L’un des dramaturges allemand les plus célèbres, Bertolt Brecht, a écrit « Le Cercle de craie caucasien » qui se déroule en Géorgie. Dans cette pièce, les personnages principaux sont une paysanne travaillant pour l’épouse du gouverneur, Groucha, et Azdak, un juge, tandis que les deux autres tenteront de les sauver du cercle de craie magique.
Dans la pièce, l’enfant se rend chez la femme qui s’occupe de l’enfant plutôt que chez sa mère biologique.
L’allégorie ci-dessus est ravivée par le récent voyage de la chancelière allemande Angela Merkel dans le Caucase, où la Géorgie est bloquée par la Russie, mais un pesant arbitre a offert ce pays à l’OTAN. Cependant, la chancelière a admis que cette possibilité n’était pas encore à l’ordre du jour et le Premier ministre russe Dimitri Medvedev a prévenu que « des choses horribles pourraient arriver » si la Géorgie devait se joindre à l’OTAN.
C’est dans ce climat politique que la chancelière allemande a visité les trois pays du Caucase. Elle avait, à la mi-août, rencontré le président russe Vladimir Poutine en Allemagne, et plus tard à Sotchi. Elle était, par conséquent, très bien informée des lignes rouges que la Russie avait tracées autour de ce qui est considéré comme la sphère d’influence de Moscou.
La chancelière Merkel, fidèle à ses principes inébranlables, n’a pas bougé sur ses politiques mais a habilement navigué dans les eaux agitées. En Géorgie, par exemple, elle a réitéré sa critique de la présence militaire russe en Abkhazie et en Ossétie du Sud mais, d’autre part, elle a entretenu ses relations avec Moscou sur des questions cruciales qui concernent les deux pays.
Alors que le président azerbaïdjanais Ilham Aliev s’attendait à ce qu’elle soit la vendeuse du gaz azéri et turkmène en Europe, elle a vivement critiqué ce pays en déclarant qu’il n’y avait pas d’alternative au gaz russe. Elle est allée plus loin, rappelant aux autorités azéries que même pendant la guerre froide, l’Europe dépendait du gaz de l’Union soviétique.
L’autre question d’intérêt mutuel avec la Russie est la position unifiée des deux pays face à la décision du président Trump de renoncer à l’accord nucléaire iranien. Et finalement, les deux pays ont un intérêt commun dans la réinstallation des réfugiés de guerre syriens. La Russie est le garant de la survie du régime Assad en Syrie et le promoteur de la reconstruction de ce pays ravagé par la guerre.
Mme Merkel a défendu la politique de la porte ouverte aux réfugiés à son détriment. Outre les trois millions de Turcs vivant en Allemagne, elle a également ouvert les portes aux réfugiés syriens. Accueillir les réfugiés musulmans lui a presque coûté son poste lors des dernières élections. Elle survit à peine grâce à une coalition et en est sortie politiquement affaiblie. Certains réfugiés retournent en Syrie. La reconstruction de ce pays soulagera l’Europe.
La visite de Mme Merkel dans les trois républiques du Caucase a eu lieu à différents niveaux et dans des atmosphères politiques très différentes. Elle avait une délégation commerciale avec elle afin de rechercher des possibilités commerciales dans la région. En Géorgie, elle s’est penchée sur la question de la libéralisation des visas, qui avait encouragé de nombreux Géorgiens à demander l’asile en Allemagne et dans le reste de l’Europe. Elle a déterminé que la Géorgie était un pays sûr et que les demandeurs d’asile pouvaient rentrer.
Alors qu’elle se trouvait à Tbilissi, elle a non seulement critiqué la présence militaire russe dans les régions sécessionnistes, mais a également déposé des couronnes aux soldats tombés au combat en défendant la frontière géorgienne. C’était la deuxième visite de Mme Merkel en Géorgie. À la question de savoir quand ce pays se joindrait à l’Union européenne et l’OTAN, Mme Merkel a répondu la réponse n’était pas encore à l’ordre du jour.
La réception la plus chaleureuse lui a été accordée par l’Arménie, où elle a été reçue avec tous les honneurs militaires. Après la cérémonie de l’aéroport, elle s’est rendue au monument des martyrs de Tzitzernakaberd pour y déposer une gerbe, planter un sapin et laisser une note dans le livre officiel.
Elle a qualifié les tueries de « crimes odieux contre les Arméniens, qui ne peuvent et ne doivent pas être oubliés ».
