Troisième et dernière partie sur le futur des propriétés arméniennes de la diaspora.
Jérusalem est l’une des villes les plus disputées du monde. Par conséquent, discuter de toute question liée à la présence arménienne dans cette ville sainte est également controversé.
Cependant, la Jérusalem arménienne est un emblème d’honneur face au monde grâce à son histoire et sa situation.
En plus de son rôle religieux, culturel et éducatif, Jérusalem joue un rôle politique important.
Incidemment, lors des négociations dans les années 1990 entre le Premier ministre Yitzhak Rabin et le président de l’OLP, Yasser Arafat, visant à résoudre le conflit israélo-palestinien, le sort du quartier arménien était devenu un sujet difficile, car chaque partie avait insisté pour le placer sous sa juridiction.
Le patriarcat arménien de Jérusalem remonte au VIIe siècle de notre ère, lorsque le premier patriarche, Abraham Ier, y a servi de 638 à 669. Depuis lors, sa place dans le monde chrétien s’est accrue de façon exponentielle, de même que son portefeuille immobilier, qui a contribué à maintenir son existence.
Le patriarcat et son monastère Saint-Jacques ont survécu sous les lois arabes, croisées, ottomanes, britanniques, jordaniennes et israéliennes, grâce à l’ingéniosité et aux manœuvres politiques des moines.
Les Arméniens du monde entier ont soutenu la Confrérie Saint-Jacques dans l’accroissement de son patrimoine immobilier, qui a atteint une taille assez difficile à gérer.
Sa fortune s’est parfois détériorée et les dettes du patriarcat ont mis en péril son existence puis la fraternité monastique a attiré la grande communauté arménienne.
Un patriarche en particulier a symbolisé le degré de sacrifice que le clergé a subi pour sauver le patriarcat et la confrérie. Il s’appelait Krikor VI le porteur de chaîne (1715-1749) ou Krikor VI Shiravantzee, qui avait décidé de porter de lourdes chaînes au cou pour symboliser les difficultés qu’il était prêt à supporter dans ses efforts pour aider le Patriarcat à éliminer ses dettes.
Jérusalem a également servi de refuge aux survivants du génocide arménien, qui ont été logés, protégés et nourris pendant longtemps par le patriarcat. À cette époque, 25 000 Arméniens étaient hébergés dans l’enceinte de la confrérie Saint-Jacques. Lorsque la guerre éclata en 1948 entre Arabes et Israéliens, il en restait 8 000. Aujourd’hui, leur nombre atteint à peine 800. Peut-être qu’avec d’autres villes telles que Haïfa, Ramallah et Bethléem, leur nombre pourrait égaler 2 000 à 2 500.
La Confrérie Saint-Jacques a formé de nombreuses générations de membres du clergé qui ont ensuite servi les églises de communautés arméniennes du monde entier.
Pendant des siècles, différentes églises et religions se sont battues pour maintenir leur territoire. Enfin, un édit du sultan ottoman a défini la délimitation du bien en 1757. Le document appelé Statu Quo a été ratifié et finalisé par le sultan Abdelhamid en 1853 et, depuis lors, les gouvernements au pouvoir l’ont respecté. Selon les clauses du Statu Quo, la vieille ville de Jérusalem est divisée en quatre quartiers : musulman, latin (catholique), juif et arménien. Les Arméniens contrôlent des biens immobiliers de valeur ainsi que des sites religieux primordiaux, à envier aux autres confessions chrétiennes.
Le statut de Jérusalem a conféré au patriarcat arménien toute autorité pour gérer ses propres affaires. Ils ne sont supervisés par aucune autorité et ne sont responsables devant aucune hiérarchie, comme le font l’Église orthodoxe grecque et l’Église catholique envers leurs dirigeants.
Pendant des siècles, la plupart des patriarches et des membres de la Confrérie ont géré le patriarcat avec conscience. Mais parfois, les instincts inférieurs de la nature humaine ont pris le dessus sur les membres du clergé au pouvoir qui ont commis des crimes scandaleux face à un monde impuissant.
Le patriarcat possède 4 000 manuscrits en arménien, juste après le dépositaire arménien du Maténadaran d’Erévan.
Le Patriarcat possède des biens immobiliers inestimables, certains estimant leur valeur à des milliards de dollars.
Pendant des siècles, le patriarcat d’Istanbul a joué un rôle de gouvernement auprès du gouvernement ottoman et a exercé un contrôle sur Jérusalem. Istanbul a amassé de gros volumes de documents et de statistiques. Ces documents ont une valeur fondamentale chaque fois qu’un problème d’indemnisation est soulevé. Ces documents ont été transférés et sont conservés à Jérusalem, ainsi que de nombreux manuscrits et documents sur le génocide.
Le patriarcat de Jérusalem n’a pas été épargné par les scandales commis parfois par des membres du clergé qui ont par ailleurs contribué de manière significative à l’église et à la culture.
Jérusalem était responsable devant le patriarcat de Constantinople. Des délégations étaient envoyées périodiquement, de Constantinople à Jérusalem, pour régler des différends ou dissiper des controverses. En 1914, l’une de ces délégations était composée de l’ancien patriarche Malachia Ormanian, un géant intellectuel dont les contributions monumentales à l’histoire de l’Église ne pouvaient être réalisées que par l’institution tout entière. L’autre membre était le poète Vahan Tekeyan.
