Le Moyen-Orient est en flammes et le monde politique s’émeut de la troisième incursion turque en Syrie sous le nom de code « Source de paix ». Avec l’invasion en cours en Syrie, le président Recep Tayyip Erdogan a déclaré vouloir créer un « corridor de paix » de 500 km de long sur 30 km de profondeur, expulsant 40 000 Kurdes de ce territoire et réinstallant 3,6 millions de réfugiés arabes syriens vivant actuellement en Turquie.
L’audacieux plan d’Erdogan visant à occuper un segment du territoire d’un pays souverain, à massacrer la population kurde locale et à procéder à une ingénierie démographique, a été rendu possible lorsque le président erratique des États-Unis, Donald Trump, a ordonné arbitrairement le retrait des forces américaines de la région, contrairement aux recommandations de ses conseillers et allant à l’encontre des objections des analystes du Pentagone.
La Turquie n’aurait pas osé prendre ce genre d’initiative si les conditions politiques n’avaient pas été propices à l’action.
La Turquie a envahi et occupé 38% du territoire de Chypre en 1974 et aucune force n’a été en mesure de déloger l’armée d’occupation turque, ni d’empêcher la création d’un semblant de pays sur l’île.
De même, Ankara a stationné ses forces sur le territoire iraquien pour diverses raisons et la communauté internationale est restée muette sur la question.
La Turquie a établi des bases militaires dans cinq pays, ce qui permet à Ankara d’agir comme une superpuissance.
Toutes ces stratégies militaires et politiques ont été développées par la Turquie en tirant parti des rivalités entre les blocs politiques contrôlant la région.
L’Occident a créé une fracture artificielle entre les sectes sunnites et chiites afin de détourner l’attention du monde islamique du conflit israélo-palestinien; Auparavant, la principale préoccupation du monde arabe avait été le traitement des Palestiniens par Israël. Le Royaume d’Arabie saoudite est tombé dans ce piège ce qui a galvanisé la région.
Ankara a revendiqué la direction du bloc sunnite sous la bannière et la licence de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), mais en réalité, la Turquie a agi dans le sens de ses intérêts personnels. Elle a contesté les sanctions américaines contre l’Iran, a fait obstacle aux intérêts du seul allié régional des États-Unis, Israël, en défendant la cause palestinienne, apporté son soutien au gouvernement islamique de Mohamad Morsi en Égypte, alors que les États-Unis combattaient l’État islamique (EI ou Daesh) et pour couronner le tout, s’est rendue à Moscou lorsque les États-Unis ont tenté de freiner la résurgence de la Russie en tant que puissance mondiale. Toutes ces digressions ont été possibles sous la bannière intouchable de l’OTAN.
Erdogan a fait un pied de nez à Washington après s’être rendu compte que les énormes menaces du président Trump contre la Corée du Nord et l’Iran n’étaient que des fanfaronnades creuses. Il a en outre joué le jeu en concluant l’achat de missiles S-400 de la Russie.
Ainsi, Ankara a acquis l’impunité en calculant ses pas politiques et aujourd’hui, aucune force au monde n’a l’intention ni la volonté de s’opposer à cette tentative d’assaillir un morceau de territoire de la Syrie, tout en créant un désastre humanitaire.
Le président Erdogan a condamné l’Union européenne lorsque cette dernière a blâmé l’agression turque et l’a qualifiée « d ‘invasion ». Il a menacé d’ouvrir les vannes de l’immigration et d’inonder l’Europe d’une nouvelle vague d’immigrants syriens.
L’un des principaux instigateurs de la crise syrienne initiale a été la Turquie, qui a entraîné la création de millions de réfugiés. Plutôt que de punir la Turquie pour ses crimes, l’Europe a récompensé Ankara de généreuses subventions pour maintenir les réfugiés syriens en Turquie.
Les États-Unis ont été impliqués dans la crise syrienne visant à détruire l’État islamique dont la résurgence était principalement due à la Turquie. Après avoir essayé plusieurs combinaisons d’alliés, Washington a constaté que les forces kurdes étaient les plus fiables, leurs intérêts coïncidant. Les forces kurdes ont finalement réussi à vaincre l’État islamique tout en sacrifiant 5 000 combattants. À l’heure actuelle, ils ont emprisonné 12 000 terroristes de l’Etat islamique et les États-Unis comptent sur les forces turques et kurdes de l’opposition pour les maintenir en prison, alors que l’enfer s’est déchaîné et que les Kurdes s’accrochent.
Pendant longtemps, le président Trump s’est moqué d’Ankara, louant les Kurdes de Syrie comme les alliés de confiance des États-Unis, alors que la Turquie tentait de les détruire. Les Kurdes ont également gagné en crédibilité dans l’ensemble de l’establishment politique américain grâce à leur puissance contre l’État islamique. Aujourd’hui, tout est en ébullition et l’on tente de trouver une stratégie de sortie de crise après la décision unilatérale de M. Trump de retirer les forces américaines du champ de bataille syrien sans stratégie ni plan de retrait rationnel.
Le monde condamne l’action de M. Trump. Les dirigeants européens sont furieux et la base de M. Trump est ébranlée. Un nouveau réalignement est en train de prendre forme au Moyen-Orient, mais un autre est en cours de création aux États-Unis. Le rapprochement entre la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, et la sénatrice Lindsay Graham, fervente défenseure de Trump, en dit long. En effet, les deux camps s’unissent pour élaborer une résolution bicamérale et bipartite visant à annuler la décision de M. Trump qui a jeté les Kurdes dans les griffes de la Turquie.
