Qu’est-ce qui suivra le sommet de Vienne ?

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 4 avril 2019

Les nouvelles sont rares, mais les commentaires abondent après le sommet à Vienne le 30 mars entre le Premier ministre arménien Nikol Pachinian et le président azéri Ilham Aliev. Aucune avancée décisive n’a été annoncée.

L’annonce par le Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) d’inviter les parties au sommet de Vienne ressemblait un plus à un ultimatum à l’intention des négociateurs ; pourtant, les coprésidents du groupe – les États-Unis, la Russie et la France – ont adouci leurs discours et sont revenus à leur rôle de facilitateurs avant la tenue de la réunion.
Le format de la réunion de Vienne incluait la participation des coprésidents ainsi que des ministres des Affaires étrangères d’Arménie et d’Azerbaïdjan. Cependant, durant la deuxième partie de la réunion, les deux dirigeants ont été laissés seuls pendant plus de deux heures pour des entretiens privés. Après le sommet, les dirigeants n’ont révélé presque rien au public. Par conséquent, tout n’est que spéculation.
Du côté de Moscou, la perspective semble plus sombre. Commentant la nature du conflit, Alexander Khramchikhin, directeur adjoint du Centre d’analyse politique et stratégique, a déclaré : « Si les parties sont en conflit, comment peuvent-elles faire des compromis, point essentiel pour régler le problème ? Je ne vois ici qu’une seule possibilité ; l’une des parties devra abandonner. Mais comment peut-on se rendre sans guerre ?
Après de nombreuses années de négociations, la position de l’Azerbaïdjan est ferme et belliqueuse. Pour apaiser les complications causées aux Azéris déplacés par la guerre, les dirigeants azerbaïdjanais avaient besoin de cette dureté, principalement pour leur auditoire national. Ces derniers mois, certaines choses ont peut-être changé. Ce dialogue est devenu plus sérieux et Aliev semble disposé à céder au moins sur des questions mineures. En septembre 2018, à Douchanbé, au Tadjikistan, il a fallu quelques minutes d’« entretien d’ascenseur » pour réduire les tensions à la frontière.
Jusqu’à récemment, toutes les réunions entre les dirigeants et leurs ministres des Affaires étrangères étaient qualifiées de « pourparlers ». Pourtant, la réunion de Vienne semble avoir fait progresser ces contacts à un niveau supérieur, qualifié de « négociations ».
Le calme et l’attitude affable d’Aliev lors des réunions contrastaient toujours avec ses déclarations publiques hostiles, laissant les coprésidents de Minsk et leurs interlocuteurs face à une incapacité. Bien que l’Azerbaïdjan soit perdant sur le champ de bataille, son chef, Aliev, a tenté de dicter l’ordre du jour des négociations. Il n’était pas acceptable que la partie arménienne entende parler de ses intentions, mais sa stratégie était logique dans la situation donnée des deux parties ; Aliev n’a pas mâché ses mots lorsqu’il a déclaré que l’Arménie souffrait d’une économie faible et que ses citoyens émigraient en masse. C’est pourquoi, a-t-il dit, il a assisté au dépeuplement constant de l’Arménie et l’Azerbaïdjan pourrait s’emparer de tout son territoire sans se battre sérieusement. Nous devons admettre, aussi douloureux que cela puisse être, que la stratégie d’Aliev était justifiée.
Aujourd’hui, cependant, un nouveau scénario est apparu avec le succès de la révolution de velours. L’Arménie est confrontée à de nouvelles perspectives d’évolution et la tendance à l’émigration s’est arrêtée, voire inversée. De plus, la partie arménienne a compris que les Turcs et les Azéris respectaient le pouvoir et plaidait pour la paix, ce qui était interprété comme une faiblesse. C’est pourquoi cette nouvelle façon de penser se reflète dans la nouvelle politique et le nouveau discours de l’Arménie. De plus, le mandat populaire écrasant de Pachinian contraste avec le régime autoritaire d’Aliev. À ce stade, la partie arménienne pense qu’Erévan est en train de définir l’ordre du jour.

