Récemment, deux événements scandaleux ont eu lieu presque simultanément, mais les réactions de la communauté internationale ont mis en lumière un désolant contraste.
Dans le premier cas, un cimetière juif de France a été profané par des graffitis nazis. Le président français Emmanuel Macron s’est précipité sur le site et a déploré le vandalisme. Le lendemain, les rues de Paris et d’autres villes étaient remplies de foules manifestant contre l’antisémitisme.
En effet, l’antisémitisme est en hausse en France et dans certains pays d’Europe de l’Est, alimentant l’intolérance qui a tourmenté l’Europe durant de nombreuses années et surtout avec la prise du pouvoir du parti nazi en Allemagne.
L’incident suivant est la persistance, en Turquie, d’actes de vandalisme contre les Arméniens, qui ne font pas la une des journaux à l’échelle internationale.
L’alarme déclenchée lors de l’incident français était justifiée, alors que l’indifférence à l’égard du sort des autres minorités est très difficile à expliquer ou à justifier.
Incidemment, une loi adoptée par le législateur français sous le nom de Loi Gaysot rend passible de sanctions la négation de l’holocauste juif, alors qu’une loi similaire qui aurait étendu la même mesure punitive à la négation du génocide arménien a été annulé par la Cour constitutionnelle française en 2012, arguant que cela restreignait la liberté d’expression.
Ce type de double standard fait le jeu des démagogues et des racistes qui peuvent insulter et persécuter certaines minorités dont les Arméniens.
Les vandales de Turquie ont ciblé non seulement les cimetières arméniens, mais également les églises arméniennes d’Istanbul, afin d’exprimer leur haine. Cette semaine encore, l’église arménienne Sourp Hrachdagabed dans le district de Balat à Istanbul a été recouverte de graffitis « Vous êtes finis » (sic).
La semaine précédente, l’église Sourp Astvadzadzin, dans le quartier de Zeinlink à Istanbul, avait été vandalisée. En 2018, une autre église arménienne, Sourp Takavor, a également été éclaboussée de ces mots « cette patrie est à nous ». En 2016, l’école arménienne Bomonti Mekhitarian a subi le même sort. Et il y a quelques années, le patriarcat arménien de Kumkapi a été la cible d’une alerte à la bombe.
La communauté arménienne doit souffrir de tous ces affronts et ces traumatismes à cause de la politique d’État à l’égard des minorités. Cette politique de haine soutenue par l’État a également conduit à l’assassinat du journaliste Hrant Dink en 2007.
Quand les Turcs proclament que « cette patrie est la nôtre », ils laissent intrinsèquement penser qu’ils ont des doutes quant à leur patrie. Il n’est pas raciste de qualifier de nombreux dirigeants turcs ou ottomans d’usurpateurs et de destructeurs de civilisations; Il s’agit d’un simple postulat social basé sur des preuves. Ils ont occupé l’Asie mineure, détruit les civilisations grecque et arménienne, commis des génocides et estiment maintenant qu’il est temps de stipuler « Vous êtes finis ».
Si la Turquie du Président Recep Tayyip Erdogan était une personne, nous qualifierions « notre patrie » de lapsus freudien.
Lorsqu’un membre du Parlement turc, Garo Paylan, fait entendre sa voix pour protester contre les messages de haine, plutôt que de le louer ou de le soutenir, l’administration menace de le priver de son immunité parlementaire et de le mettre derrière les barreaux. En effet, Paylan a déclaré courageusement qu’« un crime de haine a été commis contre l’église arménienne Sourp Hrachdagabed de Balat. Les crimes de haine contre les églises et les synagogues arméniennes ont lieu plusieurs fois par an. Non seulement les auteurs de ces attaques doivent être pris en compte, mais avant tout, il convient de mettre un terme aux politiques générant la haine. »
Ces crimes ne sauraient être considérés comme les conséquences involontaires d’une politique qui incite à la haine contre les minorités turques. En ce moment même, le gouvernement Erdogan mène une guerre contre un quart de la population du pays, les Kurdes. Et Hrant Dink a également été victime de cette politique, après avoir été harcelé par des accusations forgées de toutes pièces pendant des années.
C’est la manifestation de la même politique lorsque des représentants du gouvernement dénoncent la colère des travailleurs migrants arméniens. Cette fois-ci, il s’agit d’un parti de droite aligné sur le parti AK d’Erdogan, qui prône l’expulsion des travailleurs migrants, qui compteraient entre 10 000 et 30 000 personnes. Mais Mustafa Destici, le chef du parti de la Grande Union, a demandé au gouvernement de prendre des mesures contre ces immigrés, déclarant: « Il y a 100 000 Arméniens ici, qui sont venus d’Arménie et qui se remplissent illégalement le ventre. Je dis que nous devrions les expulser. Pourquoi les laissons-nous rester ? »
Premièrement, leur nombre est exagéré et ensuite, pour une raison très pratique – la barrière de la langue – ils sont principalement employés par des Arméniens locaux. Peu importe si les Turcs ont détruit toute l’Arménie historique et se sont repus de ce que des millions d’Arméniens ont laissé derrière eux.
