La situation politique de l’Arménie peut être décrite comme un manège de montagnes russes, avec ses changements dynamiques tous les jours et tous les instants jusqu’à la date fatidique du 1er mai.
Le dirigeant du mouvement politique du « contrat du citoyen », Nikol Pachinian, a su mobiliser la jeunesse arménienne pendant ces trois semaines de marche et de rassemblement pour renverser le nouveau Premier ministre Serge Sargissian et secouer le parti républicain au pouvoir.
Au lendemain de la démission du Premier ministre, l’impression était que le gouvernement s’était effondré et qu’un vide politique avait été créé, immédiatement comblé par le « candidat du peuple », Nikol Pachinian. Ce dernier effectuait ses mouvements politiques de manière très transparente pour plaire à ses partisans. Il a confronté Sargissian à l’hôtel Marriott lors d’une réunion infructueuse de trois minutes, qui a finalement conduit à la démission de ce dernier. Il a essayé d’utiliser la même stratégie avec le successeur de Sargissian, le vice-premier ministre Karen Karapetian, qui avait hérité du poste de Premier ministre par intérim et l’a invité à nouveau à l’Hôtel Marriott en présence des journalistes pour assister à la transmission du pouvoir.
Il avait trié sur le volet les représentants républicains qu’il voulait voir accompagner Karapetian à cette réunion.
La constitution arménienne demande au parlement de choisir dans les sept jours un successeur, à la suite de la démission du premier ministre.
Karapetian, réalisant qu’il avait encore un outil juridique à sa disposition pour retarder l’élection de quelques jours, a refusé de se présenter à la réunion.
D’un autre côté, Pachinian, qui a forcé son entrée sur la scène politique arménienne, a découvert qu’il devait valider son mandat populaire par les voies constitutionnelles, ce qui signifiait qu’il devait se présenter à la session parlementaire pour un vote.
Ces quelques jours ont donné un peu de répit au Parti républicain et lui ont permis de se regrouper. Serge Sargissian, préoccupé par le fait que la reddition son parti pourrait briser toute son assise électorale, est retourné à la présidence de son parti et a littéralement essayé de le ressusciter.
Pour être élu premier ministre, Pachinian a besoin de 53 voix. Les votes combinés des factions Tsaroukian (31), Yelk (9) et FRA (7) s’élèvent à 47 voix, juste en deçà du nombre requis.
Pachinian a découvert qu’il n’avait d’autre moyen que d’attirer les républicains ou de courtiser toute la direction du Parti pour soutenir sa candidature au poste de Premier ministre.
Il a tenté de s’approcher de la direction des républicains et a assisté à une session complète du parti. Il a osé entrer dans la fosse aux lions, face à des membres armés de questions. Un ouvrier de la populace transformé est apparu à la session, en costume en lieu et place de son treillis, mais le meilleur de tous, sa rhétorique de rassemblement de rue remplacé par le langage d’un diplomate courtois, articulé et modéré. Très conciliant, il a répondu à des questions précises. Ces questions portaient essentiellement sur les relations entre la Russie et l’Arménie car, en tant que chef de l’opposition au Parlement, il avait voté contre l’Union économique eurasienne (UEE) dirigée par Moscou et critiqué également les bases militaires russes en Arménie. Le sous-texte de l’ensemble de la rencontre était de tester à quel point la relation russo-arménienne demeurerait inébranlable sous une administration dirigée par Pachinian.
La plupart du temps, Pachinian donnait des réponses génériques qui lui laisseraient une marge de manœuvre après la prise de pouvoir. Il s’agissait principalement d’une offensive de charme soulignant sans cesse le caractère pacifique de cette « Révolution de velours », qui ne se traduirait pas par des gagnants et des perdants, mais par le rétablissement de la confiance et de la coopération entre tous les partis.
Quel que soit la manière dont Pachinian rassure le public sur les motivations de sa « révolution de velours », motivée par des problèmes intérieurs et un caractère purement arménien, les grandes puissances ont leurs propres perspectives.
Pour eux, l’Arménie est une autre pièce sur un échiquier de la politique mondiale et est traitée comme telle. C’est pourquoi Moscou est véritablement préoccupé par l’issue du mouvement. Bien que le Kremlin ait observé une position strictement neutre, les médias pro-Kremlin ont été pour la plupart très critiques du mouvement populaire. C’est pourquoi des vagues de délégations parlementaires sont arrivées de Moscou. Le premier groupe était surtout intimidant mais la deuxième délégation a été plus accommodante.
Moscou n’était pas le seul concerné par ce mouvement ; Dans les médias occidentaux, les représentations du mouvement ont démontré des connotations politiques internationales.
Écrivant sous le titre « L’Empire américain exposé », Joachim Hagopian a noté : « À première vue, il semble que la société civile et la démocratie ont triomphé en Arménie face au copinage et la corruption despotique. Pourtant, une analyse plus approfondie pourrait caractériser les événements récents comme une guerre d’information géopolitique, secrètement menée sur l’échiquier mondial entre les forces occidentales et orientales. »
Pietro A. Shakarian, dans un article publié sur l’état de la nation, a écrit « les analystes hors d’Arménie se sont efforcés de donner un sens à la révolution d’avril. Était-ce une « révolution de velours » ou un maidan à l’ukrainienne ? Était-ce un « coup porté à Poutine » comme le suggéraient le Washington Post ? La révolte avait certains éléments reconnaissables dans des « révolutions de velours » – la manifestation de rue, l’implication de la jeunesse, etc.
En ce qui concerne la politique étrangère de l’Arménie, Pachinian s’est engagé à maintenir le cap.
Au cours des derniers développements, le président nouvellement élu, Armen Sarkissian, a joué un rôle constructif dans les coulisses, dans le cadre limité fourni par la constitution. Il a aidé à rassembler les partis opposés, projetant toujours une cause plus élevée et plus noble que la politique actuelle. Il a également fait participer le Catholicos d’Etchmiadzine, malgré le fait que parmi les groupes d’opposition, il soit perçu comme un membre de la hiérarchie dirigeante.
Quel que soit le futur, le paysage politique en Arménie a changé à jamais. Les jeunes ont goûté à la force de leur pouvoir et se sont déjà engagés vers le changement.
Le moment décisif du 1er mai est arrivé et dépassé. Après de longs discours au parlement, un vote a eu lieu. Tout au long du processus, personne n’aurait pu prédire le résultat du vote, car la situation était et est toujours très mouvante. De nombreuses théories ont été lancées. Le résultat du vote a été de 45 voix pour Pachinian et de 56 voix contre, ce qui a ramené Pachinian à la rue.
La constitution permet une deuxième chance et un vote dans les sept jours. S’il n’y a pas de résultat concret, le parlement sera automatiquement dissout et des élections anticipées auront lieu.
Le temps joue certainement contre Pachinian, car son mouvement populaire pourrait perdre de son élan et sa stratégie de forcer un vote par l’action mobilisatrice pourrait être compromise.
D’autre part, une élection anticipée ne favorisera pas le Parti républicain, qui a perdu la face et le résultat pourrait être la victoire écrasante de Pachinian.
Il est, pour le moment, un lion à la porte du parlement et dépend beaucoup de la façon dont son mouvement de désobéissance civile se poursuivra.
Des milliers de jeunes manifestants sont impatients de percevoir des dividendes rapides, alors que les officiels étrangers des grandes capitales comptent les votes et comparent les stratégies à huis clos.
Pourtant l’impasse politique se poursuit actuellement. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.