Elle s’est abstenue de qualifier ces meurtres de génocide, même si plus tard elle a revu la question en évoquant « l’esprit de la résolution du Bundestag de 2016 » reconnaissant le génocide arménien. Elle avait eu du fil à retordre avec la Turquie lors de l’adoption de cette résolution, mais en ce moment délicat, alors que le président Erdogan est en train de réparer les obstacles avec l’Allemagne, elle a évité une nouvelle flambée.
Sa promenade le long de l’avenue du Nord, à Erévan, a été remarquable. La dame de fer avait visiblement l’air détendue et souriante. Elle a étreint et embrassé non seulement les dirigeants et leurs familles en Arménie, mais aussi des citoyens ordinaires. Il reste à voir dans quelle mesure cette bonne volonté mutuelle peut se traduire par des atouts politiques. Elle a reconnu qu’elle visitait une capitale vieille de 2 800 ans qui avait marqué la civilisation. Elle a également admis que la liberté apportée par la récente révolution de velours était palpable.
Au cours du banquet en son honneur et lors de la conférence de presse conjointe, le Premier ministre Pachinian a déclaré que l’Allemagne était le troisième partenaire commercial de l’Arménie dans le monde et son premier en Europe. Il a également proposé des éclaircissements sur la politique étrangère, affirmant que l’Arménie ne construit pas sa politique étrangère avec un pays au détriment d’un autre. Il a fermement déclaré que les relations avec la Russie restaient fortes, alors que le pays approfondissait ses relations avec l’Union européenne.
Mme Merkel a précisé que la politique menée par l’Arménie pourrait servir de vecteur aux entreprises européennes pour atteindre l’Union économique eurasienne (EEU) et les marchés iraniens. Elle a également proposé de contribuer à la résolution du conflit du Karabagh, en sa qualité de membre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, dont le Groupe de Minsk est chargé de soutenir la paix au Karabagh. Le 21 août, le porte-parole du gouvernement allemand, Steffan Seibert, a déclaré à la presse que « la position des autorités azerbaïdjanaises ne contribuait pas au dialogue autour du Haut-Karabagh ».
À la fin de la visite de la chancelière, il a été convenu que M. Pachinian proposerait, dans les six mois, un moyen à l’Allemagne afin d’aider l’Arménie à progresser. L’un des projets pourrait être le développement des infrastructures du système d’irrigation de l’Arménie. Lorsque la résolution du Bundestag a été adoptée, il y avait également un aveu de culpabilité pour sa participation allemande, ou du moins un aveu de collusion, au génocide arménien.
Il y a le sang sur les mains allemandes de trois génocides au 20e siècle. Le premier a eu lieu en Namibie en 1904 et 1908 lorsque les membres des tribus Herero et Nama ont été exterminés. Aujourd’hui, la Namibie poursuit le gouvernement allemand pour obtenir compensation.
Le deuxième est le génocide arménien, qui, s’il n’était pas organisé, était du moins toléré par l’Allemagne et le troisième, bien sûr, l’Holocauste juif, pour lequel l’Allemagne a versé une indemnisation astronomique à la nouvelle République d’Israël.
L’Allemagne pourrait donc volontairement développer le système d’irrigation de l’Arménie et sauver le lac Sevan.
Un canal souterrain de 30 kilomètres a été creusé durant l’ère soviétique pour dévier les eaux de la rivière Arpa. Depuis lors, l’utilisation irresponsable des eaux du lac Sevan conduit à une diminution dangereuse de cette ressource et un plan de sauvetage est en cours.
Le lac Sevan, situé à une altitude de 1 900 mètres, est le deuxième plus haut plan d’eau navigable après le lac Titicaca, dans les Andes, entre le Pérou et la Bolivie, qui culmine à 3 800 mètres.
La visite de la chancelière Merkel s’est conclue sur une note aigre douce en Azerbaïdjan, où elle a été accueillie par un fonctionnaire de troisième rang, le vice-premier ministre. Avant même d’arriver à Bakou, l’un des membres de sa délégation, Albert Weiler, était qualifié de persona non grata et elle l’a remplacé gracieusement par un autre membre. Mais une fois à Bakou, elle n’a pas mâché ses mots en rappelant au président Aliev la corruption de son pays, l’abus sur les droits de la personne et l’existence de prisonniers politiques.
Mme Merkel n’a pas passé la nuit à Bakou, comme elle l’a fait à Tbilissi et à Erévan.
Il s’agit en soi d’une déclaration.
À l’heure où le président Trump dénonce l’Allemagne, le pays le plus fort d’Europe recherche prudemment des partenaires alternatifs, dans le commerce, mais également en politique. L’économie arménienne, avec l’aide de l’Allemagne, pourrait voir s’ouvrir une fenêtre sur l’Europe. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.