L’empereur Ilham Aliyev

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 29 mars 2018

Alors que les co-présidents du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) poursuivent leurs efforts afin de régler le problème du Karabagh, armés du mantra selon lequel il n’existe qu’une solution non militaire au conflit avec l’Azerbaïdjan, le président Ilham Aliyev intensifie sa rhétorique guerrière sans opposition.
Le principal objectif des co-présidents de l’OSCE – États-Unis, Russie, France et Royaume-Uni – est la résolution du conflit du Karabagh, et pourtant, le président Aliyev passe par-dessus et revendique le territoire arménien.
La première requête de ce genre a été faite le 10 février alors qu’il s’adressait au Congrès de son Parti de la Nouvelle-Azerbaïdjan.
Beaucoup en Arménie, ainsi que dans le monde, ont rejeté du revers de la main cette déclaration la considérant comme une rhétorique de campagne électorale inoffensive. Cependant, il a réitéré ces revendications le 19 mars dans son message de Norouz (nouvel an) au peuple azerbaïdjanais. Il a promis de rendre Erévan à l’Azerbaïdjan, la province de Syunik, dans le sud-est de l’Arménie, et les environs du lac Sevan, décrivant ces territoires comme des « terres historiques azerbaïdjanaises ».
Il a conclu son discours par « Ceci est notre objectif stratégique et nous devons progressivement aller de l’avant pour l’atteindre. »
Selon le droit international, faire valoir ses droits sur le territoire d’un voisin est une déclaration de guerre. De nombreux pays se réservent le droit de frappes préventives dans des situations similaires, dans ce cas, Aliyev a fourni une base légale suffisante pour l’exercice d’un tel droit. Mais la situation dans le Caucase est trop complexe pour recourir au lancement d’une riposte.
Dans un contexte politique plus large, la sœur aînée de l’Azerbaïdjan, la Turquie, a intimidé ses voisins en toute impunité et inspire l’Azerbaïdjan qui imite ses jeux. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères arménien, Tigran Balayan, a déclaré que l’appétit territorial d’Aliyev pour l’Arménie grandissait « en raison de l’indifférence de la communauté internationale. »
Lors d’une conférence de presse avec le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères le 27 mars à Erévan, Édouard Nalbandian, ministre des Affaires étrangères d’Arménie, a déclaré : « La créativité azerbaïdjanaise atteint un point tel qu’elle qualifie la capitale arménienne vieille de 2800 ans comme faisant partie du territoire azéri ».
Cette saga dépasse de loin la nature de la rhétorique électorale pour devenir une menace stratégique et existentielle pour l’Arménie. Il y a des raisons objectives qui alimentent l’excès de confiance d’Aliyev, la principale étant la perception de la faiblesse de l’Arménie.
Emil Sanamian, qui connaît bien la politique internationale de l’Azerbaïdjan, suggère qu’il y a une composante émotionnelle dans les revendications scandaleuses d’Aliyev. En effet, il affirme que le père d’Aliyev (et prédécesseur), Heydar, serait originaire du Zangezur rural, alors que la famille de sa mère est originaire d’Erévan et de Spitak. Les deux familles ont été déplacées au Nakhitchevan durant les combats arméno-azerbaïdjanais de 1918-1920.
Avant 1918, il n’existait pas de nation ou de pays d’Azerbaïdjan sur lequel fonder ses revendications historiques contre l’Arménie. Effectivement, les pétrodollars azerbaïdjanais ont acheté des pseudo-universitaires pour fabriquer une histoire ersatz de l’Azerbaïdjan afin d’obtenir une légitimité parmi la famille des nations.
Fouad Abassov, analyste azerbaïdjanais installé à Moscou, a tenté de convaincre les médias russes que l’Azerbaïdjan est un allié plus loyal de la Russie que l’Arménie, et a récemment questionné l’éminent politologue azerbaïdjanais Orkhan Jemal sur le problème du Karabagh. Ce dernier a déclaré que l’Azerbaïdjan ne récupèrera pas seulement le Karabagh mais aussi l’Arménie. Cela démontre que la question est passée du niveau de la rhétorique électorale aux cercles académiques et est devenue l’une des composantes de la politique d’État de l’Azerbaïdjan.

