Bob Dylan a reçu le prix Nobel de littérature, recevant les accolades mais en provoquant la controverse.
« Maintenant, M. Dylan, le poète lauréat de l’ère du rock, a été récompensé par le prix Nobel de littérature, un honneur qui l’élève au niveau de TS Eliot, Gabriel Garcia Marquez, Toni Morrison et Samuel Becket, » a écrit le New York Times.
Mais les questions soulevées portent sur la définition du mot littérature. Ecrire une chanson, est-ce de la littérature ? Il semble que l’Académie suédoise a redéfini la notion de littérature et a donné un grand oui comme réponse. Tout moyen par lequel un esprit créatif touche l’âme humaine mérite d’être reconnue comme de la littérature ou de l’art.
Billy Collins, l’ancien poète officiel des Etats-Unis a soutenu que M. Dylan méritait d’être reconnu non seulement comme auteur-compositeur, mais comme également poète. En outre, les spécialistes de la littérature croient que Bob Dylan est un styliste littéraire, en particulier sur la base du « Cambridge Companion to Bob Dylan », un recueil publié par les Presses de l’Université Cambridge, contenant 17 essais de chercheurs de Yale, Carnegie-Mellon, l’Université de Virginie, etc.
Tout au long de sa carrière comme compositeur, Dylan a dépassé son statut de troubadour vagabond pour élever son art à un niveau unique et sophistiqué. Ses sujets touchent tous les aspects de la condition humaine, et sa force morale lui a permis d’affronter certaines causes politiques, peu importe le risque encouru pour sa carrière. Il est surtout célèbre pour sa campagne contre la guerre du Vietnam, la qualifiant d’acte immoral. Son érudition se révèle dans des chansons faussement simples dans lesquelles il fait référence aux poètes français Arthur Rimbaud et Paul Verlaine, ainsi que l’Américain Ezra Pound. Dans leur vie quotidienne, Rimbaud et Verlaine étaient également des vagabonds.
L’Académie suédoise a choisi Dylan pour « avoir créé de nouvelles expressions poétiques au sein de la grande tradition de la chanson américaine. »
Dwight Garner ajoute dans un article du Times que « Ce Nobel reconnaît ce que nous avons longtemps ressenti comme réel : M. Dylan est parmi les voix les plus authentiques que l’Amérique ait produit, un fabricant d’images audacieux et résonnant comme Walt Whitman ou Emily Dickinson. »
Bob Dylan est né en 1941, comme Robert Allen Zimmerman, à Duluth, Minnesota, dans une famille juive du Midwest, mais il atteint le sommet de sa carrière à New York, comme champion des droits de la personne et des ballades anti-guerre.
La politique a-t-elle à voir avec sa sélection pour le prix ? L’Académie, qui décerne le prix, a prouvé à maintes reprises que des considérations politiques sous-tendent, parfois, ses décisions. Durant la période soviétique par exemple, les dissidents politiques ont été, le plus souvent, sélectionnés : Boris Pasternak, Joseph Brodsky et Alexandre Soljenitsyne.
Même la sélection d’Orhan Pamuk était un reproche au régime brutal de Turquie, ou le Nobel de la paix à l’activiste pakistanaise Malala Yousafzai, un message aux talibans qui avait tenté de l’assassiner.
Le plus proche de tous les Arméniens à recevoir le prix Nobel a été le Dr Raymond Damadian, qui a participé au développement de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) dans les années soixante-dix, mais il a été court-circuité, ce qui a déclenché une controverse. En fait, en 2003, le prix Nobel de médecine a été décerné à Paul Lauterbur et Sir Peter Mansfield pour leurs découvertes liées à l’IRM.
« Si je n’étais pas né, l’IRM aurait-elle existé ? Je ne le pense pas. Si Lauterbur n’était pas né ? J’y serais arrivé. Eventuellement, » a dit Damadian.
La controverse s’est poursuivie dans les médias, longtemps mais en vain, pour conclure par une déclaration faite par le philosophe Michael Ruse, qui a écrit qu’il croyait que Damadian avait été privé du prix Nobel en raison de ses vues créationnistes : « Je grince des dents à la pensée que Raymond Damadian s’est vu refuser un juste honneur en raison de ses croyances religieuses.
Avoir des idées stupides dans notre domaine n’est pas une bonne raison pour refuser le mérite de grandes idées dans un autre domaine. Outre le fait que cette fois les créationnistes scientifiques vont penser qu’ils sont l’objet de traitements injustes au sein de la communauté scientifique. »
Si le chapitre Damadian est clos, la porte peut encore être ouverte à une autre célébrité arménienne, Charles Aznavour, qui peut être favorablement comparé à Dylan, qui a lui-même qualifié Aznavour « parmi les plus grands artistes vivants. »
En 1988, Aznavour a été nommé « Artiste du siècle » par CNN et Time en ligne. Il a été reconnu comme interprète exceptionnel, avec près de 18% du total des voix, devançant Elvis Presley et Bob Dylan.
Durant l’ère De Gaulle, la France se vantait d’avoir deux Charles : Le grand Charles et le petit Charles !
Aznavour a hérité de ses parents, de ses compétences dans le divertissement et le chant. Il a percé au Moulin Rouge, grâce à la légendaire Edith Piaf, qui l’a encouragé à poursuivre une carrière dans le chant. Il a été qualifié de Frank Sinatra français et une « divinité pop française. » Il est un chanteur, auteur-compositeur, acteur, activiste public et diplomate. Il a écrit 800 chansons et enregistré plus de 1200 en huit langues et vendu plus de 180 millions de disques.
Sa popularité est non seulement basée sur ses performances, mais aussi sur son écriture créatrice. Ses paroles ont contribué au développement de la poésie française moderne. Ses chansons couvrent presque toutes les étapes de la condition humaine : le vagabond (La Bohème), de nombreuses scènes d’amour dramatiques (Emmène-moi), la désolation de la séparation et la vieillesse.
Tel Piaf et Jacques Brel, comme un vrai chanteur de tradition française, il a placé l’ordinaire au niveau de l’art à travers les mots et la musique.
Il a mis en évidence des problèmes tabous comme l’homosexualité, bien avant que ce soit considéré comme banal. Il a également été proactif politiquement, s’opposant aux courants de la droite française.
Ses activités philanthropiques dépassent largement l’Arménie. Ses chansons touchent les questions les plus brûlantes de l’âme humaine. Ainsi, en 2013, il est apparu avec Ahinoaru Nini (Noa) dans un concert dédié à la paix, à l’aréna Nokia de Tel Aviv. Il a consacré des chansons tristes au tremblement de terre de 1988 en Arménie (Pour Toi, Armenie) et au génocide arménien (Ils sont tombés).
Cela peut sembler ironique, mais toucher le sujet du génocide peut se révéler contre-productif, étant donné l’intimidation politique turque.
Aznavour, ce petit homme, se dresse fièrement à 92 ans, à cheval sur deux siècles, en attendant d’être vu et récompensé par le Comité Nobel pour son travail gigantesque.
Voilà pourquoi nous pouvons nous poser la question : Pourquoi pas Aznavour ?
Traduction N.P.
Edmond Y. Azadian