Les propriétés arméniennes « abandonnées » à travers le monde

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 8 août 2019

Ceci est la première d’une série de trois parties sur le futur des propriétés arméniennes de la diaspora.

Les Arméniens de partout souhaitent ardemment récupérer leurs biens abandonnés à la suite du génocide à l’intérieur des frontières de la République de Turquie. Le Parti Ittihadiste, qui a perpétré le génocide et procédé à l’expulsion de la population arménienne de l’empire ottoman, n’avait pas uniquement pour objectif de rendre un pays turc plus homogène par l’élimination des Arméniens, mais d’enrichir également ses coffres en confisquant les propriétés et la richesse des Arméniens.
Le livre noir de Talaat Pacha, découvert et publié par l’historien turc Mourad Bardakci, montre à quel point Talaat avait minutieusement répertorié les propriétés arméniennes et la démographie de la population à des fins d’extermination et d’expropriation.
Plus tard, le gouvernement kémaliste a adopté une loi désignant comme « propriétés abandonnées » celles que les Arméniens n’avaient pas revendiqué. Aujourd’hui, chaque objet confisqué, rendu à la communauté arménienne par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, est salué avec gratitude. À un moment donné, même l’archevêque Aram Atesian a affirmé que la communauté arménienne d’Istanbul ne pouvait plus gérer les biens restitués.
Le Catholicos de la grande maison de Cilicie, Aram 1er poursuit le gouvernement turc en vue d’acquérir le monastère de Sis. Des avocats sont à la recherche de terrains à Incirlik appartenant à des Arméniens et à leurs descendants survivants et sur lesquels opère une base aérienne américaine,
Tous les efforts pour récupérer les biens perdus ou confisqués sont louables. Il ne faut pas oublier non plus que nous possédons de précieuses propriétés situées en dehors des frontières turques. Beaucoup d’entre elles sont abandonnées; Cependant, l’utilisation de ce terme est imparfaite car elles ne sont pas techniquement abandonnées, mais leur utilisation par la communauté arménienne est entravée, refusée ou limitée.
Le cas des propriétés « abandonnées » est devenu une question d’actualité lorsque le sort des terres de Sèvres, près de Paris, appartenant à la congrégation Mekhitariste, a été porté à l’attention du public. Une propriété de 13 000 mètres carrés dans la ville historique de Sèvres, où le traité éponyme a été signé en 1920, est en jeu.
Une récente visite de Monseigneur Levon Zekiyan et du Président Armen Sarkissian a ouvert le débat sur le sort de ce bien.
Ce n’est pas la première propriété arménienne à être perdue en France. La communauté franco-arménienne a connu des pertes similaires auparavant, lorsque des magouilleurs peu scrupuleux ont repris le centre arménien de la rue de Trévise, à Paris, expulsant tous les organismes arméniens qui y étaient hébergés.

Un débat sérieux fait actuellement rage au sein de la communauté franco-arménienne et de la congrégation mekhitariste, propriétaire du bien et du site de l’école Samuel Mouradian, ouverte en 1928 et fermée en 1997.
L’école a formé de nombreux enseignants, prêtres, éducateurs et dirigeants communautaires. Depuis sa fermeture, le site s’est détérioré et est devenu une source de pollution visuelle menant les autorités municipales à menacer de s’emparer du bien.
C’est encore le sort de nombreuses institutions arméniennes qui grandissent grâce aux dons de la communauté et sont ensuite laissées à la merci de dirigeants laïcs ou religieux vieillissants, avant qu’elles ne soient perdues dans des accords controversés lorsqu’elles ne sont pas escroquées par des tiers.

