Revisiter les relations entre l’Arménie et la Turquie

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 18 mai 2017

La Turquie pose une menace existentielle à l’Arménie et, historiquement, les régimes successifs abritent les mêmes rêves ambitieux de ressusciter l’Empire ottoman. L’Arménie a toujours été un obstacle à la réalisation de ce but.
Selon la Turquie, aucune autre nation chrétienne de la région, plus exactement la Géorgie, ne représente une menace similaire. Pour Ankara, la Géorgie est plus malléable politiquement. La turcomanie de la Géorgie a déjà progressé de manière significative, en commençant par la région d’Ajarian, dont la population est majoritairement musulmane.
Les relations entre la Turquie et l’Arménie ont toujours été tendues, et la haine mutuelle est, des deux côtés, bien ancrée.
L’Arménie doit toujours tenir compte des intentions à long terme de la Turquie dans sa politique étrangère. Cependant, la Turquie est également sa voisine essentielle, peu importe si cela semble indésirable.
Le chauvinisme patriotique n’a pas sa place avec ce voisin dangereux. Une approche prudente et calculée améliorera au mieux notre survie.
Le génocide et son déni sont des sujets brûlants pour les Arméniens, mais demeurent des problèmes académiques pour les puissances mondiales.
De nombreuses tentatives ont été faites ces dernières années pour améliorer les relations turco-arméniennes – les protocoles, la diplomatie du football, le Comité turc de réconciliation arménien (TARC) et autres – en vain. L’amélioration de ces relations demeure un défi à long terme. Seul feu Hrant Dink a annoncé la longue et pénible manière d’atteindre ce but. La Turquie ne changera sa sombre histoire que par un changement interne, par la démocratisation de son peuple, ce qui est certes un processus lent. Mais depuis le martyre de Dink, sa vision gagne progressivement du terrain. Les universitaires, les militants des droits de la personne, et même des citoyens ordinaires prennent conscience des faits historiques. Il y a maintenant beaucoup de Turcs qui articulent mieux la cause arménienne que beaucoup d’Arméniens eux-mêmes.
La Turquie est un pays où les libertés civiles agissent comme un pendule ; Au début du règne du président Recep Tayyip Erdogan, la Turquie a bénéficié d’une libéralisation ayant un résultat positif pour la communauté arménienne. La restauration des églises d’Akhtamar et de Sourp Guiragos, le retour de quelques biens communautaires confisqués, etc. Aujourd’hui, le pendule a tourné dans la direction opposée, avec la reprise d’une chasse aux sorcières, d’arrestations arbitraires et de répressions de la part du gouvernement. Mais la conscience populaire et les progrès sont là, même s’ils semblent à l’arrêt.
Une initiative mineure ayant une grande signification symbolique a lieu à travers la médiation de l’ambassade britannique à Erévan, qui parraine un programme d’échange de jeunes.
Le Foreign Office britannique a invité en Arménie un groupe d’étudiants universitaires de Turquie avec l’aide de la Société d’initiative civique. Des séminaires ont eu lieu dans la station balnéaire de Dzaghgadzor pour étudier les défis et les perspectives des relations arméno-turques.
La délégation turque composée de 18 étudiants universitaires était dirigée par Mustafa Aydin, président de l’Université Kadir. Des tentatives ont été faites dans le passé pour améliorer les relations avec peu ou pas de succès. Mustafa Aydin a également exprimé un optimisme prudent quant à l’impact de la nouvelle constitution sur ces relations. Mais il a insisté sur l’amélioration des relations entre la Turquie et la Russie. Ces relations peuvent définir de manière importante les relations entre l’Arménie et la Turquie. Dans le passé, le gouvernement soviétique a sacrifié les intérêts arméniens pour conquérir la Turquie. L’amitié de courte durée entre le leadeur turc Mustafa Kemal Atatürk et le russe Lénine a abouti au traité de Kars, au détriment de l’Arménie.

Dans les années 60, même le Premier ministre Nikita Khrouchtchev a libéralisé l’Union soviétique dans une certaine mesure, et a tendu sa main vers Ankara, en annonçant que Moscou n’avait aucune revendication territoriale contre la Turquie. Par conséquent, le rapprochement Russie-Turquie peut affecter de toute manière l’Arménie. En améliorant ses relations avec Moscou, Ankara peut abandonner durant un certain temps sa méthode d’utilisation de l’Arménie comme fouet pour punir Moscou. Mais d’autre part, Poutine peut forcer l’Arménie à accepter un compromis inacceptable avec l’Azerbaïdjan sur le Karabagh, car Bakou est un acteur important dans cette relation à trois.
Actuellement, l’animosité de la Turquie contre Moscou porte sur la Syrie, où le facteur kurde a énormément irrité Erdogan, surtout en raison du soutien militaire de Washington aux Kurdes de Syrie, ce qui pourrait finir par offrir une enclave kurde dans ce pays assiégé.
Mais cette victoire kurde pourrait s’avérer être une tactique à court terme afin de forcer l’administration Trump à céder.
Mustafa Aydin a caractérisé les relations arméno-turques comme mortes mais non enterrées.
L’Arménie doit surveiller toutes ses relations entre la Turquie, la Russie, les États-Unis et l’Azerbaïdjan, et concevoir sa politique étrangère en conséquence. À un moment donné, un développement insignifiant pourrait causer des dommages mortels à l’Arménie.
Hrant Dink était sensible mais sa vision pragmatique était tournée vers l’avenir. Les contacts interpersonnels et surtout les contacts avec les universitaires vont marquer les incursions dans les relations entre les deux pays. Et lorsque la Turquie aura atteint le niveau de la civilisation allemande, l’admission du génocide et l’indemnisation pourront ne pas nécessiter de pression internationale sur Ankara. By Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.