Nous n’avons pas encore déterminé l’impact que cette coalition pourrait avoir sur les perspectives de réélection de M. Trump, déjà sous le spectre du scandale ukrainien.
Le président Erdogan n’aurait pas pris l’initiative s’il n’avait pas consulté le Kremlin et Washington. En effet, M. Erdogan a avoué que la Turquie ne s’était livrée à aucune action militaire sans en informer le président russe Vladimir Poutine. Jusqu’à présent, cinq pays européens ont appelé à une action des Nations Unies et l’Allemagne, la France et la Finlande ont mis en place un embargo sur les armes livrées à la Turquie, mais les critiques de Moscou ont été les plus modérées. M. Poutine a appelé toutes les forces étrangères à quitter le territoire syrien et le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a proposé que la crise soit résolue selon les principes du traité d’Adana, conclus par Damas et Ankara avant la crise.
Moscou est également satisfait de voir les forces américaines évacuer le territoire syrien et les forces kurdes, désespérées, de revenir dans le giron syro-russe et faire face à l’agression turque.
La Ligue arabe a unanimement condamné l’agression et est prête à inviter à nouveau Damas, expulsée de la ligue. L’Arabie saoudite, qui a été poussée par les États-Unis dans une guerre perdue au Yémen, craignant l’imprévisibilité de Trump, cherche un compromis avec l’Iran et les partisans présumés des rebelles houthis au Yémen.
Le monde politique est déconcerté par les actions du président Trump qui lui semble encore plus confus. Sa politique incongrue se reflète dans certains tweets, car il a menacé de détruire l’économie de la Turquie si celle-ci devenait « inacceptable ».
Mais il n’a pas encore compris où se situe cette limite.
Il a même blâmé les Kurdes de ne pas avoir envoyé de troupes lors de l’invasion de la Normandie durant la Seconde Guerre mondiale, mais les historiens ont rappelé à ceux-ci que les Kurdes ne disposaient pas d’un État sur lequel compter. Puis, finalement, il s’est contenté des options suivantes. Il a tweeté qu’il avait « l’un des trois choix possibles: envoyer des milliers de soldats et gagner militairement, frapper très durement la Turquie sur le plan financier ou négocier un accord entre la Turquie et les Kurdes ».
M. Trump n’a choisi aucune de ses options, alors que les Kurdes ont changé de camp et se sont joint aux forces gouvernementales syriennes pour défendre Qamishli, contre le renforcement des forces turques avec la bénédiction de Moscou.
L’appétit sans faille de la Turquie d’envahir impunément un pays voisin a semé la peur auprès de toutes les nations de la région. Il n’est pas surprenant que de l’ensemble des pays, les États-Unis s’emploient actuellement à renforcer la sécurité aux frontières de l’Arménie.
Le gouvernement arménien et le public se sont inquiétés des actes de la Turquie et les ont condamnés avec véhémence. Beaucoup d’Arméniens de Syrie sont en danger. À ces craintes viennent s’ajouter de mystérieux mouvements politiques qui ont accentué ces craintes. M. Erdogan a pris l’avion pour Bakou et le président azéri Ilham Aliev a rencontré le président Poutine à Sotchi, nul ne sait à quelle fin.
Après tout, la situation actuelle est une reconstitution de l’histoire du peuple arménien à qui on a demandé pendant la Première Guerre mondiale de se joindre aux alliés dans des bataillons de volontaires, ce qu’ils ont fait. Ils se sont battus vaillamment pour vaincre les forces ottomanes et allemandes sur le mont Arara le 19 septembre 1918 et ont marché victorieusement vers la Cilicie, où on leur avait promis la règle de l’autonomie sous un protectorat français. Le commandement militaire français a abandonné les Arméniens qui n’étaient plus protégés face aux forces kémalistes turques envahissantes. L’histoire se répète.
Heureusement, la communauté internationale n’a pas oublié le sort des Arméniens. Le chef du bureau de la CBN au Moyen-Orient, Chris Mitchell, a déclaré que l’invasion turque du nord de la Syrie n’était pas vraiment une tentative bien intentionnée de lutte contre les terroristes. Le Jihad islamique est au cœur de l’agenda de la Turquie. « De nombreuses personnes qui ont fui le génocide arménien il y a 100 ans se sont réfugiées dans cette région de la Turquie. Désormais, la tentative d’Erdogan de raviver la gloire de l’Empire ottoman vise leurs descendants. »
La guerre fait actuellement rage dans le sud-est de la Syrie. Pour la Turquie, les Unités de protection du peuple kurde (YPG) ne sont qu’une extension du PKK (Parti des travailleurs kurdes) en Syrie. Le PKK mène une guerre de libération en Turquie au nom de 25 millions de Kurdes. Depuis 1985, la Turquie a rasé 3 000 villages kurdes et assassiné 20 000 Kurdes. L’intention de M. Erdogan est de tracer un « corridor de paix », mais ce plan n’est qu’illusoire. Au lieu de construire une zone de sécurité, la Turquie étend sa zone d’insécurité sur le territoire syrien. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.