Les relations arméno-russes sur la bonne voie malgré le pessimisme des médias

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 13 septembre 2018

Les milieux politiques arméniens et les médias d’Erévan ont observé à la loupe la réunion entre Nikol Pachinian et Vladimir Poutine, le 8 septembre dernier, et en ont tiré des conclusions. Bien sûr, pour l’Arménie, une telle réunion était cruciale. Mais du côté de la Russie, il s’agissait plutôt d’un minuscule point à l’agenda politique.

La réunion Poutine-Pachinian s’est déroulée dans un tourbillon politique au Kremlin et aux alentours. M. Poutine a rencontré le président azerbaïdjanais Ilham Aliev, le 1er septembre, à Sotchi. Il a également rencontré les présidents turc et iranien pour sceller le sort de la Syrie, s’est rendu à Vladivostok pour rencontrer le Premier ministre japonais Shinzo Abe et signer des projets de coopération commerciale et industrielle, tout en accueillant une délégation vietnamienne à Moscou, et ordonner les plus grands exercices militaires depuis la fin de la guerre froide, en coopération avec la Chine et la Mongolie.
Une semaine d’activité politique intense pour le président Poutine, il a consacré pourtant deux heures et demie à une rencontre avec le Premier ministre arménien.
Il s’agissait de la troisième rencontre entre les deux leadeurs et la plus attendue. La première réunion a eu lieu le 14 mai à Sotchi, presque une semaine après l’entrée en fonction de M. Pachinian, dans le cadre de la réunion de l’Union économique eurasienne. La seconde s’est produite à l’occasion de la Coupe du monde de football, à Moscou en juin.
Cette troisième réunion était attendue car les relations entre les deux pays se sont détériorées et des problèmes ont surgi qui ont suscité des spéculations politiques dans les deux capitales.
L’Arménie a mis de l’ordre chez elle et, en cours de route, a dû sacrifier ses vaches sacrées. La Russie n’a pas interféré dans les affaires intérieures de l’Arménie lorsque la révolution de velours a eu lieu. Bien que cette approche de non-intervention ait été très appréciée à Erévan, les Arméniens savaient parfaitement que la raison de cette politique de retenue provenait principalement des expériences négatives de l’Ukraine et la Géorgie, et non pour d’autres considérations.
Moscou surveillait les développements en Arménie avec une patience maîtrisée, son niveau de nervosité s’aggravait chaque fois que des hommes d’État occidentaux et les médias qualifiaient la révolution de velours de révolution similaire à celle de l’Ukraine et de la Géorgie.
La plupart du temps, au cours de cette dernière réunion, le président Poutine est demeuré silencieux, sauf lorsqu’il a fait part de son mécontentement à propos de l’incarcération de son vieil ami Robert Kotcharian. Il a envoyé ses vœux d’anniversaire à l’ancien dirigeant arménien, ce qu’il avait négligé de faire depuis 2007, alors que Kotcharian était au pouvoir.
Depuis son entrée en fonction, Pachinian n’a jamais manqué une occasion d’exalter les relations historiques et stratégiques arméno-russes, mais du côté russe, la rhétorique anti-russe de Pachinian lors de sa campagne d’opposition était encore fraîche à leurs mémoires. Selon les calculs de Moscou, les mots ne correspondaient pas aux actions du gouvernement lorsque l’Arménie a accusé le général Yuri Khachatourov de renverser la constitution en ordonnant l’arrestation et le meurtre de manifestants en 2008, alors qu’il était secrétaire général de L’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC).

