Politiser l’orientation sexuelle en Arménie

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 18 avril 2019

L’acceptation des différentes orientations sexuelles et de genre fait l’objet de discussions et de débats dans le monde entier, et en particulier dans le monde occidental. Ces problèmes ont également éclaté en Arménie. Ce qui s’y passe ne peut être qualifié que d’explosion.
Certes, toute référence au genre et à la sexualité est un terrain miné. Au cours des dernières décennies, la communauté LGBT occidentale s’est progressivement tournée vers une plus grande acceptation et une plus grande ouverture. La question est même devenue un atout pour certains, car beaucoup ont placé les droits des homosexuels dans le programme plus général des droits de la personne.
L’Arménie n’est pas la seule à s’occuper de ces problèmes complexes de genre et d’identité. Même l’Occident est toujours aux prises avec ces complications ainsi que le féminisme moderne. Récemment, le professeur Harvey Mansfield, de l’Université de Harvard, n’a pas été invité à prendre la parole à l’Université Concordia de Montréal, en raison de certains de ses commentaires incendiaires sur les femmes, plus particulièrement des compétences plus restreintes reliées à la biologie.
Les variations sur les préférences ou l’identité sexuelles sont des phénomènes naturels qui ont longtemps été stigmatisés dans le monde et continuent d’être traités comme tels dans de nombreuses sociétés qui traitent les homosexuels comme des êtres pervers ou odieux, souffrant d’une forme de psychose. Cependant, dans un domaine tel que celui des arts, la proportion d’homosexuels est élevée. Des attitudes biaisées persistent à leur égard, même dans les sociétés occidentales, où pourtant les membres LGBT ont acquis un solide soutien.
L’une des chansons les plus célèbres de Charles Aznavour est « Comme ils disent », dans laquelle il adopte le point de vue d’un homme gay solitaire. Et le récent film « Rhapsodie bohémienne », lauréat d’un Oscar, a traité de l’aspect lyrique de cette condition humaine.
Actuellement, un groupe qui a longtemps été dans l’ombre, les transgenres, deviennent plus visibles et placent la problèmatique sur la carte politique. Ce sont des personnes qui ne sont tout simplement pas à l’aise avec leur sexe de naissance et qui souhaitent être identifiées comme du sexe opposé, parfois à la suite d’une chirurgie. Ce groupe souffre d’un taux élevé de tentatives de suicide, de nombreux membres de la société n’hésitant pas à les ridiculiser, voire à les attaquer. Caitlyn Jenner, qui est l’ancien athlète olympique William Bruce Jenner, en est un exemple célèbre. Comme beau-père de Kim Kardashian, Jenner a acquis une grande renommée et sa transition dans une émission de télé-réalité a rendu la question encore plus normale.
Malgré les progrès réalisés dans les sociétés occidentales en ce qui concerne l’acceptation de la déviance sexuelle ou de genre par rapport à la norme, il subsiste une résistance latente.
Le président Clinton avait trouvé une solution temporaire pour les homosexuels et les transgenres servant dans les forces armées américaines, en appliquant sa politique consistant à « ne demandez pas, ne le dites pas. » Actuellement, le président Trump cherche une échappatoire.
Ce qui nous amène à nous demander si les questions de préférences sexuelles n’ont pas encore trouvé un niveau universel de compréhension et d’acceptation dans les sociétés plus avant-gardistes, que pouvons-nous attendre des sociétés plus conservatrices ?
La controverse touche maintenant l’Arménie au niveau le plus élevé, le parlement. L’Arménie est toujours une société patriarcale et conservatrice. Même à l’époque soviétique, lorsque l’on faisait la promotion de l’égalitarisme, les gais et les lesbiennes étaient stigmatisés et considérés à priori comme des pervers.

