Les 30 ans d’Azg, le pionnier des médias d’information

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 18 février 2021

Le premier président de la République indépendante d’Arménie, Levon Ter-Petrosian, soutient que c’est le mouvement du Karabagh en Arménie qui a fait tomber le mur de Berlin. S’il y a une certaine exagération dans cette déclaration, nous pouvons convenir que le mouvement a été l’un des indicateurs annonçant l’effondrement de l’Empire soviétique et la disparition éventuelle du bloc de l’Est.

À la suite de cet effondrement, les citoyens arméniens, comme les autres républiques constituantes de l’Union soviétique, se sont retrouvés dans une atmosphère de liberté illimitée. Ils étaient submergés par leur nouvelle réalité et ne savaient même pas comment gérer leur nouvelle situation ou utiliser cette liberté de manière responsable pour améliorer leur vie quotidienne.

Cela a été un moment décisif pour l’Arménie. Il fallait trouver des moyens d’exprimer et d’utiliser cette liberté. C’est à ce moment – pour être exact, le 16 février 1991 – que le quotidien Azg a commencé à être publié, devenant un modèle à imiter pour les médias d’information.

Durant la période soviétique, les médias d’information étaient la chose la plus ennuyeuse dans la vie des citoyens. L’actualité était dictée centralement et l’information locale devait se limiter aux derniers développements agricoles ou glorifier la production de certains articles, comme les ampoules, dont la production, notaient-ils avec enthousiasme, avait augmenté de façon exponentielle par rapport aux statistiques de 1913 !

Pendant la période où le gouvernement soviétique central a cajolé Ankara, les journaux arméniens n’étaient même pas autorisés à mentionner le génocide arménien.

C’est dans cette atmosphère étouffante qu’Azg a insufflé un air frais aux médias en introduisant les normes internationales d’un journalisme de liberté. Azg a non seulement transformé le format des journaux, mais aussi son contenu.

Les lecteurs ont pu découvrir pour la première fois des informations sur des faits qui avaient une incidence sur leur propre vie ou sur le destin de leur patrie.

Les citoyens arméniens qui ont été élevés dans une société athée comprennent à peine le rôle de l’Église et en particulier celui de l’Église apostolique arménienne. Grâce aux nouvelles et à la couverture de Azg, cette nouvelle dimension a été introduite dans leur vie. Ironiquement, encore à ce jour, les médias d’information ne sont pas à l’aise avec le rôle de l’Église dans la société actuelle et son rôle dans l’histoire arménienne.

Les questions fondamentales de l’histoire arménienne ont été avancées et discutées librement, alors que progressivement le cosmopolitisme soviétique a cédé la place au nationalisme arménien.

À ce stade, les médias électroniques en étaient à leurs balbutiements et n’étaient pas encore disponibles en Arménie. Mais Azg a pu contourner cet obstacle en apportant à ses lecteurs des informations et des commentaires internationaux, grâce à des contributeurs du monde entier.

Au départ, le tirage du quotidien avoisinait les 30 000 à 40 000 exemplaires, un chiffre sans précédent pour une publication arménienne.

Dès le premier jour, l’élite intellectuelle s’est tournée vers Azg. Et aujourd’hui, alors que le journal est devenu une publication hebdomadaire, il peut se vanter d’abriter toujours l’élite intellectuelle actuelle.

Une grande partie du mérite revient à son rédacteur charismatique Hagop Avedikian, qui a été formé sous la direction du légendaire journaliste libano-arménien Kersam Aharonian. Avedikian est un journaliste chevronné doté d’une solide formation académique.

Sous Avedikian, le journal est non seulement resté une publication dynamique, mais il a servi d’école pour le journalisme arménien moderne. Avedikian lui-même, en tant que professeur de journalisme à l’Université pédagogique d’État, a pu former un groupe de jeunes reporters. De nombreux journalistes éminents et plusieurs diplomates travaillant actuellement ont été formés auprès d’Azg. À cet égard, Avedikian peut à juste titre se qualifier de doyen des journalistes d’Arménie.

La liberté de la presse signifie avoir le droit de rapporter des informations ou de diffuser des opinions sans censure du gouvernement. Avedikian croyait que cela devrait être le principe directeur d’une publication gratuite et il a essayé de l’exercer dans une société en éveil.

Il découvrit bientôt que l’exercice innocent de ce principe simple pouvait être dangereux. Il en a subi les conséquences, d’abord en étant attaqué par des assaillants inconnus, puis en constatant que même le président du pays lui bloquait la route.

En effet, Levon Ter-Petrosian a pris des mesures extraordinaires pour empêcher la publication du quotidien. En outre, un juge récemment élu au poste de Conseil judiciaire suprême d’Arménie, Gagik Jahangirian, a saisi le quotidien et l’a offert à ses camarades. C’est à ce moment que les ambassades occidentales en Arménie ont été alarmées et ont condamné l’acte illégal en des termes non équivoques.

Ainsi, après plusieurs essais, la publication a été restituée à ses propriétaires légitimes, l’organisme ADL.

Soit dit en passant, lorsque l’Arménie a accédé à l’indépendance, l’ADL a été la première organisation de la diaspora à construire un centre culturel au cœur du centre-ville d’Erévan. Elle a également fondé la première station de radio et s’est classée politiquement deuxième seulement après le Mouvement national arménien de Ter-Petrosian dans le premier parlement librement élu.

Au cours des 30 dernières années, le journalisme en Arménie s’est développé à un rythme effréné. Des organes d’information professionnels tels que CivilNet ont vu le jour. Mais dans l’ensemble, les journalistes s’embourbent dans des anecdotes et ont une vision assez myope des affaires internationales où ils ne parviennent pas à distinguer la pertinence des questions locales ou régionales dans le contexte de développements plus étendus du monde.

Même le Premier ministre Nikol Pachinian, qui a commencé sa carrière en tant que journaliste, s’est avéré médiocre, confondant la plupart du temps un journalisme de peccadille avec la rigueur journalistique.

Comme de nombreuses publications, Azg met l’accent sur son format électronique, qui a un public beaucoup plus universel.

Azg s’enrichit toujours de contributions d’éminents journalistes et intellectuels et, avec sa position indépendante, demeure une épine dans le pied des autorités.

Azg a pris sa place parmi les médias importants. Mais historiquement, il a été un pionnier, qui a éclairé la voie du journalisme en Arménie, et il peut se vanter d’avoir formé bon nombre des meilleurs journalistes du pays. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.