Ensuite, le Kremlin a renvoyé vers le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, la tâche d’exprimer son mécontentement face aux développements en Arménie. Lavrov a qualifié l’arrestation de Khachatourov – sans en avertir ses partenaires russes – d’agression contre la réputation de l’OTSC. Lavrov a même fait allusion à la « chaleur qui couvait » à Erévan, à laquelle Pachinian a répondu avec humour qu’en fait, le temps avait été très chaud ces derniers temps.
Dans cette atmosphère de tensions et de suspicions croissantes, on craignait que la Russie ne mette fin à la livraison à l’Arménie de matériel militaire moderne d’une valeur de 100 millions de dollars. Mais heureusement, cette peur était sans fondement.
Selon Artur Martirossian, spécialiste de la gestion des conflits, l’équipe politique représentant l’actuel gouvernement arménien jouit d’un niveau de confiance plus faible parmi les partenaires russes que les autorités précédentes.
Invité à commenter les pourparlers, avant qu’ils n’aient lieu, dans le contexte des incertitudes existantes, M. Martirossian a déclaré que les deux dirigeants se réunissaient dans le but de finaliser certains points de désaccord et de convenir de questions urgentes. « Mais cette réunion se tient généralement pour des raisons de règlement de problèmes liés à cette méfiance. Nous pouvons certainement en laisser le soin à la Russie, mais à la lumière de notre alliance stratégique avec ce pays, la méfiance ne peut et ne doit pas demeurer l’affaire de la Russie », a-t-il expliqué.
Malgré toute l’appréhension, la réunion s’est terminée sur une note positive. Pachinian était presque heureux au cours de sa déclaration. « Ma rencontre avec le président russe Vladimir Poutine vient de s’achever. Nous avons eu un entretien productif et déclaré que les relations arméno-russes étaient brillantes. Il n’y a aucun problème quel que soit le domaine de nos relations », a-t-il déclaré.
Bien que beaucoup plus prudente, la déclaration de Poutine a également eu un effet positif. « Les relations entre l’Arménie et la Russie se développent régulièrement dans toutes les directions. Cela concerne les relations politiques, militaires, les questions de sécurité et les sphères de coopération économique », a déclaré le dirigeant russe.
Pour l’Arménie, qui a faim d’énergie, l’importation du gaz russe est vitale.
« Nous sommes le plus gros investisseur de l’économie arménienne et nous pouvons affirmer qu’à cet égard, nos relations sont plutôt diversifiées », a déclaré M. Poutine. Il a également salué le fait que l’Arménie achète du gaz russe au prix le moins cher – 150 dollars le millier de mètres cubes -, ce à quoi Pachinian a rétorqué que lorsque les consommateurs recevront ce gaz à Erévan, le prix atteindra 275 dollars en frais de transit géorgiens, et le monopole russe de Gazprom en Arménie.
Poutine a promis d’étudier le cas.
Placé dans un format diplomatique séduisant, Pachinian a transmis un message que ses partisans, chez lui et en Occident, apprécient beaucoup, celui du statut souverain de l’Arménie dans ses relations avec la Russie.
L’Arménie n’est plus un « vassal inférieur », comme le dirait Levon Shirinian, le gourou de la révolution de velours. En effet, Pachinian a déclaré : « La Russie et l’Arménie n’ont pas de problèmes insolubles. Nos pays s’appuient sur les principes du respect des intérêts des uns et des autres et de la non-ingérence. Nous sommes déterminés à développer davantage les relations, non seulement bilatéralement, mais également dans le cadre des organisations de l’Union économique eurasienne et de la sécurité collective. »
En plus de confirmer le respect mutuel et de s’engager pour une coopération productive future, M. Pachinian a fait un pas positif dans le dossier du Karabakh. En effet, Vahram Atanesian, le correspondant de Hay Dzayn à Stepanakert, qui examine méticuleusement la presse azerbaïdjanaise, affirme que dans ce pays il y avait des spéculations selon lesquelles Poutine était prêt à réprimander Pachinian sur sa position au sujet de l’Artzakh. Mais, selon le commentateur, ils ont été amèrement déçus. Les dirigeants azéris ont réalisé que la rhétorique belliqueuse d’Aliev n’aurait aucun effet à Erévan. Pachinian a envoyé un message clair à Poutine et à Bakou, à savoir que l’Arménie serait prête à faire des compromis lorsque Bakou serait également prêt. De même, seuls les représentants élus de l’Artzakh peuvent parler au nom des personnes présentes. En ce qui concerne les sept régions dépendant de l’Artzakh, les soi-disant « territoires occupés », elles font partie de cette république de par sa constitution.

En effet, lorsque nous lisons le discours et le communiqué de presse après la réunion Poutine-Aliev, la référence à l’Artzakh par Poutine est générique, mais elle exclut la solution militaire.
L’équilibre des forces entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan est entre les mains de Moscou. Poutine s’est abstenu de jouer sa carte azérie contre l’Arménie, car il utilise ses options avec parcimonie et à cause au nom de la prudence politique plutôt que de charité.
En fin de compte, si nous prenons bonne note de la réunion, la meilleure façon de la décrire est la définition de Pachinian : malgré les prévisions alarmantes des médias arméniens et russes, la réunion a été un succès raisonnable. Edmond Y. Azadian

Traduction N.P.