Peu importe vos opinions politiques sur les partis politiques arméniens, une évaluation objective exige de les juger dans leur contexte historique. De nombreuses personnes ont accompli des actes patriotiques à travers l’histoire arménienne et se sont taillées une place dans la mémoire collective. Mais ces actes n’ont semblé être qu’un feu de paille sans aucun impact à long terme.
D’autre part, les partis politiques ont fait des activités patriotiques leur responsabilité quotidienne et ont transmis leur idéologie de génération en génération.
Comme tout un chacun, ils ont commis des erreurs, mais dire que les partis sont responsables des divisions ne peut se justifier historiquement. Le clergé qui est censé servir l’autel du Seigneur s’est révélé être plus conflictuel et vindicatif que les partis politiques eux-mêmes.
Les membres d’un parti sont – ou censés être – engagés… engagés envers une idéologie dont la réalisation peut exiger des sacrifices. Ils ont fait leur part de sacrifices afin de conserver la liberté ou pour défendre la patrie.
Le 1er octobre a marqué le 95e anniversaire de la formation du Parti libéral démocrate arménien (ADL). Il s’est formé plutôt que fondé, parce qu’il s’agissait de l’aboutissement de plusieurs décennies de développement historique.
Les historiens du parti soutiennent que les racines de l’organisation remontent au 19e siècle, alors que les Arméniens étaient engagés dans une lutte pour la liberté au sein de l’Empire ottoman.
Vers la fin du 19e siècle, trois partis politiques ont été formés, le premier étant le Parti Armenagan, en 1885, à Van, inspiré par trois dirigeants nationaux qui, d’ailleurs, portaient le même prénom, Meuguerdich – Khrimian Hayrik, Portukalian et Terlemezian.
Meuguerdich Khrimian était primat de Van, puis élevé au rang de patriarche à Istanbul et, enfin, Catholicos de tous les Arméniens à Etchmiadzine. Il a fait la promotion du regroupement des Arméniens sur leur terre historique. Il avait un puissant slogan qui rejaillissait dans ses sermons, sa littérature et ses activités – Tebi Yergir (retour vers la patrie).
Meuguerdich Portukalian n’a eu aucun rôle direct dans la fondation de l’organisation Armenagan. Comme éducateur, il avait formé de nombreux étudiants à la ferveur patriotique. Il a, plus tard, déménagé à Marseille pour publier son périodique, dénommé « Arménie », dédiée à l’émancipation du peuple arménien du joug ottoman.
Meuguerdich Terlemezian était un activiste politique et organisateur du parti, qui avait une plate-forme politique très simple – éduquer les jeunes à l’engagement patriotique et les préparer secrètement à l’autodéfense, contrairement à d’autres partis qui adhéraient au socialisme international.
Le Parti social-démocrate Hunchak (fondé en 1887) et la Fédération révolutionnaire arménienne (fondée en 1890) ont cru à la libération de l’Arménie par la victoire mondiale du socialisme.
Le Parti Armenagan a été fondé au cœur de l’Arménie, tandis que les deux autres ont respectivement débuté leurs activités à Genève et Tbilissi.
L’idéologie très simple du parti Armenagan était justifiée ; Les membres d’Armenagan ont mis en place une violente défense en 1895 et 1915 à Van, contre la puissante armée ottomane. Au cours de la première bataille, ils ont perdu, perfidement, 800 combattants, jusqu’à ce que le consul britannique local organise un cessez-le-feu.
En 1921, le paysage politique avait complètement changé. Après le génocide et la défaite du Traité de Sèvres, l’Arménie historique s’est dépeuplée et la République indépendante d’Arménie a été absorbée par l’empire soviétique.
Une nouvelle réalité exige une nouvelle politique. Pour l’Occident, le rideau de fer est tombé à la suite du discours historique de Winston Churchill à Fulton, Missouri, en 1947, alors que le même rideau avait déjà coupé la patrie arménienne de ses milliers de survivants éparpillés à travers le monde.
Les partis Armenagan, Hunchak réformé, Arménie populaire (d’Arménie), libéral, Union nationale arménienne, et d’autres groupes se sont réunis, à Istanbul, le 1er octobre 1921, pour faire face à une nouvelle réalité politique, pour surmonter la fracture idéologique, tendre la main aux Arméniens de la patrie et préserver l’unité. Le résultat a été la formation du Parti libéral démocrate arménien, (ADL) qui incarne les visions, les plates-formes et les préoccupations des groupes constitutifs.
Idéologiquement, l’ADL ne partageait pas les principes du socialisme que la population arménienne avait été forcée d’accepter. En dépit de réserves idéologiques, l’ADL a adopté la politique du patriotisme pratique, qui a payé grassement au fil des ans, en dépit de tous les dangers qui accompagnaient cette position durant l’ère de la guerre froide.
Les autres partis traditionnels ont choisi des politiques plus doctrinaires ; le parti Hunchak a soutenu l’Arménie soviétique, parce que le socialisme avait gagné dans le pays. La FRA était également doctrinaire, adoptant une position antagoniste, parce qu’elle voyait l’Arménie sous le masque communiste et que cela était suffisant pour mener 70 ans de guerre contre l’Arménie soviétique, divisant la diaspora en deux camps antagonistes.
L’ADL ou ses groupes constituants ont adopté une politique de patriotisme pragmatique, même au cours des deux années d’indépendance de l’Arménie, en dépit du fait qu’ils ont été laissés de côté. Ils ont versé un soutien financier au pays et ont même acheté une flotte de 20 avions militaires de la Grande-Bretagne, afin de fournir au nouveau gouvernement une force aérienne, mais la chute de l’Arménie a empêché la livraison de ces avions.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, l’ADL s’est joint à d’autres groupes patriotiques afin de soutenir l’effort de guerre, il a ensuite joué un rôle dans l’organisation du rapatriement des Arméniens de la diaspora.
Toutes ces activités ont été menées contre des forces bien plus importantes. Toute personne soutenant l’Arménie soviétique pouvait facilement être étiquetée – et l’était – de communiste, alors que nombreux étaient ceux, tel McCarthy, engagés dans une chasse aux sorcières mondiale.
L’ADL a pratiqué et fait la promotion des principes démocratiques dans la réorganisation de la diaspora.
Lorsque la Troisième République a acquis son indépendance, les dirigeants de l’ADL croyaient que le moment historique était arrivé de se déplacer en Arménie et de mettre en pratique l’idéologie de la libre entreprise et la démocratie.
Plus de 20 de ses membres ont été élus au parlement. Les premiers investissements commerciaux ont suivi. C’est alors que l’idéalisme de l’ADL est entré en conflit avec le système oligarchique, qui devançait la formation d’une société démocratique. L’ADL a vécu des fissures internes exacerbées par les trois gouvernements successifs d’Arménie.
Aujourd’hui, l’esprit d’unité qui a réuni, il y a près d’un siècle, tous les groupes dissidents a revisite l’ADL. Alors que les membres de l’ADL de partout se sont joint en esprit à la célébration du 95e anniversaire à l’Opéra d’Erévan, une vision d’unité soulèvera et rassemblera tous les groupes disparates afin de marquer le voyage des 95 prochaines années.
Traduction N.P.
Edmond Y. Azadian