Le triangle du Caucase étrangle l’Arménie

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 2 janvier 2020

À son apogée, l’ancien président géorgien, Mikhaïl Saakachvili, a fait une déclaration hostile envers l’Arménie lors d’une visite officielle à Bakou, la capitale azérie. Il a déclaré : « L’ennemi de l’Azerbaïdjan est l’ennemi de la Géorgie ».

Aucune réfutation officielle n’a jamais été émise par un représentant géorgien, du moins publiquement. Et pourtant, cet antagonisme se poursuit envers l’Arménie, sinon en paroles, certainement en actes.
Les relations houleuses entre l’Arménie et la Géorgie se sont poursuivies tout au long des années de l’indépendance, principalement en raison de la jalousie latente des Géorgiens envers les Arméniens, mais aussi en raison de l’hostilité de la Géorgie envers Moscou, principal allié stratégique de l’Arménie.
Après la révolution de velours en Arménie, les ouvertures d’Erévan vers Tbilissi n’ont apporté que des changements cosmétiques. En 2018, les ministres de la défense de trois pays – la Turquie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie – ont signé un pacte militaire en prélude aux ambitions de la Géorgie de se joindre à l’OTAN. Ce pacte a placé la Géorgie dans le camp ennemi. Jusqu’à présent, ce pacte militaire est resté en veilleuse. Cependant, la coopération économique et les traités entre les trois pays du Caucase menacent également l’Arménie, car Ankara et Bakou ont l’intention d’isoler l’Arménie dans la région.
La Turquie n’a pas encore abandonné ses ambitions pantouraniques, s’étendant d’Ankara à l’Asie centrale. Il y a deux nations chrétiennes sur le chemin de cet empire virtuel : l’Arménie et la Géorgie. Cette dernière a volontairement renoncé à sa mission historique dans la région, laissant l’Arménie faire les frais de la fureur du président azerbaïdjanais Ilham Aliev et du président turc Recep Tayyip Erdogan. La récente explosion d’Aliev contre la mémoire de Garéguine Njdeh (Garéguine Ter-Haroutiounian) découle du fait que le héros arménien s’est battu bec et ongles en 1921 pour conserver Zanguezour comme partie intégrante du territoire arménien, bloquant la route de la Turquie vers l’Asie centrale. Le même ressentiment a été exprimé par le président Erdogan lors d’une récente conférence des nations turcophones à Bakou.
Un autre jalon a été posé dans la coopération économique entre les trois pays, lorsque les ministres des Affaires étrangères des trois pays se sont réunis à Tbilissi, le 23 décembre, pour signer des accords sur le commerce et les transports. Les accords ont également une composante politique qui concerne le règlement des différends en suspens dans la région.
L’axe principal des accords est d’ordre économique, en particulier dans l’intégration de leurs réseaux électriques respectifs, car l’Azerbaïdjan prévoit exporter plus d’électricité vers l’Europe. Les transports sont également à l’ordre du jour, car des initiatives ont été prises pour accroître l’utilisation des autoroutes Bakou-Tbilissi-Kars et pour les intégrer aux itinéraires de transport de la Chine, étendant ainsi le territoire du pays vers l’Europe.
L’accord des ministres des affaires étrangères prévoit la reconnaissance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud aux conditions géorgiennes. Inversement, le règlement du conflit du Karabagh devrait être conforme aux conditions d’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. Aucune référence n’est faite au droit à l’autodétermination du Karabagh.
Le ministre géorgien des Affaires étrangères, David Zalkiani, a signé l’accord sans hésitation.
Par conséquent, il appartient à l’Arménie de répondre en nature en reconnaissant l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Mais cette décision ne sera pas jugée politiquement correcte, car la Géorgie reste la dernière route pour l’Arménie par rapport au monde extérieur, car l’Iran, l’autre route de transit, souffre des sanctions américaines.

Il y a beaucoup d’ombres au tableau en ce qui concerne la coopération de ce trio. En premier lieu, la turquification de l’économie géorgienne est considérée comme un piège pour beaucoup à Tbilissi. Plus précisément, la région d’Adjarie est davantage intégrée à l’économie turque qu’à la Géorgie. Une autre ironie est que la Géorgie a délaissé la Russie, tandis qu’Ankara se rapproche du Kremlin, créant une situation étrange pour les planificateurs politiques à Tbilissi.

Dans une autre dimension, l’Azerbaïdjan est une épine du côté de la Géorgie, en raison d’un différend territorial insoluble entre eux concernant le complexe monastique de David Gareja, dont 80% du territoire se trouve en Géorgie, le reste en Azerbaïdjan. Sauf que ce dernier revendique pleinement le complexe comme faisant partie de son patrimoine national. En effet, l’Azerbaïdjan a construit une fausse histoire pour toutes les églises et monastères chrétiens construits par des Albanais du Caucase sur ses terres. Cette affirmation affecte également les Arméniens, alors que les historiens savent que les Albanais du Caucase n’avaient pas de relations ethniques avec les Tartares d’Asie centrale qui se sont installés dans le Caucase au Xe siècle.
La haine géorgienne envers le russe peut atteindre des niveaux déraisonnables, provoquant des blessures auto-infligées.
Les relations de l’Arménie avec la Géorgie restent indépendantes ; Erévan doit naviguer prudemment dans ces eaux dangereuses et veiller à sa propre survie à chaque minute de chaque jour. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.