Quelle suite pour l’Arménie ?

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 7 juin 2018

La population d’Arménie continuent de savourer les fruits de sa révolution de velours. Ils sont pratiquement en extase, après avoir vu Nikol Pachinian saisir le poste de Premier ministre de Serge Sargissian le 8 mai.
L’ascension de Pachinian au pouvoir est une cause de célébration, tout comme la démission pacifique de Sargissian.
Cependant, personne ne sait combien durera la lune de miel. Les attentes sont élevées et un sentiment d’optimisme plane dans l’air.
Après avoir renversé un régime détesté, les gens sont d’humeur à poursuivre la révolution en demandant aux dirigeants régionaux (marzbeds) de démissionner et manifestent également à la mairie d’Erévan, exigeant la démission du maire Taron Markarian.
Des manifestations contre le président de l’Université d’État d’Erévan, Aram Simonian, l’ont envoyé à l’hôpital. Le leadeur de la Révolution de velours n’a pas encore contrôlé les manifestants qui pourraient transformer cette révolution pacifique en une chasse aux sorcières, si elle n’est pas rapidement bloquée.

L’humeur révolutionnaire semble contagieuse, car la population d’Artzakh a manifesté contre les actions arbitraires de policiers en civil sur des citoyens ordinaires.
La science comportementale ne répond pas à des règles mathématiques, bien que l’on croie en la prévisibilité des développements sociaux.
Une fois les masses populaires déchaînées, leur élan peut dépasser toutes limites.

L’Artzakh est en guerre et tout acte de déstabilisation peut faire le jeu de l’ennemi. C’est pourquoi Pachinian s’est alarmé et a envoyé un message d’apaisement aux manifestants de Stepanakert.
Le message de Pachinian en Arménie était puissant, au point d’être assez magique pour conduire toute la population vers la rébellion. Il reste à voir s’il peut contenir cette ferveur révolutionnaire puisque les gens débordent d’amertume et de rancune contre le régime précédent.

Ses appels à l’amour fraternel ne semblent pas avoir affecté ses partisans sur les médias sociaux, où ils publient des remarques obscènes envers les dirigeants du régime précédent. Si rien n’est fait, cette voie peut conduire vers une polarisation sérieuse de la société arménienne dont le pays peut difficilement se permettre.
Il a promis qu’il n’y aurait pas de vendetta et a pris des mesures pour le prouver. Par exemple, le chef de la police, Valery Osipian, considéré par les manifestants comme le mal incarné. En fait, Osipian fustigeait souvent verbalement Pachinian durant ses rassemblements.

Cependant, le nouveau Premier ministre a saisi l’occasion de le renommer à son ancien poste, tout en effectuant de nombreux changements de personnel dans les structures de défense.
Osipian lui-même, étant un homme de loi et d’ordre, a prouvé qu’il pouvait servir professionnellement sous les nouveaux chefs.
Pachinian a également été prudent dans le cas des prisonniers politiques. Il a libéré des personnes qui avaient été incarcérées pour des raisons purement politiques. Mais dans le cas des membres du Sasna Tsrer, où des crimes ont été commis en envahissant le poste de police et en provoquant la mort, il s’est reporté à la loi, déclarant qu’il n’était pas en mesure d’abattre les portes de la prison et de libérer tous les détenus. Il a confié leurs cas aux tribunaux.
La population est tellement exaltée que tout est considéré à travers un filtre en noir et blanc. Personne n’ose entrer dans une zone grise. Et dans cette atmosphère de polarisation, le nouveau gouvernement nommé par Pachinian doit faire des choix judicieux.

Le test de tolérance et de loyauté viendra lorsque le gouvernement commencera à enquêter sur la richesse des oligarques, à payer des impôts équitables et à exercer la primauté du droit. Le premier test est l’enquête sur l’oligarque Samuel Alexanian (Lefik Samo). Sa société Alex Holdings a le monopole des importations de sucre et d’huile de cuisson ainsi que d’autres produits de base.

