L’économie de l’Arménie étouffée par une guerre non déclarée

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 14 décembre 2017

L’Arménie se trouve prise entre le marteau et l’enclume. Tous les développements régionaux contournent l’Arménie soit par conception, soit par négligence.
L’Azerbaïdjan et la Turquie sont contre l’Arménie et ont utilisé leur influence économique et politique pour isoler Erévan de tous les projets régionaux, utilisant le conflit du Karabagh comme excuse, et incitant même certains experts arméniens désespérés à conseiller au gouvernement arménien de faire des concessions ou des compromis dans le conflit.
Cependant, les familiers de l’histoire mettront en garde contre de tels compromis et le peuple arménien se rend compte que le conflit avec l’Azerbaïdjan ne commence ni ne finit au Karabagh; il est profondément ancré dans l’histoire et fait face aux véritables intentions du panturquisme. L’Arménie est, et a été, un obstacle sur la voie d’un grand empire ottoman, et pour réaliser ce rêve, a déjà été la cible d’une tentative de disparition de la carte.
Les autres puissances régionales – et certaines nations amies – ont une approche pragmatique face à tous ces problèmes ; leur participation aux projets régionaux est dictée par leurs propres intérêts nationaux. La Géorgie, l’Iran et la Russie sont censés être des pays amis de l’Arménie, mais ils l’ont pratiquement abandonné face à la Turquie. Compte tenu de leur intérêt personnel, l’Arménie a été laissée à elle-même pour survivre.
L’hostilité de la Turquie et de l’Azerbaïdjan n’est pas le résultat d’une simple imagination de l’Arménie. Elle est à ciel ouvert. Elle s’exprime en mots et en actes.
Selon le porte-parole turc Haberler, le président Recep Tayyip Erdogan, s’exprimant lors de la récente conférence de son parti AK, s’est plaint du fait qu’« Erévan garde officiellement les portes de l’amitié avec la Turquie fermées sous la pression de la diaspora arménienne. Ainsi, l’Arménie est évincée des projets régionaux de transport et d’énergie. Elle est, de plus, plongée dans un profond isolement », et a ajouté que la Géorgie a réussi à rétablir des ponts entre la Turquie et l’Occident.
Mais la Géorgie n’a pas changé le ton de ses relations avec l’Arménie depuis l’époque où Mikhaïl Saakachvili était son président et avait annoncé avec arrogance que « quiconque qui s’oppose à l’Azerbaïdjan est l’ennemi de la Géorgie ».
Bien que de nos jours, Saakachvili est considéré comme un renégat et est recherché dans son propre pays, la politique qu’il a élaborée vis-à-vis de l’Arménie est toujours de mise.
Tbilissi est un partenaire de tous les projets régionaux qui excluent l’Arménie. Elle a, par exemple, voté en faveur de l’Azerbaïdjan sur la résolution 62/243 de l’Assemblée générale des Nations Unies alors que l’Arménie s’est abstenue de reconnaître l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie malgré les attentes des Russes.
Après l’achèvement du réseau de canalisations énergétiques du Caucase qui contourne l’Arménie, la construction du système ferroviaire semblait prometteuse en raison de la chute spectaculaire des prix du pétrole, mais le projet chinois de développement des infrastructures de 1 000 milliards de dollars a redonné vie à la ligne de chemin de fer Bakou-Tbilissi-Kars (BTK). Cette fois, non seulement l’Arménie en était la victime, la Russie en a été également exclue. Malgré une certaine coopération et une coordination politique entre la Chine et la Russie autour des questions internationales, de profonds soupçons et une concurrence féroce demeurent.
La Chine a aidé les pays d’Asie centrale à construire une partie du système ferroviaire de la Route de la Soie qui devrait être éventuellement reliée au BTK.
Ce nouveau système ferroviaire punira non seulement l’Arménie elle-même, mais aussi les Arméniens d’origine vivant à Akhalkalaki, où une gare est en cours de construction.

Les autorités géorgiennes espèrent que le BTK créera des emplois et assurera la sécurité des habitants isolés d’Akhalkalaki, dans une région où la population arménienne est importante et que les autorités de Tbilissi soupçonnent depuis longtemps d’entretenir des ambitions séparatistes. Le Premier ministre géorgien Giorgi Kvirkashvili a souligné que le potentiel du chemin de fer pourrait permettre un plus grand développement économique et durable … mais les habitants d’Akhalkalaki se plaignent d’avoir vu peu de bénéfice de l’ouverture de la gare. Les Arméniens de la ville pensent que « le projet n’est pas pour nous. »
Les Turcs et les Azéris ont construit des complexes d’habitation pour permettre à leurs travailleurs à s’installer et à profiter de ces emplois. Même le gouvernement géorgien encourage les Metskhets turcs à se réinstaller dans la région pour effrayer les Arméniens. En 2015, des graffitis rouges étaient apparus sur la vieille forteresse ottomane d’Akhalkalaki avertissant les Arméniens locaux, « Nous reviendrons ».
La turquisation de la Géorgie progresse rapidement. Les Turcs ont distancé l’économie de l’Adjarie et traitent même les Géorgiens comme des citoyens de seconde classe.
Les Géorgiens sont inquiets et se sont armés. Récemment, des habitants d’un autre village appelé Dardash, à la frontière de la Géorgie et de la Turquie, ont bloqué l’autoroute reliant les deux pays pour protester contre l’anarchie introduite en Géorgie depuis l’ouverture de la frontière avec la Turquie en 2015.
Le président Erdogan lui-même a publiquement annoncé que l’Adjarie faisait partie de l’Empire ottoman et devait être rendue à la Turquie.
Voilà maintenant un autre système ferroviaire qui contournera l’Arménie: le Corridor Nord-Sud (NSTC). La NSTC est la liaison ferroviaire arméno-iranienne, également connue sous le nom de South Armenian Railway, qui relierait le port iranien de Bandar Abbas à la mer Noire et la Russie en traversant l’Arménie et la Géorgie.
Rahim Rahimov, un correspondant basé à Londres, a écrit dans le quotidien Eurasian Monitor: « Le président Aliev a mentionné le mois dernier que deux corridors de transport seraient intégrés. Cela met effectivement fin aux ambitions de l’Arménie de devenir un pays de transit régional et l’affectera politique et économiquement. Pourtant, l’allié le plus proche de l’Arménie, la Russie, n’a essentiellement pas soutenu la position d’Erévan dans ce dossier. »
Incidemment, Tbilissi a profité de la détermination de l’Azerbaïdjan d’exclure l’Arménie et d’inclure la Géorgie dans le système BTK. Le gouvernement géorgien a affirmé qu’il ne disposait pas de fonds suffisants pour construire sa part du système ferroviaire, obligeant Aliev à verser 775 millions de dollars de plus en prêt à la Géorgie.
Dans cette guerre de monopolisation des routes de transport terrestre et des systèmes énergétiques, Bakou et Ankara semblent être plus motivés par l’isolement et l’étouffement de l’Arménie que par la récolte réelle d’avantages économiques que ces développements procurent.
C’est une guerre non déclarée contre l’Arménie; une guerre d’usure avec la participation active de la Géorgie et la négligence passive de la Russie. Edmond Y. Azadian

 

 

Traduction N.P.