Les retombées de la bombe de Pachinian

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 21 avril 2022

Depuis plusieurs mois maintenant, les représentants du Parti du contrat civil au pouvoir en Arménie ne font que des références indirectes et évitent les questions directes sur la position et les intentions du gouvernement concernant l’avenir du Haut-Karabagh. Le 13 avril est devenu, enfin, le jour du jugement lorsque le Premier ministre Nikol Pachinian est monté sur le podium au parlement et a révélé toute la vérité dérangeante sur le Karabagh dans un long discours autoflagellant.

En fait, il n’a fait exploser qu’une bombe attendue depuis longtemps.

Ces révélations ont fait suite à une vague d’activités diplomatiques, qui comprenait une rencontre en face à face entre Pachinian et le président azerbaïdjanais Ilham Aliev à Bruxelles le 6 avril, sous la médiation du président du Conseil européen Charles Michel. À l’issue de ce sommet, les trois participants ont publié des déclarations distinctes mais analogues, dans lesquelles toute référence au Karabagh était manifestement absente.

Les inquiétudes exacerbées en Arménie ont été la déclaration du président Aliev selon laquelle l’Arménie avait cédé sur sa position sur la question du statut du Karabagh. Il a spécifiquement ajouté que l’Arménie était prête à reconnaître l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, y compris le Karabagh en tant que partie de ce territoire. Il a en fait déclaré que l’Arménie renonçait à ses revendications territoriales « en Azerbaïdjan ».

Par conséquent, lorsque Pachinian s’est exprimé au parlement et a révélé toute la vérité, une bombe qui, bien qu’anticipée, a déclenché une vague de colère et de confusion en Arménie et au Karabagh. Ce qui est d’une importance vitale, c’est que le discours a fait connaître au public la division qui couvait depuis des mois entre l’Arménie et le Karabagh, à un moment où l’unité est primordiale. Elle a également intensifié les divisions entre le gouvernement et l’opposition, pour le plus grand plaisir des dirigeants de Bakou. La société civile arménienne s’est fragmentée plutôt que consolidée autour d’un programme national unifié.

Dans un discours long et passionné, Pachinian a développé trois thèmes cruciaux : a) sa part de responsabilité dans la défaite ; b) les conditions posées par la communauté internationale à l’Arménie et c) son projet d’ouvrir la voie vers une ère de paix dans la région.

En ce qui concerne le premier thème, il a déclaré : « J’ai d’abord accepté ma culpabilité et ma responsabilité à la fois pour la guerre et la défaite. Mais je n’ai pas accepté et je n’accepte pas les accusations qui m’ont été adressées par l’opposition après le 9 novembre 2020, m’accusant de céder des terres, et donc, aussi de trahison. À première vue, cela peut sembler absurde que vous reconnaissiez votre culpabilité, mais que vous n’acceptiez pas l’accusation, et peut-être que le moment est venu de résoudre ce dilemme. Dans une récente entrevue, j’ai laissé entendre que si je devais être accusé objectivement, je ne devrais pas être accusé de céder des terres, mais de ne pas céder de terres. Et maintenant, oui, je veux admettre que je suis probablement coupable de cela. »

Comme on peut le remarquer, Pachinian, ancien journaliste et de plus fougueux, est un maître de la gymnastique verbale pouvant hypnotiser son public pour ne pas voir les vérités amères auxquelles il est confronté.

Dans ce discours, il a également admis qu’il aurait pu éviter la guerre, ou l’arrêter net, sauvant ainsi 3 825 vies, en confrontant le pays et en admettant la vérité sur la situation désastreuse.

« Je ne pouvais pas me résoudre à le faire », a-t-il admis.

L’idée maîtresse du discours de Pachinian est le fait que l’Arménie fait face à la communauté internationale dans une position intenable. Abordant cette question, il a déclaré : « Aujourd’hui, la communauté internationale nous dit clairement qu’être le seul pays au monde à ne pas reconnaître l’intégrité territoriale de l’allié de la Turquie, l’Azerbaïdjan, est un grand danger non seulement pour l’Artsakh mais aussi pour l’Arménie. Aujourd’hui, la communauté internationale nous dit à nouveau « baissez un peu votre point de repère sur le statut du Haut-Karabagh et assurez une plus grande consolidation internationale autour de l’Arménie et de l’Artsakh ». Sinon, dit la communauté internationale, ne comptez pas sur nous, non pas parce que nous ne voulons pas vous aider, mais parce que nous ne pouvons pas vous aider. »

Ensuite, Pachinian a jeté les bases des négociations immédiates pour achever la délimitation et la démarcation de la frontière et signer un traité de paix avec l’Azerbaïdjan.

De nombreuses questions restaient sans réponse dans ces commentaires : quel pays est inclus dans le terme « communauté internationale » ? Qu’attend-on réellement de l’Arménie ? Qu’est-ce que l’Arménie recevra en retour ? Est-ce une voie vers une paix relative pendant un certain temps ou la recette pour une nouvelle guerre ?

Les raisons pour lesquelles l’Arménie est confrontée à une réalité aussi sombre aujourd’hui sont les développements récents sur la scène politique internationale, où la Turquie et l’Azerbaïdjan sont devenus des acteurs majeurs.

Le président Aliev, sous la tutelle des dirigeants turcs, a pris certaines initiatives pour apaiser les deux camps opposés dans la guerre en Ukraine. La veille du lancement par la Russie de son attaque, Aliev a signé, avec elle, un traité d’alliance stratégique, équivalent à celui que l’Arménie avait signé il y a longtemps. Cela a soulevé la question de savoir quel côté Moscou soutiendrait en cas de guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, car Moscou a des accords identiques avec les deux adversaires. Cette décision a pratiquement neutralisé la seule force de l’Arménie.

