L’Arménie est actuellement en proie à un dilemme, se demandant qui signera le traité de paix fatidique avec l’Azerbaïdjan, qui pourrait amputer le territoire de l’Arménie, en échange de l’espoir insaisissable d’une sécurité retrouvée à ses frontières. La politique de l’Azerbaïdjan vis-à-vis de l’Arménie est alimentée par la haine nouvellement étalée à travers des vidéos de tortures barbares, du meurtre et du démembrement d’une soldate arménienne et de l’exécution collective de prisonniers de guerre arméniens, récemment diffusés dans un clip macabre, qui justifie une réponse légale parce que crimes de guerre.
La situation est très fluide dans la sphère politique du Caucase, favorisant pour le moment le tandem Bakou-Ankara. La Turquie et l’Azerbaïdjan ne recherchent pas la stabilité et la paix dans la région ; ils misent plutôt sur l’équilibre des forces qui fluctue quotidiennement, pour arracher un maximum de concessions à l’Arménie. La Turquie, en particulier, a de longs tentacules atteignant la région. L’un des objectifs est de contraindre l’Arménie à fournir un passage terrestre extraterritorial pour servir son projet pantouranien, tandis qu’un objectif plus important est d’éliminer complètement l’Arménie de la face du globe, et ainsi de rendre le cas du Génocide sans défense.
La question du génocide arménien est un obstacle juridique monumental sur la voie de la Turquie pour réaliser ses ambitions mondiales, qui incluent l’adhésion à l’Union européenne et au Conseil de sécurité des Nations unies. Tant qu’il y aura un État arménien qui épousera légalement la cause du génocide, la Turquie sera hantée par cet obstacle. Il n’y a pas d’exemple plus clair que le cas des Assyriens pour montrer à quel point un État soutenant les revendications fait une grande différence sur la scène internationale. Le Premier ministre Nikol Pachinian a, à tort, relégué cette affaire à la diaspora, dans l’espoir d’apaiser la Turquie. Cependant, le génocide est le fardeau juridique de l’État arménien.
À ce stade, l’Arménie est prise dans les turbulences du Caucase, que la Russie considère comme sa zone d’influence, tandis que l’Occident tente de la déloger, utilisant à son avantage les intérêts conflictuels de la région.
Pendant longtemps, Moscou a tenu pour acquis avoir l’Arménie dans son giron, coûte que coûte, en utilisant notamment les peurs historiques engendrées par la Turquie. La Russie est tellement ancrée dans la vie politique, sociale et militaire de l’Arménie qu’il serait presque impossible de sortir le pays de son étreinte ; et il n’y aurait aucune raison de se séparer de la sphère de Moscou, si ce n’était de l’abandon par la Russie de ses obligations conventionnelles vis-à-vis de l’agression de l’Azerbaïdjan. Peut-être que la Russie attendait, en retour, dans sa propre situation actuelle une certaine sympathie de la part de l’Arménie en échange de son soutien historique à l’Arménie, mais cette dernière ne peut plus se permettre cette sympathie, alors qu’elle fait face à une menace existentielle sans recevoir aucune aide.
Les hommes d’État russes, du président Vladimir Poutine au ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et à l’ambassadeur de Russie en Arménie, Sergueï Kopyrkine, continuent de vanter les mérites du rôle de la Russie dans l’arrêt de la guerre de 44 jours ou de la récente agression azerbaïdjanaise du 13 septembre. Un désir de couverture politique qui n’aide pas les 4 800 victimes de la guerre de 2022 ou les 207 victimes de la récente flambée.
L’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC) et les diverses obligations des traités arméno-russes exigeaient la prévention d’une telle agression plutôt que l’attente que l’Arménie soit reconnaissante d’avoir empêché de nouveaux massacres.
Lorsque la révolution de velours a eu lieu en 2018, les commentateurs russes et leurs cohortes arméniennes à Erévan ont tenté de présenter le mouvement politique comme une autre révolution de couleur visant à contrer l’influence russe. Pourtant, au fil du temps, les dirigeants d’Erévan ont fait très attention de ne pas marcher sur les pattes de « l’ours » du nord.
Au fur et à mesure que les événements politiques se déroulaient, les manquements de la Russie à ses engagements a encouragé l’Arménie à exprimer ses ressentiments et à rechercher une source alternative de soutien politique et d’armes.
