La guerre en Syrie, qui dure depuis huit ans et fait deux millions de victimes et beaucoup plus de réfugiés, n’a pas été menée pour déterminer le sort des Kurdes vivant en Syrie. De nombreuses questions plus complexes étaient en jeu et diverses autres parties intéressées s’y sont heurtées.
Alors que la guerre se termine et que le gouvernement syrien reprend le contrôle d’une grande partie de son territoire, les parties impliquées au conflit sont sur le point de ramasser leurs butins avant de permettre au gouvernement et à la population de se relever.
La question kurde est apparue et est devenue un problème insoluble à la suite de la guerre et des négociations diplomatiques, un problème qui fait obstacle à un règlement final.
Au début de la guerre, l’Arabie saoudite, le Qatar, la Jordanie et la Turquie se sont infiltrés en Syrie avec des mercenaires et ont fourni des armes, leur objectif étant de renverser le dernier régime laïc du monde arabe.
Avec l’arrivée des Iraniens sur les lieux, le paradigme a changé et fait de cette croisade une cause célèbre, comme si une coalition sunnite combattait l’expansionnisme chiite dans la région. Ce concept convenait mieux aux planificateurs de la politique américaine, puisque l’attention des masses arabes était détournée d’Israël et que la découverte d’un épouvantail justifiait le conflit.
D’une part, les avancées du régime Assad sur le terrain, avec l’aide des Russes et des Iraniens, et d’autre part, la scission de la coalition sunnite et ses retombées entre les Saoudiens et les Qataris, ont totalement modifié le scénario.
La question kurde est l’une des conséquences insoupçonnées de la guerre. À ce stade, les Kurdes connaissent le même dilemme que celui rencontré par les légionnaires arméniens en 1918-1920. Une force de combat de quelque 5 000 jeunes volontaires arméniens avait été recrutée par les commandants alliés pour combattre avec eux contre les armées germano-ottomanes retranchées à Jérusalem et aux alentours. Les légionnaires arméniens ont dirigé l’attaque de la bataille d’Arara, brisant les fortifications germano-ottomanes, qui ont marqué le début de la fin de la Première Guerre mondiale.
Les Arméniens étaient motivés à se joindre aux Alliés dans l’espoir de retrouver leur pays d’origine en Cilicie. Alors que les légionnaires arméniens victorieux entraient en Cilicie, suivis par la population civile déportée, les autorités françaises ont commencé à désarmer la légion de volontaires, abandonnant une population sans défense à la merci des forces kémalistes en maraude.
Le même sort attend maintenant les Kurdes qui ont combattu aux côtés des forces américaines pour vaincre l’État islamique dans le nord de la Syrie et se constituer une région potentielle.
Une fois de plus, les Turcs sont là pour radier les Kurdes du nord de la Syrie. À l’heure actuelle, deux millions de Kurdes occupent un tiers du territoire syrien. Jusqu’ici, l’administration américaine a refusé de céder à la politique de riposte que les Français ont poursuivie en 1920.
Par conséquent, la question kurde est devenue l’un des problèmes les plus actuels de la guerre en Syrie. Il existe ainsi une impasse entre les deux alliés de l’OTAN – les États-Unis et la Turquie.
Le président Trump applique une politique ferme en matière de défense des alliés kurdes. Mais si l’on se base sur l’histoire, les principales forces trouveront finalement une politique fictive pour désamorcer la crise, principalement au détriment de la partie la plus faible.
Jusqu’ici, les États-Unis sont résolus à garantir la sécurité des Kurdes dans la région après le retrait de leurs forces. Mais une concession a déjà été faite à la partie turque en lui promettant de désarmer les forces kurdes. Cela n’a pas répondu aux exigences du sultan Erdogan, qui est devenu plus arrogant et belliqueux.
Le président Trump a envoyé son conseiller sur la sécurité nationale, John Bolton, en Turquie, pour son talent diplomatique.
Le président Erdogan a outrepassé l’arrogance de Bolton et a refusé de rencontrer sa délégation. Au lieu de cela, il a délégué les négociations entre les mains d’un fonctionnaire gouvernemental de troisième ordre, Ibrahim Kalin, et a pris les voies aériennes pour dénoncer Bolton et la politique américaine.
La première étape de Bolton dans la région était Israël, où il a déclaré aux journalistes que le président Trump ne « permettrait pas à la Turquie de tuer les Kurdes ». Il a déclaré un peu plus tard « nous ne pensons pas que les Turcs devraient entreprendre une action militaire qui ne soit pas entièrement coordonnée et approuvée au minimum par les États-Unis et ainsi répondre aux exigences du président selon laquelle les forces de l’opposition syrienne qui se sont battues à nos côtés ne sont pas mises en danger. »
Alors que les négociations étaient toujours en cours, le discours furieux du président Erdogan a été diffusé. Il a déclaré que M. Bolton avait « commis une grave erreur ». Revenant à ses compétences machiavéliques, Erdogan a assuré son public qu’Ankara ne chercherait qu’à tuer « des terroristes tout en protégeant les frères kurdes du pays voisin ».
