Seconde d’une série de trois parties sur le futur des propriétés arméniennes de la diaspora.
Un certain nombre de propriétés arméniennes de valeur à travers le monde ont joué un rôle historique dans la préservation du patrimoine arménien. Mais avec le changement de profil démographique des pays où ces propriétés sont situées, les institutions ont perdu de leur utilité.
La mission éducative de l’Ordre Mekhitariste s’est désintégrée en raison d’un manque de jeunes recrues dans le clergé. En revanche, la communauté arménienne jadis florissante en Inde a pratiquement disparu, laissant derrière elle une île ayant pour nom Académie philanthropique de Calcutta.
Mais il existe des institutions dont la viabilité et la pertinence pour leurs communautés respectives justifiaient leur existence et leur mission et elles ont également été abandonnées prématurément.
L’un de ces établissements est l’Institut éducatif Melkonian de Nicosie, à Chypre. Cet institut a été « abandonné » en ce sens que sa mission ne contribue plus à la préservation du patrimoine arménien.
La création de Melkonian a été une réponse à une crise catastrophique et a continué de fournir des solutions tout au long de son histoire, chaque fois qu’une crise éclatait dans diverses communautés arméniennes.
Après le génocide de 1915, des centaines de milliers d’orphelins arméniens ont été laissés sans ressources dans le désert ou à la merci d’organismes caritatifs étrangers. Le patriarche Zaven Der Yeghiayan d’Istanbul a rassemblé 300 de ces orphelins et les a hébergé à l’Institut Melkonian; l’école a d’abord agi comme un orphelinat avant de changer de mission et est devenu un internat. Au cours des dernières années, il a hébergé et éduqué des étudiants fuyant la révolution iranienne ou la guerre civile libanaise.
L’institut était idéalement situé sur l’île de Chypre pour poursuivre son rôle de « havre de sécurité » alors que d’autres crises frappaient les communautés arméniennes d’Irak, de Syrie et ailleurs.
Au fil du temps, l’institut est devenu un centre d’apprentissage académique et les noms de nombreux érudits, écrivains et philosophes renommés, tels que le poète Vahan Tekeyan, Hagop Oshagan, Vahé Vahian, Kersam Aharonian, Hagop Topjian, Krikor Guiragossian, Moushegh Ishkhan et beaucoup d’autres.
Les diplômés de Melkonian ont finalement repris la destinée intellectuelle d’une grande partie de la diaspora, façonnant la vie et l’esprit de leurs concitoyens arméniens.
L’institut a été fondé par les bienfaiteurs Garabed et Krikor Melkonian, frères d’Egypte. Ils ont liquidé leur grande entreprise de tabac pour créer un fonds de dotation qui avait été initialement confié au patriarcat d’Istanbul. Cependant, grâce aux efforts de certains dirigeants arméniens éminents, dont l’archevêque Moushegh Seropian, la dotation a été détournée de la Turquie et confiée à l’Union générale arménienne de bienfaisance (UGAB), qui a mené à bien la mission éducative de l’école, jusqu’à sa disparition en 2005.
La fermeture du Melkonian a déclenché un tollé public; en particulier, les anciens élèves se sont mobilisés et organisés pour garder les portes ouvertes, mais en vain.
Le Melkonian n’a pas connu de baisse d’effectif ni de difficulté à recruter des éducateurs et a maintenu des normes académiques reconnues. Cependant, les responsables de l’UGAB ont déclaré que l’école n’était pas en mesure de respecter ses normes et méritait d’être fermée.
En outre, l’école disposait d’un fonds de dotation et avait la responsabilité de respecter les termes du testament des frères Melkonian.
De plus, grâce au leadership visionnaire de Haigashen Ouzounian, un dirigeant intellectuel de l’UGAB, des immeubles de bureaux générant des revenus ont été construits sur le campus de l’école. Les archives publiques indiquent que ces dernières années, le centre commercial Melkonian a généré un revenu annuel de 650 000 dollars.
Le gouvernement chypriote soutenait également l’école et des subventions supplémentaires étaient possibles. En cas de divergence dans les calculs, quelle est alors la responsabilité des dirigeants de collecter des fonds?
La fermeture de Melkonian en 2005 a presque coïncidé avec l’adhésion de Chypre à l’Union européenne qui s’est produite en 2004 et a donné lieu à deux erreurs particulièrement dommageables. L’Union européenne a désigné l’arménien occidental comme langue en danger; des fonds seraient donc disponibles pour sa préservation, étant donné que Melkonian était un centre éducatif primordial en Europe, en plus de certaines écoles défaillantes en Grèce. En prévision de son adhésion à l’Union, le gouvernement chypriote a souligné son intérêt pour les droits des minorités, conformément aux normes européennes. Le statut de la communauté arménienne et des autres minorités devait servir de référence à la politique du gouvernement en matière de minorités, mais la fermeture de Melkonian à ce moment délicat a servi de coup de poignard dans le dos. Voilà pour la prudence politique de la direction de l’UGAB.