À l’heure actuelle, le public dispose de très peu de données pour évaluer objectivement ce qui s’est passé lors du sommet. Ce qui reste à analyser, ce sont les évènements qui ont conduit à ce sommet. Une fois la réunion de Vienne annoncée, l’Azerbaïdjan a eu recours à la mise en scène de jeux de guerre gigantesques pour faire travailler ses muscles. Les Arméniens ont répondu de la même manière. Pour la première fois, des dirigeants arméniens ont rencontré au Karabagh, les Conseils de sécurité nationale des deux républiques. Cela a envoyé un message d’unité, s’il y avait eu des doutes sur le sujet. Ensuite, des représentants des organes législatifs et exécutifs des deux républiques ont envoyé des messages forts à l’Azerbaïdjan. En effet, le député de l’Alliance Yelk, Sassoun Mikayelian, a annoncé : « Si nous sommes attaqués, nous irons directement à Bakou. »

Les déclarations du ministre arménien de la Défense, David Tonoyan, ont également provoqué un renversement de ton. S’adressant à la communauté arméno-américaine réunie à New York, où il participait à un forum affilié aux Nations Unies, il a déclaré : « Comme ministre de la Défense, j’ai déclaré que nous avions reformulé l’approche de territoires pour la paix par une nouvelle guerre / une nouvelle approche des territoires… Nous nous débarrasserons de la position défensive et augmenterons le nombre d’unités militaires capables de transférer des opérations militaires sur le territoire de l’adversaire. »
Cette déclaration a suscité la colère de la défense azérie, qui a demandé des éclaircissements au ministre arménien de la Défense.
La solide rhétorique retrouvée en Arménie est attribuée à la transformation stratégique de ses forces armées, telle que formulée par Stepan Safarian, directeur de l’Institut arménien des relations internationales et de la sécurité, dans sa déclaration : « Les parties arméniennes ont tiré des conclusions de la réunion d’avril 2016 et l’Azerbaïdjan est aujourd’hui privé de l’élément de surprise. L’amélioration des équipements frontaliers post-avril a considérablement limité la possibilité de sabotage et d’attaques par l’Azerbaïdjan. »
En résumé, a-t-il conclu, l’Arménie a rendu toute agression azérie impossible à gagner.
La réunion de Vienne est considérée comme montrant un mouvement positif de la part de toutes les parties concernées. Pachinian a fait un commentaire public lors d’une réunion des Arméniens de Vienne, exprimant un optimisme prudent.
Le Président Aliev s’est abstenu de tout commentaire et a demandé aux journalistes de se référer à la déclaration des coprésidents du groupe de Minsk de l’OSCE. Cette déclaration est globalement conforme à l’évaluation positive de Pachinian.
Dans ses commentaires, le Premier ministre arménien a évoqué les attentes générales du public, qui tente de trouver des gagnants et des perdants lors de la réunion. Pachinian a assuré à tous qu’une telle approche n’était pas applicable en l’espèce et a ensuite décrit les parties comme ayant échangé des idées et exprimé leurs propres points de vue sur la résolution des problèmes en suspens.
Il semble que les accords de Douchanbé aient été réévalués et que de nouvelles actions humanitaires aient été envisagées. Bien qu’Aliev ait déclaré qu’il était trop tôt pour réfléchir à ces mesures, telles que permettre aux frontaliers de mener leurs activités agricoles sans entrave ou d’échanger des visites de familles de prisonniers de guerre, il a également fait la remarque que la réunion était une petite victoire. Il a rendu hommage aux coprésidents qui ont refusé de prendre en compte la proposition de Pachinian d’associer le Karabagh (Artzakh) aux négociations.
Cependant, les commentaires des coprésidents s’adressaient aux deux parties. Lorsqu’ils ont demandé à la partie arménienne de ne pas introduire de nouveaux éléments dans les négociations, ce qui signifie un nouveau négociateur, ils ont en même temps mis en garde Aliev d’atténuer son discours martial. Et Aliev a tenu sa part du marché.
Pour Pachinian, la participation du Karabagh n’était pas une condition préalable. Il a gardé sa flexibilité pour ne pas compromettre les négociations. Incidemment, sa proposition n’était pas un « nouvel élément » en soi; c’était simplement un retour au format original des négociations. En effet, le Karabagh était signataire du cessez-le-feu de mai 1994. Tout règlement final devra également être ratifié par la législature du Karabagh.
Les ministres des Affaires étrangères des deux pays sont actuellement chargés de poursuivre les négociations et de préparer le prochain sommet.
Dans la mesure où les parties ont convenu de poursuivre les négociations, il s’agit là d’un succès et les coprésidents peuvent en tirer parti.
Cependant, à quelle vitesse les négociations vont-elles se dérouler et dans quelle direction ? Seul le temps pourra y répondre. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.