Cette menace ne vient pas uniquement de l’extrême droite. Devant lui, les premiers ministres Turgut Ozal et Tansu Çiller ont proféré des menaces similaires, alors que M. Erdogan y a fait allusion de manière oblique en affirmant que l’État turc est une institution caritative qui ne prend pas de mesures punitives contre les « transgressions » des Arméniens.
Mustafa Destici tente de prendre sa revanche sur ces travailleurs migrants, faute de pouvoir tenir tête au président français Macron, qui a récemment annoncé que le 24 avril marquerait officiellement en France la Journée des martyrs arméniens. Le gouvernement turc a mené une politique du chat et de la souris avec ses minorités pour duper l’Union européenne. Un cas typique est le retour récent de Sanasarian Han, un énorme complexe immobilier confisqué à la communauté arménienne qui, après un procès théâtral, a été rendu aux Arméniens, pour être ensuite confisqué à nouveau.
Les dirigeants turcs considèrent les Européens comme des hommes d’État naïfs, incapables de détecter leurs faussetés. Mais l’Union européenne a finalement suspendu le processus de négociation avec la Turquie.
Les Turcs et les Azéris sont profondément angoissés devant le jugement sévère de l’histoire depuis qu’ils occupent le territoire de peuples autochtones.
Le syndrome de Sèvres demeure ainsi bien vivant.
C’est aussi pour cela qu’ils ont entrepris une course contre la montre pour détruire tous les vestiges de la présence et de la civilisation arméniennes sur ces terres tout en fabriquant entre-temps un récit historique selon lequel des Turcs Seldjoukides habitaient depuis des siècles le plateau anatolien et que des Albanais chrétiens ont habité le Karabagh et le Nakhitchevan, tous ancêtres des Turcs et des Azéris.
Avant la Première Guerre mondiale, il y avait 2 538 églises et 451 monastères à l’intérieur des frontières de la Turquie moderne. Ils ont tous été détruits ou convertis en écuries, musées, entrepôts ou cinémas. Laure Marchand et Guillaume Perrier expliquent dans leur livre « La Turquie et le fantôme arménien » que « l’héritage religieux des Arméniens étant l’expression la plus forte de leurs racines ancestrales, il est devenu une cible de choix pour leurs oppresseurs. En chiffres absolus, la destruction par la Turquie de l’héritage culturel arménien éclipse le vandalisme récent commis par l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan. »
Un érudit arménien, Argam Ayvazian a, à lui seul, documenté la quasi-totalité des monuments architecturaux du Karabagh et du Nakhitchevan et a publié 200 articles et 40 livres sur le sujet.
À ce jour, aucune des administrations successives d’Arménie ne l’a reconnu et n’a apporté son soutien à la cause. Il est temps de divulguer un petit secret ici. Bien avant l’effondrement de l’Union soviétique, Ayvazian m’a contacté au Fonds culturel Manoogian, déclarant que des événements mémorables étaient prévus dans le Caucase. Par conséquent, a-t-il dit, il est temps de documenter les monuments du Karabagh et du Nakhitchevan. Après avoir obtenu un financement initial, il a engagé un photographe étranger afin de répertorier tous les monuments.
Même durant la période soviétique, il était interdit aux Arméniens de se rendre au Nakhitchevan et les Azéris avaient réussi à expulser la population arménienne de l’enclave. Au Nakhitchevan, Ayvazian a pu documenter 89 églises arméniennes, 5 840 khatchkars ornés et 22 000 pierres tombales horizontales. Tous les khatchkars ont été détruits par le gouvernement azerbaïdjanais en 2005. Toutes les manifestations auprès de l’UNESCO se sont avérées vaines. Par la suite, l’on a découvert que, lorsque les États-Unis ont réduit leur soutien à l’UNESCO, le gouvernement azerbaïdjanais a fait don d’une subvention de 5 millions de dollars et a ensuite été reconnu par l’UNESCO comme « pays de tolérance ».
Quelle farce.
Les fantômes des martyrs Arméniens hanteront les Turcs et les Azéris pour toujours et leur seule protection contre le jugement de l’histoire les obligent à une course contre la montre à la destruction des monuments arméniens.
Les crimes haineux d’aujourd’hui en Turquie ne sont que la partie visible de l’iceberg. Le reste repose sous la surface, au fond de l’océan de l’histoire. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.