Alexanian appartient lui-même au Parti républicain et jusqu’à présent, il est l’un des intouchables, membre du parlement et membre du parti au pouvoir. Si une stricte transparence est observée et qu’Alexanian est simplement secoué, ce sera une indication que ces oligarques peuvent poursuivre leurs activités. Des quantités substantielles de capitaux ont déjà quitté le pays, à l’aube de la révolution imminente et de l’incertitude qui y est associée.
Dans l’atmosphère actuelle de haine intense envers le régime précédent, toute enquête légitime sur les avoirs et les transactions des principaux oligarques pourrait facilement se transformer en une chasse aux sorcières, ce que Pachinian doit éviter.
Depuis que la pièce d’Henrik Ibsen, « Un ennemi du peuple », a été éditée en 1882, l’art de vilipender les individus et les héros a été affiné et perfectionné pour rendre plus efficace la fabrication et la diffusion de fausses nouvelles. Les médias sociaux d’aujourd’hui peuvent faire ou défaire un individu ou une institution. Ironiquement, cela fonctionne dans les deux sens. Ces mêmes médias sociaux ont contribué à aider Pachinian à transmettre son message et à guider ses actions. S’il peut maintenir ce contrôle, alors la révolution de velours pourra atteindre ses objectifs sans diverger. Sinon, sa révolution sera écorchée par les mêmes outils.

Au cours de la campagne de Pachinian, les questions de politique étrangère et de sécurité ont été peu évoquées, car les citoyens avaient de nombreuses priorités immédiates, niveau de vie bas, anarchie, dépopulation du pays, désespoir et isolement. Maintenant que cet espoir est rétabli, la nouvelle administration doit également faire face à ces problèmes.
Puisqu’un potentiel de guerre demeure aux frontières, des changements très prudents ont été faits parmi les hauts gradés de l’armée. Mais par-dessus tout, la condition des nouvelles recrues est devenue une priorité pour améliorer le moral de l’armée.
En ce qui concerne les relations extérieures, Pachinian a fait sa première visite officielle en Russie, en assistant à la séance de l’Union économique eurasienne (UEE), où il a été chaleureusement accueilli par le président biélorusse Alexandre Loukachenko. Le président russe Vladimir Poutine l’a reçu avec une remarque humoristique, lui demandant s’il avait fait le voyage Erévan-Sotchi à pied, une référence à la marche de Pachinian de Gumri à Erévan à pied. L’accueil du président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev, a été calme, peut-être pour rappeler à Pachinian que rien n’est oublié et que rien n’est pardonné, car la faction parlementaire de Pachinian, Yelk, avait proposé que l’Arménie démissionne de l’UEE.
La visite du Premier ministre en Géorgie se révélera importante pour les Arméniens de Géorgie, mais la déclaration de Pachinian sur les relations arméno-géorgiennes reflétait exactement ce que l’ancienne administration avait défini : il n’y a pas de problèmes entre les deux pays qui ne peuvent être résolu. Cela signifie qu’il reste des problèmes à résoudre, à commencer par la collusion de l’administration de Tbilissi avec la Turquie et l’Azerbaïdjan et la poursuite de la confiscation des églises arméniennes de Géorgie et la fin des politiques discriminatoires envers les Arméniens du Djavakhk.
En ce qui concerne les ennemis de l’Arménie, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev a riposté par une nouvelle salve de menaces contre le nouveau régime, en avançant les positions de l’armée azérie au Nakhitchevan et en menaçant de frapper le cœur de l’Arménie, à Erévan, à partir des fortifications de l’armée du Nakhitchevan.
Le Premier ministre turc Binali Yildirim a déclaré que son pays pouvait négocier avec l’Arménie si cette dernière abandonnait de la question du génocide, les revendications territoriales et réglait le problème de l’Artzakh avec l’Azerbaïdjan. Démagogie turque typique ; Si ces questions sont retirées de la table de négociation, quelle autre question litigieuse reste-t-il à discuter ?
Grâce au succès de la Révolution de velours, le peuple arménien est euphorique. Mais personne n’est autorisé à oublier que le pays n’a pas encore résolu ses différends avec ses voisins.
Cette fois-ci, les langues sont déliées et tous peuvent prendre position contre les menaces étrangères. Les mères étaient inquiètes et refusaient d’envoyer leurs enfants à l’armée « pour se battre pour Serjik ». Mais aujourd’hui, l’unité est un atout tangible envers Pachinian et son gouvernement, et peut faire face à n’importe quel défi tant que la révolution se poursuit, drapée de velours. Edmond Y. Azadian

Traduction N.P.