La définition de « terroriste » est devenue une pomme de discorde entre les deux parties. Les États-Unis et, par extension, l’Union européenne, conviennent avec la Turquie que le Parti des travailleurs kurdes (PKK) est un groupe terroriste qui a organisé une insurrection en Turquie au cours des 30 dernières années. En réalité, l’organisation, dirigée de prison par Abdullah Öcalan, défend les droits de 20 millions de Kurdes en Turquie. De l’autre côté de la frontière syrienne, des combattants kurdes dirigent des groupes politiques légitimes qui se sont alliés aux États-Unis et se sont révélés être les forces les plus efficaces pour vaincre l’État Islamique en Syrie. Toutefois, pour le gouvernement turc, ils sont également une extension du PKK en Syrie et sont donc considérés comme des terroristes.
Les alliés kurdes des États-Unis constituent les Forces de défense syriennes (SDF), composées de 25 000 Kurdes et de 5 000 Arabes, ainsi que les Unités de protection du peuple (YPG). Les Kurdes ont une organisation politique, l’Union démocratique (PYD), qui régit leurs affaires dans les territoires sous leur contrôle.
Dans son discours, M. Erdogan a averti que la Turquie déploierait bientôt ses forces dans les zones kurdes et que personne ne pourrait les en empêcher. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Çavusoglu, a annoncé à son tour: « La Turquie fera tout ce qui est nécessaire pour lutter contre une organisation terroriste menaçant sa sécurité nationale », même après avoir rencontré son homologue américain, Mike Pompeo.
Alors que M. Pompeo est empêtré dans de délicates négociations avec les autorités turques, son chef, le président Trump, a lancé une grenade en direct sur Twitter: « Nous allons dévaster la Turquie économiquement si elle attaque les Kurdes. »
Interrogé sur la déclaration du président, il a répondu que la question devrait être adressée à M. Trump, tandis qu’un porte-parole irrité d’Erdogan a rappelé aux États-Unis d’honorer leur partenariat stratégique.
Tout en faisant face au comportement abusif de M. Trump, M. Pompeo doit rassurer ses alliés régionaux sur le fait que les États-Unis ne les abandonnent pas.
Toutes les parties encouragées par les États-Unis à se lancer dans l’aventure du renversement du régime syrien critiquent désormais la politique américaine de retrait unilatéral. Dans cette affaire, M. Pompeo a levé la main et a déclaré: « C’est un objectif ambitieux, mais c’est le nôtre et c’est notre mission ».
Tandis que la rhétorique enflammée traverse la région et se heurte à tant de problèmes, personne ne semble être disposé à l’écouter. La mission éclair de M. Pompeo dans huit pays du Moyen-Orient se poursuit, où il s’engage dans une tactique de diversion en annonçant que « les États-Unis expulseront jusqu’à la dernière botte iranienne de Syrie ».
En effet, la Turquie négocie l’issue de la guerre en Syrie avec l’Iran et la Russie. D’autre part, l’Iran et la Turquie ont une cause commune en combattant toutes les aspirations des Kurdes au Moyen-Orient. Il existe une énorme minorité kurde en Iran, comme en Turquie.
En dépit de la tourmente, M. Pompeo a quitté la région sur une note positive indiquant qu’un « bon résultat » pourrait être obtenu entre la Turquie et les groupes kurdes syriens. Il en résulterait une zone tampon de 20 milles que les États-Unis proposent aux Turcs contre l’engagement de ne pas envahir les régions kurdes.
L’insistance des États-Unis à protéger les Kurdes ne découle pas de sentiments charitables, ni d’une quelconque contrainte morale. Le modèle est déjà à la portée de tous: l’enclave autonome kurde en Irak a été saluée par Israël, qui est le seul pays à défendre un État indépendant kurde, dans la mesure où il assure le commerce dans cette enclave. Le scénario peut se reproduire en Syrie.
Aussi téméraire que puisse paraître le président Trump à l’égard de la Turquie, de plus en plus de diplomates chevronnés le mettront en garde pour ne pas pousser davantage la Turquie dans les bras de la Russie.
Le Traité de Sèvres de 1920 et les Arméniens ont donné une patrie indépendante aux Kurdes. Le traité de Lausanne de 1923, qui a ressuscité une Turquie défaite aux dépens de ses victimes, a fait échec à ce rêve. Aujourd’hui, après avoir versé tant de sang sur le champ de bataille syrien, ils semblent se rapprocher de leur rêve d’une certaine autonomie.
La prochaine étape concerne le gouvernement syrien qui s’est engagé à « libérer chaque pouce de son territoire national ». Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.