Le gouvernement chypriote s’est emparé du campus Melkonian pour empêcher la vente de l’ensemble du bien, qui valait alors 80 millions de dollars, en raison de l’étalement urbain de la banlieue de Nicosie.
La disparition de Melkonian demeure controversée. De nombreuses raisons et spéculations sont lancées dans tous les sens. Les dirigeants de l’UGAB n’ont pas trouvé d’explications plausibles et, en leur absence, de nombreuses personnes ont tiré leurs propres conclusions.
Le principal argument semble être le potentiel lucratif de la vente de la propriété.
Lorsque le regretté patriarche Mesrob Moutafian a décidé de poursuivre l’UGAB au motif que l’intention initiale de la volonté des Melkonians était de le confier au patriarcat d’Istanbul, nous étions tous alarmés par le transfert éventuel du bien sous la juridiction d’une entité turque.
Si aujourd’hui le patriarche était en vie, il aurait le droit d’interroger les dirigeants de l’UGAB sur la localisation du fonds de dotation et l’utilisation de ses revenus.
En 1974, le président turc, Bulent Ecevit, a lancé un acte d’agression contre Chypre et, dans sa détermination à intimider le peuple grec, il a également pris pour cible les Arméniens.
Au cours de cet acte d’agression, l’école Melkonian a été délibérément bombardée par l’armée de l’air turque car elle était une étoile brillante de l’éducation arménienne tout au long de son histoire et les Turcs ont toujours détesté les instituts d’enseignement arméniens.
Une anecdote a été rapportée sur le sultan Abdul Hamid, qui a déclaré: « J’ai bien plus peur de la presse Mekhitariste [qui produit des livres érudits] que des bombes de « terroristes arméniens ».
Ecevit devait donc surpasser la tâche destructrice de ses prédécesseurs.
Malheureusement, ceux qui ont éteint les lumières de Melkonian en sont devenus complices par inadvertance.
La propriété Melkonian n’ayant pas encore été vendue, il est raisonnable de supposer que la cupidité n’est pas l’une des raisons de sa disparition.
Pire encore, il semble que la direction de l’UGAB ait renversé sa mission et sa philosophie en matière d’éducation, en particulier dans la mentalité de son président actuel, mon respecté ami, Berdge Sétrakian.
Le regretté Alex Manoogian, tout au long de sa présidence de l’UGAB (1953-1989), a alloué ses propres ressources et a inspiré d’autres bienfaiteurs à contribuer au développement de la mission éducative de l’organisme. Des bienfaiteurs tels les Hussisian, Nazarian, Kouyoumjian, Zaroukian, Hanessian et Bazarian se sont joints à sa volonté d’élargir le réseau d’écoles de la diaspora.
Avec la direction actuelle de l’UGAB, la tendance s’est inversée. Melkonian n’était donc que la partie visible de l’iceberg, d’autres écoles ayant connu le même sort. L’UGAB a fermé l’école Bazarian de Sao Paolo, au Brésil et l’école Zaroukian de Toronto, au Canada. La hache était au-dessus de l’école Manoogian de Detroit avant qu’elle ne devienne une école à charte financée par l’État.
Les écoles Kalpakian d’Athènes et de Sydney, en Australie devraient être fermées.
En outre, l’école de l’UGAB à Watertown a fermé ses portes dans les années 90.
Le fait que toutes les écoles créées par la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA) dans les mêmes communautés soient en plein essor est la preuve qu’il n’y a pas de pénurie d’élèves ni de financement dans les communautés respectives. Cela laisse les dirigeants de l’UGAB prêts à être accusés d’un manque de vision et d’engagement envers notre patrimoine et de manque de savoir-faire pour gérer des établissements d’enseignement.
La philosophie éducative actuelle de la direction de l’UGAB est – et cela est fièrement énoncé – que préserver le patrimoine arménien revient à contenir ces communautés dans des ghettos et que fermer des écoles est une forme d’émancipation dans le monde actuel globalisé.
Faut-il hésiter qualifier cette campagne de fermeture d’écoles une trahison envers notre patrimoine ?
L’Institut d’éducation Melkonian n’est pas encore un bien « abandonné », mais il semble être sur la bonne voie.
Cette action destructrice est menée en toute impunité, dans l’espoir que la diaspora se désintègre et atteigne un point tel qu’aucune autorité ne cherchera à rendre des comptes face à un public outré. Edmond Y. Azadian
Fin de la 2e partie
Traduction N.P.