Ormanian était enclin aux intrigues tandis que Tékéyan était l’incarnation de l’intégrité. Dès que la délégation est arrivée à Jérusalem, Ormanian s’est joint au clergé corrompu et s’est dissocié de l’autre membre de la délégation, prétextant que les laïcs n’avaient aucune raison de s’impliquer dans le règlement des conflits.
Cette excuse est encore en vigueur, lorsque des membres corrompus du clergé cherchent un refuge pour cacher leurs méfaits.
Depuis lors, les transgressions d’Ormanian sont bien terne par rapport à la conduite d’autres membres du clergé de Jérusalem.
Un cas très particulier et coloré est celui du patriarche Yeghishe Derderian, un poète à part entière très doué mais corrompu jusqu’aux os.
Avant de monter sur le trône patriarcal, il avait exercé les fonctions de suppléant au cours duquel il avait convenu avec les autorités jordaniennes d’expulser de Jérusalem l’archevêque Tiran Nersoyan, figure emblématique de l’Église et patriarche légalement élu. Il s’est ensuite fait élire patriarche en 1960 et a servi durant 30 ans. Puisqu’il reste un nombre relativement restreint de membres de la Confrérie, il est devenu presque la norme pour tout membre du clergé de se corrompre une fois sur le siège de patriarche.
Le patriarche Yeghishe était un diplomate habile et apte à naviguer dans la jungle politique des Israéliens, des Jordaniens et des Palestiniens afin de préserver le prestige du Patriarcat. Mais il a dirigé la Confrérie comme si le Patriarcat était son propre fief personnel, s’entourant de ses concubines.
Au début des années 1970, 27 manuscrits arméniens sont apparus lors d’une vente aux enchères de Sotheby à Londres. C’est le travail de détective de l’historienne Sirarpie Der Nercessian qui a permis de dévoiler la provenance de ces manuscrits. Le patriarche a imputé cyniquement la disparition de ces manuscrits à un saint membre du clergé, le patriarche Shnork Kaloustian, et à un certain antiquaire de mauvaise réputation. Grâce à la participation et aux contributions d’Alex Manoogian, les manuscrits ont été renvoyés au Patriarcat.
Le patriarcat a des propriétés en dehors de Jérusalem, en Israël et ailleurs.
L’archevêque Derderian a cédé deux propriétés au catholicosat de Cilicie, au Liban : la cathédrale Saint-Nishan de Beyrouth et le Hovivadoun (résidence du pasteur) à Alep, en Syrie.
La direction actuelle du Patriarcat poursuit d’autres biens en Turquie, avec diligence et diplomatie.
L’archevêque Torkom Manoogian a succédé à Derderian et a servi de 1990 à 2012. Il était l’ecclésiastique par excellence, poète et musicologue de la liturgie divine arménienne. Sous sa gouverne, un scandale immobilier a éclaté et un bien précieux a été vendu pour une somme dérisoire par ses sous-traitants chargés de l’immobilier. Le patriarche a dû avouer publiquement que « nos avocats nous ont dupés ».
De temps en temps, des histoires éclatent sur la perte ou la vente de propriétés à Jérusalem. Il est terriblement difficile pour le clergé, pas assez nombreux, de posséder l’expertise nécessaire, de préserver ces vastes réserves, à une époque où le président Trump pourrait retrancher une parcelle de terre, tel que le plateau du Golan en Syrie, et le donner à Israël.
En octobre 2018, les Églises chrétiennes ont été alarmées par le projet de loi présenté au Parlement israélien par Rachel Azaria, du parti centriste Koulanou, qui devrait « résoudre le problème de milliers de résidents de Jérusalem qui quitteraient leurs maisons en raison des demandes des développeurs. »
Les patriarcats arméniens et grecs ont écrit une lettre au Premier ministre Netanyahou pour lui demander de « bloquer le projet de loi visant à exproprier leurs propriétés ».
En réponse, il a été gelé mais non pas annulé.
Dans l’intervalle, le régime a déclaré que « le gouvernement israélien n’a aucune intention de confisquer des terrains d’église ni de causer des dommages économiques aux églises. Le gouvernement a pour objectif de protéger les droits des églises, des investisseurs et des locataires. »
Il y a évidemment une lutte en vue d’obtenir une mainmise des terres.
Si l’expropriation de terres palestiniennes est une indication, les églises chrétiennes ne peuvent s’attendre à un meilleur résultat. Surtout si et quand des membres corrompus du clergé sont impliqués dans le processus.
Historiquement, le patriarcat de Jérusalem a lancé un appel à l’aide aux communautés arméniennes du monde entier, mais n’a jamais ressenti l’obligation de présenter une comptabilité transparente.
En outre, l’état d’esprit du patriarche au pouvoir détermine si l’unité de l’Église arménienne est préservée ou non. La diatribe publique irrévérencieuse de l’actuel patriarche, Nourhan Manougian, est une indication de cette règle.
L’affaiblissement progressif du clergé et les attaques prolongées, tant légales qu’illégales, mènent le patriarcat vers une position vulnérable.
Rien ne permet de croire que l’intégrité des documents sur le génocide et autres écrits précieux n’a pas encore été compromise.
Ni le gouvernement arménien ni le chef suprême de l’église à Etchmiadzine ne sont légalement autorisés à demander des comptes.
Ainsi soit-il ! Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.