Là encore, le progrès économique et l’intégration de l’Azerbaïdjan dans l’économie du Caucase contrastent avec l’isolement de l’Arménie.
Bien que les messages des cercles officiels de Moscou semblent quelque peu rassurants, les commentaires de ses experts ne diffèrent pas beaucoup des analystes azéris. Un groupe de réflexion russe appelé « Analyses de stratégies et technologies » a mené une étude et publié ses conclusions, qui prévoient une aggravation de la situation au cours des prochains mois pour les raisons suivantes: a) la supériorité technique de l’Azerbaïdjan; b) une possible hausse des prix du pétrole permettant la construction d’un arsenal azerbaïdjanais, c) le déséquilibre démographique, en particulier le dépeuplement de l’Arménie, et d) la perception de l’incapacité de l’Arménie à protéger les territoires en dehors du Nagorny-Karabagh. Tout déclenchement des hostilités pourrait être en faveur de Bakou.
Il y a certainement quelques vérités dans ces conclusions. Cependant, si la direction de l’Azerbaïdjan était convaincue de la véracité de ces déclarations, elle n’aurait pas manqué l’occasion d’une guerre-éclair. L’escarmouche d’avril 2016 a convaincu les Azéris qu’ils n’en étaient pas encore à ce stade.
Dans une guerre moderne, la supériorité numérique des combattants n’est pas un avantage stratégique car toute l’opération est basée sur la technologie. L’armée arménienne est numériquement inférieure à son homologue azerbaïdjanais, mais les planificateurs militaires d’Arménie croient avoir l’avantage technologique de leur côté.
Si la guerre éclate, l’Arménie sera prise de deux côtés, la partie continentale de l’Azerbaïdjan et Nakhitchevan, où une base turque a déjà été créée. Ankara et Moscou devront alors se consulter, Ankara soutenant certainement l’Azerbaïdjan. Mais la Russie soutiendra-t-elle l’Arménie de la même manière ?
Lorsque les États-Unis ont abandonné les Kurdes en Syrie, les laissant à la merci de la Turquie, Ankara a consulté et s’est assuré de la neutralité de Moscou pour lancer son assaut de la branche d’olivier sur Afrine (Syrie). Le même scénario peut se répéter dans le Caucase.
Nous devons garder à l’esprit que la nomination de John Bolton comme conseiller à la sécurité nationale du président Trump pourrait transformer le monde entier en un baril de poudre. Il aurait conseillé à Israël d’attaquer l’Iran. Si, à Dieu ne plaise, il donne le même conseil à la Turquie, forçant cet allié de l’OTAN à faire face à la Russie, alors la situation deviendrait incontrôlable. On sait que M. Bolton est un diplomate dont les impulsions politiques imprudentes engendrent des conséquences dangereuses.
Alors que l’Arménie améliore ses relations avec l’Europe, tout en se plaignant des ventes d’armes de Moscou à l’Azerbaïdjan, le gouvernement du président Vladimir Poutine a envoyé une délégation en Arménie pour s’assurer qu’Erévan ne s’éloigne pas trop du camp russe.
La Russie a l’intention de remplir ses engagements alliés envers l’Arménie en matière de sécurité et de défense, a assuré Konstantin Zatouline, premier vice-président du Comité de la Douma pour les Affaires de la Communauté des États Indépendants lors d’une conférence de presse au Parlement.
« A l’avenir, a-t-il ajouté, la Russie considérera également toute menace militaire contre l’Arménie comme une menace contre elle-même ». Il a également rejeté les menaces et les revendications d’Aliyev comme étant de la rhétorique électoraliste.

À ce stade, la question de savoir si les déclarations et les assurances de M. Zatoulino peuvent servir de contrepoids à la rhétorique d’Aliyev et aux prédictions des experts russes demeure une question sérieuse.
Bien que les forces armées arméniennes prennent ces menaces verbales et les jeux de guerre azerbaïdjanais très au sérieux, les politiciens et les médias ne le font pas. Il existe une certaine nonchalance qui peut être très dangereuse.
Aliyev peut se comporter comme un empereur des temps modernes, mais nous nous moquons de lui uniquement à nos risques et périls. Edmond Y. Azadian

Traduction N.P.