Pachinian confronté à des pièges en Arménie et à l’extérieur

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 12 juin 2019

Passer quelques semaines en Arménie donne l’avantage d’avoir accès aux processus en cours qui génèrent les informations. Mais ironiquement, ces nouvelles ne sont pas toujours exactes.
En Arménie, on est pris dans la jungle politique où les organes de presse poursuivent des informations fausses et où les polémistes adoptent le rôle de commentateurs. On ne peut pas trouver une voix sobre et impartiale qui fournirait des informations objectives et des commentaires rationnels.
Après mon retour d’Arménie, le temps et la distance ont filtré tous les faits qui m’ont permis d’avoir une meilleure perspective de la politique qui s’est emparée du pays.
La révolution de velours n’a pas encore abouti. Il est de l’intérêt de tous de consolider les acquis de cette révolution. Il n’y a pas de retour vers le passé, mais aller de l’avant demeure un défi de taille pour la jeune administration. Les forces à l’intérieur et à l’extérieur de l’Arménie tentent de repousser les acquis de cette révolution.
Pas plus tard que la semaine dernière, le candidat du Premier ministre Nikol Pachinian a perdu sa candidature au poste de maire de la ville d’Abovian. Interrogé sur cette défaite, le Premier ministre a répondu: « Nous avons proné la révolution pour permettre aux gens d’avoir le choix. Ainsi, la révolution a gagné ».

Bien sûr, certains membres de l’ancien régime auraient aimé interpréter cette unique défaite comme un signe d’influence décroissante de l’administration actuelle.
Il est difficile d’imaginer comment le Premier ministre Pachinian surmontera les obstacles intérieurs et étrangers pour atteindre les objectifs de la révolution.
Actuellement, plusieurs tendances se développent. En premier lieu, la solide autorité de la révolution se brise comme dans toutes les révolutions; la démission d’Artak Zeynalian à la tête du pouvoir judiciaire a été une mauvaise surprise. De même, un nuage suspendu au-dessus de la tête d’un autre membre puissant, l’ancien chef du Service de contrôle de l’État de l’Arménie Davit Sanasarian, constitue un autre coup dur.
D’autre part, Pachinian avait rapidement affecté à des postes de ministre et de vice-ministre des personnes qui avaient défilé dans les rues pendant la révolution et scandé des slogans, sans vérification de leurs antécédents. Cette opportunité a coûté cher à Pachinian, en particulier dans le cas où la vice-ministre de la Culture, Nazeni Gharibian, a limogé le célèbre directeur d’opéra Constantine Orbelian. L’embarras a entraîné des licenciements de masse. Pachinian a annoncé la démission de 27 vice-ministres, dont Gharibian.
Pour ajouter l’insulte aux blessures, il y a actuellement une impasse entre Erévan et Stepanakert ; Pachinian a accusé certaines forces anonymes du Karabagh d’être impliquées dans des activités de trahison. Et ces accusations volent pendant que l’ennemi est à la porte. La victime de cette catastrophe semble être la démission de Vitaly Balasanian, homme fort et candidat à la présidentielle, qui occupait les fonctions de secrétaire du Conseil national au Karabagh. Il est dit que Pachinian aurait demandé cette démission.
À travers toutes ces distractions, les dirigeants de l’ancien régime et leurs dépendants se réalignent pour un retour; de nouveaux partis émergent et de nouvelles coalitions se forment. Kotcharian lui-même, ainsi que le gendre de Serge Sargissian, Mikhaïl (Mishik) Minasian, achètent des médias et tous les canons sont dirigés vers le Premier ministre. Quel autre sujet sensible les médias de l’opposition peuvent-ils trouver autre que le problème du Karabagh ?

Dans une récente entrevue, Levon Shirinian, commentateur à la langue acerbe, a déclaré: « Qui sont ceux qui reprochent au Premier ministre d’avoir envisagé des concessions territoriales au Karabagh autres que ceux qui aspirent à revenir à la situation passée ? Ce sont les membres du parti républicain. »
Pour sortir du bourbier national, il faut se concentrer sur les défis de politique étrangère auxquels l’Arménie est confrontée actuellement. Le président Vladimir Poutine fait preuve de retenue, mais pas ses médias. Dans l’un des quotidiens soutenus par Poutine, Robert Kotcharian a été qualifié de « premier prisonnier politique de l’ère post-soviétique ».
Lors d’une récente réunion des membres de l’Union économique eurasienne (EEU) au Kazakhstan, une situation embarrassante a été créée pour Pachinian, qui était censé recevoir une médaille aux côtés des dirigeants des autres pays membres, mais a été contourné. En outre, une rencontre avec le président Poutine devait avoir lieu, mais a été annulée.
Peu importe la difficulté avec laquelle Pachinian tente de se faire bien voir par Poutine, ce dernier reste manifestement distant.

Pachinian avait déjà payé chèrement sa décision irréfléchie de réclamer la tête du général Yuri Khatchatourov, qui occupait les fonctions de secrétaire général de l’Alliance pour la sécurité collective.
Tandis que l’Arménie tente d’améliorer ses relations avec l’Occident, elle risque de s’éloigner davantage du Kremlin.
L’Arménie est redevable à la Russie, qui est son principal partenaire commercial. Elle n’a pas beaucoup à vendre aux États-Unis et à l’Occident, et tout ce que l’Arménie peut attendre de l’Ouest, c’est un investissement dans ses infrastructures économiques. Les largesses américaines ne vont pas aussi vite pour ne pas indiquer à la Russie que l’Arménie se déplace hors de la zone d’influence du Kremlin. Pachinian avait prévu de rattraper Poutine et de réparer les obstacles lors du 19e forum économique international qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg la semaine dernière. Pachinian a fait une présentation convaincante lors de ce forum, mais sa rencontre avec Poutine a été brève et courtoise. Poutine a immédiatement rappelé à Pachinian que la Russie était le principal partenaire commercial de l’Arménie et avait investi 2 milliards de dollars. Pachinian, à son tour, a déclaré que cette année, l’Arménie affichait une croissance favorable de 7,1% tout au long de l’année et que les chiffres d’avril étaient encore plus élevés, 9,2%. Pachinian a attribué ce succès économique au processus de coopération de l’Arménie avec la Russie par le biais de l’Union économique eurasienne (EEU).
Mais le ton de cette rencontre courtoise est un autre piège du Kremlin, comme nous l’avons lu sur lragir.am. « Pachinian avait annoncé qu’il attendait de nouvelles munitions de la Russie. Pas l’Iskandar, parce que nous en avons beaucoup, mais quelque chose de plus petit. Il a dit qu’ils en avaient parlé lors de sa rencontre avec le président Vladimir Poutine. Apparemment, voilà pourquoi la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a tenté de faire passer le discours de Nikol Pachinian au forum de Saint-Pétersbourg, transformant le sujet en dérision. Plus tard, bien sûr, le porte-parole de Lavrov a corrigé l’erreur, mais il était impossible de cacher le « complot ».
Poutine est un maître politique. Pachinian ne peut gagner à ce jeu du chat et de la souris avec lui.
Comme on peut le voir dans toutes les querelles internes et intrigues internationales, la tâche de Pachinian est faite pour lui.
L’Arménie a besoin d’une concentration politique et d’une consolidation des pouvoirs pour relever les défis et placer le pays sur la voie de la reprise.
Personne ne devrait se réjouir de l’échec de Pachinian. Car cet échec se révélera être l’échec de l’Arménie. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.