Lorsque le président Donald Trump a nommé Michael Flynn au poste de conseiller à la sécurité nationale, l’avertissement suivant est apparu dans cette rubrique : « Le président élu rendrait service à son pays en examinant attentivement son choix avant sa nomination finale. Sinon, il plantera une bombe à retardement dans son bureau. » (Mirror-Spectator, 23 novembre 2016)
La bombe à retardement s’est déclenchée plus tôt que prévu, Flynn a été limogé et est maintenant dans l’eau chaude légale. Il pourrait même entraîner avec lui le résident de la Maison Blanche.
L’avertissement mentionné n’était pas dû à une certaine hystérie antiturque, mais parce que le passé de l’homme était déjà un dossier public, voulant qu’il ait assisté à une réunion avec les représentants du gouvernement turc, au court duquel le sort de Fethullah Gülen a été discuté. De plus, Flynn était sur la liste de paie du gouvernement turc sans être inscrit auprès du gouvernement américain comme agent étranger. Son insouciance sans bornes l’a même conduit à publier un éditorial dans The Hill (« Notre alliée la Turquie est en crise et a besoin de notre soutien » 8 novembre 2016), appelant le gouvernement américain à venir en aide à la Turquie, tout en qualifiant Gülen de terroriste.
Les enquêtes du conseiller spécial des États-Unis, Robert Mueller, révéleront davantage sur son insouciance et son agenda personnel au détriment de la politique étrangère américaine, comme le report de la prise de contrôle de Raqqa par l’EI. Peu de temps avant la passation de pouvoir du président Barack Obama à Donald Trump, la conseillère à la sécurité nationale, Susan Rice, a informé Flynn du plan du Pentagone de reprendre Raqqa, le centre névralgique de l’État islamique. Flynn s’y est opposé, sans qu’aucune raison n’ait été enregistrée à ce moment-là, parce que le gouvernement de Turquie s’y opposait.
Les gouvernements ont des tentacules invisibles pour mener des actions illicites sous couvert du secret, jusqu’à ce qu’ils atteignent un nerf abrupt.
Prenons le cas d’Oliver North, qui a contourné de manière flagrante le Congrès dans l’affaire Iran-Contra, achetant et distribuant des armes en violation de la loi, qui n’a reçu qu’une tape sur la main et est devenu une icône et idéologue de l’extrême-droite, rêvant même de participer à la course présidentielle.
La chance de M. Flynn a tourné court parce que son client, le président turc Recep Tayyip Erdogan est allé trop loin en s’aliénant le gouvernement américain et en malmenant l’alliance de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
Ces jours-ci, le nom de la Turquie est constamment dans les manchettes avec des histoires négatives, bien qu’aucune ne soit liée aux questions arméniennes.
L’Azerbaïdjan a également gagné en notoriété à parts égales grâce aux révélations des Panama Papers et à l’assassinat subséquent de la journaliste d’investigation maltaise Daphné Caruana Galizia.
Les 600 millions de dollars investis par le clan Aliev dans les banques israéliennes et les aveux d’une chrétienne-démocrate allemande Karin Strenz, selon lesquels elle avait été payée par le gouvernement azéri pour promouvoir les intérêts du gouvernement en Allemagne et au Parlement européen, ont tracé internationalement un portrait précis de ce gouvernement.
Les retombées entre les États-Unis et la Turquie se sont manifestées sur trois niveaux.
Tout d’abord, Michael Flynn a vendu pour 15 millions de dollars la politique américaine concernant la Turquie. De plus, l’enquête de Mueller se concentre sur le rôle de Flynn dans l’ingérence russe dans le processus électoral américain. Cette enquête se rapproche de plus en plus de la Maison Blanche.
Ensuite, Reza Zarrab, négociant en or turco-iranien, a été arrêté le 16 mars 2016 pour avoir perpétré un stratagème visant à contourner les sanctions des Nations unies contre l’Iran, ce qui pouvait entraîner des amendes totalisant 6 milliards de dollars. Mais plus grave, c’est que « beaucoup du linge sale turc est susceptible d’être révélé », rapporte Steven A. Cook dans son blog.
M. Zarrab a été très proche de Recep Tayyip Erdogan et a intercepté des conversations entre les deux impliquant le Premier ministre.
Enfin, la tension politique qui sépare la Turquie et les États-Unis exacerbe les deux cas susmentionnés. Les gouvernements ont le moyen de contourner les transgressions s’ils ont des relations cordiales. Mais dans ce cas, les diatribes d’Erdogan contre les États-Unis, le conflit politique avec la Maison Blanche sur la question kurde en Syrie, où les Kurdes bénéficient du soutien des États-Unis dans leur tentative de créer une enclave autonome sur le sol syrien à la frontière turque, ont créé une distance entre les deux pays.
Pour couronner le tout, Erdogan vient de conclure un accord pour l’achat de matériel militaire russe d’une valeur de 2 milliards de dollars, accord que les partenaires de l’OTAN affirment ne pas être compatibles avec les normes de l’alliance.
Dans un article d’opinion, Stephen Kinzer commente : « La Turquie est membre de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, ce qui en fait une alliée militaire des États-Unis depuis 65 ans. Officiellement, elle l’est toujours. La réalité est différente. La Turquie s’est exclue de l’alliance occidentale. Plutôt que d’accepter les décisions prises à Washington et au siège de l’OTAN à Bruxelles, elle se comporte maintenant comme un pays du Moyen-Orient poursuivant ses propres intérêts. La Turquie est devenue la première à abandonner l’OTAN. »
Les États-Unis sont la seule superpuissance survivante pouvant contrôler la situation et restreindre la Turquie dans sa politique erratique. Mais d’un autre côté de l’équation, la Turquie est en train de virer vers la Russie. M. Erdogan est en route pour Sotchi pour engager des négociations sérieuses avec le président Poutine. La manière dont la Turquie a violé les sanctions des Nations unies dans l’affaire iranienne sape la politique des États-Unis et de l’OTAN visant à contenir la Russie. Les offres de gaz et d’énergie sont sur la table de négociation. La Russie a déjà accepté de construire plus d’une centrale nucléaire en Turquie. Les deux parties ont convenu d’élever le niveau du commerce mutuel à 100 milliards de dollars par an. Ayant Erdogan à ses côtés, Poutine pourra se moquer des sanctions américaines contre la Russie.
Mais il y a un prix politique à payer pour toutes ces transactions. La question du Karabagh sera à l’ordre du jour. Les Russes ont l’habitude de vendre l’Arménie à la Turquie depuis l’époque de Mustafa Kemal et de Lénine. Moscou souhaite que l’Azerbaïdjan adhère à l’Union économique eurasienne (UEE); L’influence de la Turquie peut en être la cause.
Dans ce cas, le Karabagh deviendra la victime. Sans souffrir de peine politique, Moscou peut forcer l’Arménie à céder ses positions stratégiques, afin d’apaiser Bakou et Ankara.
Dans la réalité interconnectée d’aujourd’hui, les conflits mondiaux peuvent finir par influencer les lieux les plus reculés du monde, qui pourraient sembler être à l’abri de ce conflit.
Lorsque les intérêts de la Turquie vont de pair avec ceux de la Russie, Bakou n’a d’autre choix que de s’incliner et l’Arménie va perdre.
Le réseau de mensonges et de tromperies de Flynn nuira finalement non seulement aux intérêts du gouvernement américain, mais entravera davantage les droits de l’Arménie.
Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.