Un nouveau visage ou d’une nouvelle phase en Arménie ?

Editorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 15 septembre 2016

Depuis son indépendance il y a 25 ans, l’Arménie a eu trois présidents et 18 premiers ministres. La plupart des premiers ministres sont venus et repartis sans fanfare. Cependant, la démission de Hovik Abrahamian et son remplacement par Karen Karapetian font l’objet de beaucoup de spéculations et de diverses interprétations.
Abrahamian a servi le pays au cours des trois dernières années. Avant cela, il était président du Parlement, repoussant le politicien Tigran Torosian plus raffiné et plus érudit.

Sa nomination comme Premier ministre était accompagné de promesses d’améliorations économiques importantes. Non seulement ces promesses se sont révélées creuses, mais la dette de l’Etat a franchi le seuil des 5 milliards de dollars, comme l’a écrit le magazine The Economist dans un article récent.
Lorsque Abrahamian est devenu Premier ministre, nombreux, en Arménie, ont été consternés, car il n’avait pas le vernis de ses prédécesseurs, et beaucoup se sont inquiétés de voir le pays mal jugé dans les milieux diplomatiques étrangers.
Son sens des affaires qui l’a aidé à amasser sa fortune personnelle n’a d’aucune façon aidé le pays. Au lieu de cela, il a perfectionné ses compétences en jouant à des jeux d’intrigue et en utilisant la fraude électorale, ce qui a entaché davantage l’image de l’Arménie comme étant un pays corrompu.
Mais qu’est-ce qui a causé sa chute alors qu’il était le pion parfait dans une atmosphère de corruption rampante ?
Certains analystes estiment que son incapacité à relancer l’économie a voué à l’échec son administration. D’autres insistent pour que certains changements spectaculaires annoncés par son départ marquent le début de la fin du régime du président Serge Sargissian.
D’autres rumeurs suggèrent que le président avait besoin d’envoyer un signal positif à Moscou en remplaçant Abrahamian par un allié mieux connu du Kremlin. Puisque l’influence russe est si forte en Arménie, aucun homme politique ne peut se permettre d’être considéré comme anti-Kremlin. Mais il semble qu’il y ait différents degrés de loyauté.
L’opposition estime que tous les changements sont cosmétiques. D’autres insistent pour dire qu’ils sont le résultat direct de l’insurrection armée par le mouvement Sasna Tsrer. Un expert, Yervant Bozoyan, détecte la préparation de plans électoraux dans ce changement. Il écrit : « Serge Sargissian est en lice pour le poste de Premier ministre et Abrahamian aurait été un obstacle à ce poste. »
Dans son discours de démission au cours de sa dernière réunion du cabinet, Abrahamian a indiqué que son objectif était de « céder la place à un gouvernement de coalition » promis par Serge Sargissian dans le sillage de l’impasse provoquée par la prise du poste de police Erebouni, à Erévan cet été.
Il y a des pourparlers, des développements et des décisions quant à des changements plus fondamentaux pour le futur cabinet. Le président Vladimir Poutine a récemment remis au ministre des Affaires étrangères d’Arménie, Edouard Nalbandian, une médaille, ce qui reconnait sa performance. Mais, en dépit de ce signal positif, les rumeurs veulent que ce dernier soit remplacé par Viguen Sargissian, chef de la formation du président, sans aucun lien de parenté, et qui est peut-être le penseur le plus moderne de l’ensemble du gouvernement.
Nalbandian va exceller dans tous les postes qu’il servira. Les relations franco-arméniennes ont atteint leur apogée au cours de son mandat comme représentant de l’Arménie à Paris. Il semble qu’il se dirige à nouveau vers la France, afin d’y remplacer l’ambassadeur actuel, un poste crucial de la politique étrangère de l’Arménie.
Un dernier changement est la promotion du ministre de la Défense, Seyran Ohanian, qui deviendrait secrétaire général de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), l’équivalent russe de l’OTAN.
Karen Karapetian n’est pas un étranger sur la scène politique d’Arménie; il est bien connu. Durant une brève période, il a été le maire d’Erévan, avant de se déplacer vers Moscou pour y servir le premier vice-ministre de Gazprombank, lié à la principale société pétrolière et gazière de Russie.
Sous toutes ses facettes, Karapetian est le contraire d’Abrahamian. Un technocrate suave et raffiné, il est moins enclin à promouvoir l’intrigue politique intérieure; plus urbain, il penche vers un savoir-faire international.
Dans de nombreux quartiers, sa nomination est interprétée de différentes manières.
Certains pensent que comme économiste compétent, il peut mener à bien les nombreuses réformes envisagées. Il représente le grand capital d’Arménie et peut ainsi être en mesure d’attirer des investissements étrangers dans le pays.
Pour d’autres, il est tout simplement l’homme du Kremlin à Erévan, catapulté par le président Poutine pour réprimer la hausse des sentiments antirusses en Arménie. Les rumeurs suggèrent que, dans cette position, il pourra contrôler les développements politiques post-électoraux. Sous la douce puissance de l’Occident, l’Arménie peut se tourner vers l’Europe à la suite des élections législatives et présidentielles des deux années à venir, sapant ainsi la puissance de la Russie et de son influence dans le Caucase.
Un analyste, Lévon Shirinian, a écrit qu’il croyait que la nouvelle nomination tendait à servir de contrepoids à la conviction croissante en Arménie que la Russie avait provoqué l’attaque azérie sur le Karabagh en avril dernier.
« En outre, déclare Shirinian, la révolte en Arménie a démontré qu’il n’y avait pas d’accord possible quant à l’indépendance, préconisée par la Russie. Voilà pourquoi la Russie a décidé d’avoir une représentation plus puissante en la personne d’un homme d’Etat avisé qui pourrait travailler avec le Kremlin. »
Quelle qu’en soit la raison, un changement est nécessaire en Arménie, non seulement un changement de personnalité, mais également un changement de perceptions. Après la révolte, le Président Sargissian a indiqué d’une manière subtile qu’il avait entendu le message du peuple.
Trois présidents et 18 premiers ministres ne révèlent pas la stabilité. Dans la perspective des prochaines élections et l’impasse dans les négociations du Karabagh, la stabilité est nécessaire pour que le pays puisse se sortir du bourbier actuel.
Un changement de visages est le bienvenu, à condition qu’il ouvre la voie à une nouvelle phase dans la vie politique, économique et sociale de l’Arménie.

 

Traduction N.P.

Edmond Y. Azadian