Au lendemain de l’attentat du 13 septembre, trois membres du Conseil de sécurité des Nations unies, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni, ont clairement désigné l’Azerbaïdjan comme l’agresseur et ont exigé le retrait des forces azerbaïdjanaises du territoire souverain de l’Arménie, tandis que la Russie tergiversait et dissimulait l’agression sous le couvert d’un « différend frontalier », prônant qu’il n’y avait aucune démarcation claire des frontières.
L’Arménie a fait appel à l’OTSC pour un soutien militaire, invoquant l’article 4 de l’organisation, qui stipule qu’une attaque contre le territoire d’un membre est une attaque contre tous les membres. Au lieu d’agir, cependant, l’organisation a envoyé le secrétaire général de l’OTSC Stanislav Zas en Arménie avec une délégation.
Le chef d’état-major de l’OTSC Anatoly Sidorov, après son arrivée à Erévan, a averti : « Ne nous précipitons pas. Le 13 septembre, les chefs de nos États ont déclaré à l’unanimité que les méthodes politiques et diplomatiques devaient résoudre les problèmes qui existent entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. »
Ce genre de déclaration ressemble à une blague quand le sang coule.
En premier lieu, Pachinian a refusé de rencontrer la délégation du Zas, pour exprimer son mécontentement, et a annoncé que lors de contacts récents avec un certain nombre de collègues de l’OTSC, il avait déclaré que les sentiments du public en Arménie envers l’organisation se développaient et changeaient rapidement. Pachinian a poursuivi : « Au cours de la conversation, il a été dit qu’il y a des craintes que l’Arménie quitte l’OTSC. J’ai exprimé le contraire, soit des craintes que l’OTSC lâche l’Arménie. »
Avant cette déclaration, Pachinian avait appelé des forces internationales de surveillance à la frontière, faisant craindre aux décideurs du Kremlin que le sol ne se dérobe sous les pieds russes dans le Caucase. Maria Zakharova, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères a réagi avec fureur, affirmant que c’était un fantasme que d’inviter des forces internationales.
Suite à l’explosion de Zakharova, le ministre des Affaires étrangères Lavrov, d’une voix plus sévère, a annoncé que « nous devons attendre les résultats de la visite de Zas». Cela ajoutait l’insulte à l’injure, comme si les corps non enterrés des soldats arméniens – exhibés par l’Azerbaïdjan – n’étaient pas une démonstration suffisante de l’état de la situation.
Il y a une ambivalence en Arménie quant à la perspective de quitter l’OTSC. Le vice-ministre arménien des Affaires étrangères, Vahé Guevorgian, a déclaré : « L’Arménie attend des actions claires de l’OTSC sur la restauration de l’intégrité territoriale du pays en tant qu’État membre de l’OTSC, ainsi que sur la prévention de nouvelles escalades ». En réponse, le vice-président de la faction « J’ai l’honneur » du Parti républicain, Armen Achotian, a déclaré : « Oui, l’OTSC n’est pas parfaite et n’est pas le meilleur système de sécurité. Mais malheureusement, l’Arménie n’a rien d’autre. Quitter l’OTSC ne peut qu’aggraver les problèmes et créer un vide sécuritaire. »
Une déclaration presque identique a été publiée par le politologue Alexander Iskandarian. Des groupes politiques de tendance occidentale font pression pour quitter l’OTSC dans l’espoir que l’Occident comblera le vide politique. Cette peur est également réelle à Moscou.
Au moins, l’initiative de l’Arménie a déjà sensibilisé les décideurs politiques du Kremlin à considérer le danger perçu comme réel et ils ont réagi en conséquence. Ainsi, jusqu’à récemment, Moscou gardait un silence complet chaque fois que le dirigeant turc Recep Tayyip Erdogan, le ministre des Affaires étrangères Mevlut Çavusoglu ou le président azerbaïdjanais Ilham Aliev insistaient sur le corridor de Zangezour et cela semblait une affaire conclue. Mais récemment, le membre russe de la Commission trilatérale du vice-Premier ministre Alexey Overchuk a déclaré fermement que les voies de transport à ouvrir, y compris le corridor de Zangezour, resteront sur le territoire souverain de l’Arménie.
Ainsi, au moins une menace est temporairement éliminée, car Aliev insistait sur un traité de paix où l’Arménie renoncerait à l’existence du Karabagh et à ses droits sur le corridor proposé.
Alors que le moment fatidique du traité de paix approche, nous saurons quelle sera la position de Moscou sur la question du Karabagh. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.