Il y a plusieurs décennies, la congrégation mekhitariste de Venise a été victime d’une fraude bancaire et a perdu des biens sur l’île du Lido et d’Asolo, évalués à cette époque à plus de 50 millions de dollars.
Même le monastère de San Lazzaro était en jeu et sauvé grâce à la générosité d’Alex Manoogian.
Le sort de la propriété de Sèvres a fait l’objet de discussions privées et publiques par de nombreuses parties; l’idée de la convertir en un centre d’études sur le génocide a été examinée. Il a été également suggéré de le convertir en un centre de conférence. Mais rien n’a été réalisé à cause de dissensions internes.
En 2016, le pape François a nommé Monseigneur Zekiyan représentant pour sauver la propriété. Zekiyan est connu pour son sens de l’organisation et dirige actuellement la communauté catholique arménienne de Turquie. À l’heure actuelle, un plan est en cours pour construire des installations génératrices de revenus afin de financer les besoins du complexe comme centre éducatif et culturel.
En dépit de cet arrangement, le sort des deux autres congrégations mekhitaristes de Venise et de Vienne, sont dans l’eau chaude.
Mekhitar Sebastatsi a déplacé sa congrégation sur l’île de San Lazzaro en 1717. Plus tard, des prêtres mécontents ont coupé les liens avec la congrégation et se sont installés à Trieste. Mais lorsque Napoléon a occupé l’Autriche, ils ont été officiellement reconnus et ont établi un monastère à Vienne en 1810.
Les partis politiques ont toujours été critiqués pour se juger mutuellement. Peu de gens se rendent compte que ces membres du clergé craignant Dieu ne se sont pas parlé depuis près d’un siècle. Mais leur rivalité a profité aux communautés arméniennes, qui sont devenues des bastions de l’érudition et ont géré des réseaux d’écoles à travers la diaspora.
Avec la perte de nombreux prêtres, la congrégation de Vienne a été affaiblie et est tombée finalement sous la juridiction de celle de Venise, aggravant les malheurs de l’ensemble du mouvement mekhitariste.
Le destin de la congrégation mekhitariste n’est pas un cas unique. Il existe de nombreux cas similaires dans d’autres parties du monde.
Maintenant que l’Arménie est indépendante, tous ces cas doivent faire partie des préoccupations de la diaspora arménienne. Nous affirmons que les différentes administrations arméniennes qui se sont succédé n’ont pas investi suffisamment de ressources pour étudier et connaître les atouts et les problèmes de la diaspora. Certes, l’Arménie n’est pas un pays puissant pour intervenir dans les affaires d’autres pays afin de protéger les intérêts de leurs compatriotes Arméniens, comme le fait la Turquie pour défendre les droits des Turkmènes en Irak ou les droits des Tatars de Crimée et même le sort des Ouïghours en Chine.
En ce qui concerne les intérêts arméniens, l’académie arménienne de Calcutta est un autre cas à étudier.
Entre les XVIe et XIXe siècles, les Arméniens de Judas en Iran se sont aventurés à développer le commerce vers l’Extrême-Orient, établissant des postes de traite et des communautés arméniennes prospères jusqu’en Mandchourie, à Harbin en Chine, Surabaya en Indonésie, à Singapour, en Inde et plus encore. La plupart des richesses accumulées par ces communautés ont été perdues. En outre, de nombreux actifs ont disparu en Inde. Mais une institution est vivante: l’Académie arménienne philanthropique de Calcutta, créée par Astvatsatour Mouradghanian et Mnatsakan Vartanian.
Cette académie a été créée en 1821 et a formé de nombreuses générations d’Arméniens d’Iran. Au fil des ans, l’académie a également formé des étudiants originaires d’Inde, du Koweït, d’Irak, de Syrie, de Turquie et d’Azerbaïdjan, étudiants issus principalement des communautés arméniennes.
Lorsque le nombre de membres de la communauté arménienne a diminué, l’académie est tombée en ruine et, pendant longtemps, son destin est demeuré dans les limbes. De nombreux actifs en Inde ont été perdus par la communauté parce que les lois ne permettaient pas le transfert de fonds vers d’autres pays. L’académie a survécu mais son destin est resté vague. Enfin, en 1999, la Haute Cour du Bengale occidental a ordonné au Catholicos de l’Église arménienne « d’administrer l’école » conformément aux conditions énoncées dans la requête présentée à la Haute Cour de Calcutta.
La même année, un premier groupe d’étudiants d’Arménie est arrivé. Sa Sainteté Karekin II a également visité l’académie à deux reprises.
Heureusement, cette affaire a connu une fin heureuse en mettant une institution « perdue » sous la juridiction du Patriarche suprême des Arméniens.
Les autorités religieuses et gouvernementales doivent avoir pour politique de poursuivre et de récupérer les avoirs disséminés dans le monde entier par le peuple arménien. Aujourd’hui, ils doivent être considérés comme des biens en péril.

Nous vous présenterons, dans une seconde partie, d’autres cas dont le destin pourrait ne pas être aussi prometteur. Edmond Y. Azadian

Fin de la 1e partie

Traduction N.P.