian, ont été considérés comme un trio travaillant ensemble.
Le massacre d’octobre 1999 a prouvé qu’ils étaient des prétendants au pouvoir et qu’il fallait éliminer les autres pour hériter de ce pouvoir absolu. Celui qui a émergé était Robert Kotcharian.
Le chef des terroristes, Nairi Hounanian, a convoqué Kotcharian au parlement afin de négocier sa reddition. Kotcharian est arrivé et a eu une discussion en tête-à-tête avec Hounanian. Personne, à ce jour, ne connaît le contenu de cette discussion. Mais depuis le 27 octobre 1999, un nuage de suspicion plane au-dessus de lui. Aucune poursuite en bonne et due forme n’a été intentée, mais le fait que Kotcharian ait bénéficié officieusement du crime a fait de lui le principal suspect. Il n’a pas permis à la procédure légale de suivre son cours, ce qui, en quelque sorte, confirme les soupçons.
Vendredi 27 juillet 2018, Kotcharian a été arrêté et mené devant la cour du district d’Erévan pour un autre crime qu’il aurait commis le 1er mars 2008. D’énormes rassemblements avaient suivi l’élection présidentielle de février 2008, contestant le résultat.
Le transfert de pouvoir n’avait pas encore eu lieu. Après de longues et persistantes manifestations, Kotcharian a ordonné à l’armée de nettoyer le Parc de la liberté. Dans la mêlée qui a suivi, huit citoyens et deux policiers ont été tués. Puis, Serge Sargissian est monté sur le trône, enjambant le sang de ces victimes. Les manifestations avaient été organisées par l’ancien président Levon Ter-Petrossian, avec Nikol Pachinian à ses côtés. Les gens n’ont jamais oublié ni pardonné ce crime à Kotcharian.

Kotcharian est accusé d’avoir « renversé l’ordre constitutionnel » au lendemain de ces élections présidentielles controversées de février 2008, qui auraient été remportées par le biais de la fraude électorale.

Depuis lors, l’opposition a refusé de reconnaître la légalité de l’élection de Sargissian. Puis, les tensions se sont accrues, ce qui a finalement abouti à la révolution de velours de mai dernier.
Les avocats de Kotcharian insistent sur le fait qu’il jouit de l’immunité en vertu de l’article 140 de la constitution de l’Arménie. L’article stipule en particulier : « Pendant la durée de son mandat et par la suite, le président de la République ne peut être poursuivi et soumis à la responsabilité pour les actes découlant de son statut ».
Kotcharian lui-même a, à plusieurs reprises, défendu la répression post-électorale, affirmant que cela empêchait une prise de pouvoir violente par l’opposition, dirigée par Ter-Petrossian.
Avec un soupir de soulagement en Arménie, la population croit que le jour du jugement est enfin arrivé.
Il y a convergence entre les canaux légaux et l’humeur du public. Le peuple est tellement en colère qu’il exige la poursuite et la condamnation de Kotcharian avec tout le poids de la loi.
Bien sûr, il existe des voix dissidentes. Naturellement, le Parti républicain de Serge Sargissian n’est pas satisfait de l’arrestation de Kotcharian et a publié une déclaration accusant le gouvernement de prendre des mesures liées à des motivations politiques. La direction de la FRA (Dachnaktsoutioun) d’Arménie a également publié une déclaration de protestation.
Ce parti a bénéficié des largesses de Kotcharian et de Sargissian. Kotcharian avait libéré de prison les conspirateurs qui avaient l’intention de renverser le gouvernement de Ter-Petrossian. Plus tard, le parti a été réorganisé et s’est joint au gouvernement de coalition de Serge Sargissian uniquement pour sauter du bateau et se rapprocher de la révolution de velours dès que Pachinian a été élu premier ministre.
Kotcharian est accusé depuis le 1er mars 2008, mais le peuple demande au gouvernement de dévoiler les secrets du massacre d’octobre.
Kotcharian est également redevable d’une fortune estimée à 4 milliards de dollars. Certaines personnes ont évalué la valeur nette des avoirs de la famille à environ 10 milliards de dollars.
Ses détracteurs se demandent comment, arrivé du Karabagh avec deux chemises, il est maintenant assis sur un énorme amas d’argent, alors que la moitié de la population arménienne souffre de pauvreté ou abandonne le pays pour trouver un emploi ailleurs.
Il a été le fonctionnaire le plus arrogant et le plus insensible.
La révolution de velours a apporté non seulement la justice et l’unité à l’Arménie, mais aussi l’espoir de se rétablir économiquement et de renverser la tendance de l’émigration.
Les citoyens sont conscients de la menace d’une guerre imminente et, ironiquement, ils demandent à la guerre de se produire aujourd’hui plutôt que demain, car il existe une solidarité entre eux et l’armée. Bien sûr, personne ne souhaite les désastres et les ravages de la guerre, mais aujourd’hui, les Arméniens sont unis pour affronter l’ennemi.
Bien que Pachinian n’ait promis aucune vendetta contre les anciens administrateurs lorsqu’il a entamé sa révolution, les gens sont en colère contre Kotcharian, pensant qu’il ne mérite aucune pitié.
Au fur et à mesure que justice sera rendue, les Arméniens seront gratifiés d’intégrité. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.