L’Azerbaïdjan est devenu, d’autre part, le fournisseur d’énergie préféré de l’Europe lorsque celle-ci a tenté de se sevrer des sources d’énergie russes en raison des embargos résultant de la guerre.

L’Occident a, par conséquent, toutes les raisons nécessaires pour ne pas braquer l’Azerbaïdjan et soutenir ses adversaires dans le Caucase. Qu’est-ce que l’Arménie a à offrir à l’Occident pour contrer le nouveau poids de l’Azerbaïdjan en Occident, à part un champ dans sa politique, pour faciliter les efforts de l’Occident de saper l’empreinte militaire de la Russie dans le Caucase ?

Alors que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, déplore que les partenaires occidentaux de la Russie, les coprésidents du groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), aient refusé de coopérer avec Moscou pour rétablir la paix au Karabagh dans le cadre de ce groupe et donc le format du groupe de Minsk serait, à toutes fins pratiques, mort, les coprésidents français et américain, Brice Roquefeuil et Andrew Schofer, se sont récemment rendus à Erévan pour relancer le processus et insuffler l’espoir en Arménie.

Pendant longtemps, l’Arménie a placé ses espoirs dans le groupe de Minsk, qui continuait de soutenir que le statut du Karabagh devait encore être traité dans le cadre des principes de l’Acte final d’Helsinki.

Ces visites ont été accompagnées d’un appel de Charles Michel à la veille de la visite prévue de Pachinian, les 19 et 20 avril, à Moscou, pour rencontrer le président Vladimir Poutine, le Premier ministre Mikhail Mishustin et le chef de la Douma russe.

Toutes ces activités peuvent également servir d’avertissement à Pachinian pour qu’il évite de prendre des engagements envers le Kremlin, ce qui pourrait nuire aux intérêts de l’Occident dans le Caucase.

Dans ce contexte, même le destin d’un programme d’aide de 3 milliards de dollars à l’Arménie en provenance d’Europe peut être en suspens.

Le gouvernement Pachinian doit relever de nombreux défis, en particulier à la lumière de la fragile politique étrangère de l’Arménie.

La guerre ukrainienne de la Russie donne carte blanche à Bakou pour s’engager dans de nouvelles aventures dans le Caucase et faire pression sur l’Arménie pour plus de concessions.

Les dirigeants azerbaïdjanais se rendent compte que cette fenêtre d’opportunité ne peut durer très longtemps et c’est pourquoi ils font pression sur l’Arménie pour qu’elle signe immédiatement un traité de paix, sous la contrainte.

L’ancien ministre des Affaires étrangères Vartan Oskanian vient de publier un commentaire dans les médias arméniens conseillant aux dirigeants de s’abstenir de signer, pour le moment, un traité de paix dont l’impact pourrait mettre en danger la sécurité et l’intégrité territoriale de l’Arménie.

Pendant un moment, le président Aliev s’était abstenu de mentionner le corridor de Zangezour, donnant l’impression que son idée était dans une impasse. Mais avec les récents développements, il a ravivé cette demande, l’accompagnant même d’une menace.

Avec toutes ces menaces extérieures, l’administration Pachinian doit faire face à l’opposition des dirigeants du Karabagh ainsi qu’à la dissidence interne.

Le gouvernement et les habitants du Karabagh ont des craintes justifiées quant à leur avenir. Comme si la déclaration troublante de Pachinian ne suffisait pas, un membre du parti de Pachinian au parlement, le caméléon du paysage politique arménien, Viguen Khatchatrian, a ajouté de l’huile sur le feu et a déclaré au parlement que « l’idée que le Karabagh n’a pas d’avenir dans le cadre de l’Azerbaïdjan est une déclaration fallacieuse ».

Arayik Haroutiounian, le président du Karabagh, a tenu une réunion d’urgence avec les dirigeants des groupes politiques locaux pour discuter des préoccupations à la suite de la déclaration de Pachinian. Son bureau a déclaré que la réunion avait « exprimé son indignation » face aux remarques de Pachinian et a souligné que Stepanakert continuerait à affirmer le droit des Arméniens du Karabagh à l’autodétermination.

Son ministre des Affaires étrangères, Davit Babayan, est allé plus loin, déclarant que les Arméniens du Karabagh n’accepteront jamais de vivre sous la domination azerbaïdjanaise. Il a ajouté que « pour nous il n’y a pas d’obstacles à revoir à la baisse ; il n’y a que des lignes rouges tracées dans le sang ».

Un autre défi en Arménie est l’action d’Arthur Vanetsian, du parti d’opposition Haïrenik, qui a commencé un sit-in sur la place de la Liberté. Bien qu’il prétende que l’opposition a un plan clair, il n’en propose pas.

Depuis le début, l’opposition réclame la démission de Pachinian, sans proposer de meilleure alternative.

L’opposition et le parti au pouvoir, en ce moment, sont engagés dans une intense campagne de récriminations mutuelles. La plupart des débats politiques ont franchi toutes les limites de la décence et sont tombés dans un jeu de blâmes mutuels.

Les ennemis de l’Arménie sont à ses frontières. La dissidence interne n’en est pas moins un danger. À moins que les citoyens et le gouvernement ne s’unissent, aucune solution ne peut être trouvée pour faire face aux dangers extérieurs.

La bombe de Pachinian ne devrait pas détruire ce qui reste d’espoir. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.