Ce parti-pris persiste et de nombreux crimes sont commis pour « punir » ou même pour éliminer les personnes qui mènent des modes de vie différents. L’émancipation peut et doit venir de l’éducation et non d’une thérapie de choc, comme ce fut le cas partout dans le monde jusqu’à il n’y a pas si longtemps.
Lors d’une session parlementaire, le 5 avril dernier, au moment du débat sur les droits de la personne, une femme transgenre nommée Lilit Martirossian a été introduite clandestinement au parlement et a pris la parole pour faire entendre les griefs de la communauté transgenre d’Arménie.
Elle a dit : « Je vous demande de me considérer comme l’image collective de personnes torturées, violées, maltraitées, brûlées, poignardées, tuées, émigrées, soumises à la discrimination, de personnes transgenres pauvres et sans emploi ».
Lilit a également énuméré des crimes particuliers commis contre des transgenres.
L’apparition de la militante à la tribune du Parlement et la façon dont elle y a été amenée ont plongé le monde politique arménien dans la confusion et un échange de reproches s’en est suivi.
Le premier attentat a été commis contre la députée Naira Zohrabian, membre du parti Arménie Prospère, qui présidait la session au cours de laquelle des organismes et des ONG ont été invitées à une audition, notamment l’organisme « Right Side », dirigée par Martirossian.
Zohrabian, à son tour, s’est montrée furieuse de ne pas avoir été prévenue des activités de l’organisme.
L’indignation est devenue un problème national, alors que le pays est confronté à un danger existentiel. Le 8 avril, un rassemblement a eu lieu devant le parlement. Les participants ont proposé de « reconsacrer » le parlement pour le « débarrasser de la présence des transgenres ».
Le scandale a également impliqué le gouvernement au plus haut niveau. Le Premier ministre Nikol Pachinian, abordant la question et les droits de la personne en général, a posé la question suivante: « Lilit Martirossian est-elle un être humain ? »
La question supposait naturellement que l’être humain avait donc des droits. Mais plus tard, il a été pris au piège de la politisation du débat en déclarant que le discours de Martirossian était « une provocation politique soigneusement planifiée » par l’ancien parti républicain, qui visait apparemment à affaiblir le nouveau gouvernement.
Il s’est en outre adressé aux anciens dirigeants et leur a dit : « Je leur disais que vous êtes des militants homosexuels et ils ne m’ont pas cru. » Il a également suggéré que les membres de l’administration précédente, qui avaient délivré un nouveau passeport à Martirossian avec la mention « féminin », avait clairement une perspective différente.
Martirossian a cité des cas spécifiques de crimes contre la communauté gay. Aucun responsable gouvernemental n’a abordé la question et aucun d’entre eux n’a assumé la responsabilité d’enquêter sur ces crimes et de traduire les criminels en justice. Cependant, les responsables ont le temps et les ressources nécessaires pour démanteler les dirigeants de Spayka, un immense conglomérat qui exporte les produits agricoles de l’Arménie vers les pays d’Eurasie.
Le débat politique s’est étendu dans les rues, causant bien plus de crimes.
Un homme de 15 ans a été poignardé par un homme de 35 ans, celui-ci ayant alors présumé que ce dernier était homosexuel. Deux mois plus tôt, une femme transgenre avait été agressée dans son appartement. Un autre homme homosexuel a été battu par plusieurs autres alors qu’il marchait.
L’Arménie est classée par Human Rights Watch comme un « lieu hostile pour les personnes LGBT ». Une étude réalisée en 2016 par le groupe Pink Armenia a révélé que 90% des Arméniens pensent que les droits des homosexuels devraient être contrôlés au moyen de mesures juridiques. L’Arménie se classe actuellement au 48e rang des 49 pays européens de la carte arc en ciel annuelle du groupe européen de défense des droits des gays, en Europe.
La manière dont la question a été traitée a agi comme une bombe incendiaire et a déclenché l’indignation et la tourmente politique ; la question a également eu des répercussions internationales. Les responsables de l’ONU et de l’Union européenne ont pris part au débat pour remettre en question et condamner le bilan de l’Arménie en matière de droits de la personne et de parité, ce que le ministère des Affaires étrangères a condamné. En effet, Anna Naghdalian, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a déclaré: « Nos partenaires internationaux doivent faire preuve de plus de respect et de sensibilité envers la société arménienne et s’abstenir de participer indûment au débat public, même s’ils ne sont pas d’accord avec son ton. Nous voudrions leur rappeler que le principe de la moralité publique fait partie des engagements internationaux en matière de droits humains et ne peut être ignoré. »
L’Arménie est une société conservatrice et son évolution dans l’acceptation sociale va certainement prendre du temps. Même dans ce cas, en raison de sa position plus fermée et repliée sur elle-même, ce ne sera pas la même chose que l’Europe occidentale. Ce qui ne devrait pas arriver, c’est que les ONG basées à l’étranger et d’autres organismes de la société civile s’immiscent dans la question et, par extension, dans le pays. Y a-t-il des problèmes ? Oui. Mais l’intervention étrangère aidera-t-elle ? Nous ne le pensons pas. En fait, cela pourrait causer l’effet inverse.

Pour illustrer le déséquilibre existant entre l’Occident et l’Arménie, nous pouvons nous tourner vers un essai d’un jeune écrivain, Gevorg Gouroumlian, qui écrivait: « Les luttes nationales contre l’immoralité se poursuivront spirituellement et physiquement. La dignité nationale passe avant tout. Laissons-les dire ce qu’ils veulent. Si nous devons devenir un pays progressiste en supportant l’immoralité, pardonnez-moi de dire que nous préférons rester une société dégressive. »
L’émancipation de l’Arménie passe par l’éducation et l’exposition aux valeurs occidentales. Mais même dans ce cas, ce ne sera pas à la hauteur de l’Occident.
Laissés à eux-mêmes, les jeunes dirigeants progressistes du pays sont en mesure de diriger l’Arménie vers une société plus ouverte et plus tolérante, sans la lourde main des étrangers.
Comme le montrent le récent incident et les développements ultérieurs, la politisation de l’orientation sexuelle reste un domaine toxique et explosif. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.