Les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale ont constitué une période de décolonisation mondiale. De nombreux pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud-Est ont accédé à l’indépendance au cours de cette période. L’Empire ottoman s’est effondré au lendemain de la Première Guerre mondiale et ce n’est que grâce à l’amitié entre le dirigeant turc Mustafa Kemal Atatürk et le dirigeant russe Vladimir Lénine que l’Asie Mineure a été sauvée en tant que patrie de la République moderne de Turquie.
Durant la Seconde Guerre mondiale, la Turquie, collaboratrice tacite avec l’Allemagne nazie, a été mise à nouveau sur le billot, pour être démantelée par l’Armée rouge de Staline, lorsque le sauvetage est venu du Premier ministre britannique Winston Churchill à Fulton, Missouri, où il a livré son célèbre discours sur le rideau de fer, marquant le début de la guerre froide.
Après avoir été sauvée deux fois de la disparition, la Turquie est devenue ces dernières années une colonisatrice sans vergogne.
Dans un livre récent, « Nostalgie pour un empire : Politiques de Néo-Ottomanisme » (Nostalgia for the Empire: The Politics of Neo-Ottomanism), l’historien M. Hakan Yavuz attribue à l’ancien Premier ministre et président Turgut Özel l’initiation du néo-ottomanisme, dont le président Recep Tayyip Erdogan a suivi les pas en mettant sur pied la « Kleptocratie islamique ».
Dans une critique de livre paru dans le London Times Literary Supplement, Gerald MacLean développe le sujet en écrivant: « Yavuz montre comment la dévotion d’Erdogan envers [le sultan ottoman] Abdelhamid a été en partie inspirée par les écrits de Necip Fazil Kisakurek, un « idéologue politique islamiste fasciste » dont l’influent, Buyuk Dogu, (1943-1975) était imprégné de ressentiment à l’égard des réformes d’occidentalisation de la Turquie. Prônant une restauration des valeurs islamiques ottomanes, Necip Fazil a enseigné que « la haine… est la caractéristique déterminante du bon croyant », donnant lieu à « un activisme politique basé sur la passion ».
Il est important de reconnaître les origines de la vision du monde d’Erdogan et ce qui motive sa volonté de poursuivre un avenir néo-ottoman. Il est également intéressant de découvrir la source de son mépris pour la démocratie à l’occidentale. Ce n’est qu’alors que l’on pourra comprendre sa haine de ces valeurs et sa motivation à les détruire.
Lorsque les historiens et les analystes décrivent Erdogan comme étant sur la voie d’Hitler, ils ne le font pas pour le ridiculiser; ils soulignent simplement sa philosophie haineuse alimentée par un zèle religieux militarisé pour reconquérir les territoires perdus par l’Empire ottoman.
Les rapports et analyses émergeant au lendemain de la récente guerre de 44 jours au Karabagh révèlent que les intentions de la Turquie et de l’Azerbaïdjan ne se limitaient pas à la bande de terre qu’ils ont reconquise; leurs ambitions allaient bien au-delà, atteignant des dimensions mondiales en sculptant un empire pantouranique en Asie centrale et en engageant même les grandes puissances dans leurs plans.
Pendant une longue période, l’Arménie a vu le conflit à travers le prisme du conflit Arménie-Azerbaïdjan. Alors que les drones Bayraktar détruisaient ses systèmes de défense aérienne dans les 15 premières minutes de la guerre, nous avons réalisé l’ampleur de l’implication de l’armée turque dans la guerre. Nous pensions que l’armée arménienne faisait face aux forces combinées de la Turquie et de l’Azerbaïdjan, avec la collaboration de quelque 2 700 djihadistes mercenaires de Syrie. Nous ne savions pas qu’une puissance supplémentaire – le Pakistan, avec ses djihadistes indépendants et l’armée de l’air officielle – était pleinement engagée dans la guerre.
Nous pouvons critiquer la partie arménienne pour son manque de préparation et d’intelligence quant à la taille des forces auxquelles elle était confrontée, mais nous ne pouvons pas blâmer sa défaite contre les armées régulières combinées de trois nations, aidées par un bataillon de terroristes.
La Turquie, sous Erdogan, a légitimé l’utilisation de terroristes dans tous les conflits qu’elle a fomentés ou engagés, au vu et au su de l’ONU et de la communauté mondiale.
Le Pakistan est une plaque tournante pour les terroristes. La raison pour laquelle la guerre en Afghanistan dure depuis des décennies est que le Pakistan héberge et forme des terroristes talibans pour maintenir les forces américaines attachées dans ce pays déchiré par la guerre, tout en se faisant passer pour un allié.
Les terroristes pakistanais sont particulièrement occupés au Jammu-et-Cachemire, enclave qui oppose le Pakistan à l’Inde depuis 1947.
Tufail Ahmad a écrit le 2 mars dernier sur le site du Memri (Institut de recherche des médias du Moyen-Orient): « Les questions internationales n’ont aucune importance pour l’Azerbaïdjan, la Turquie et le Pakistan, puisque ces trois États semblent être guidés uniquement par l’Islam. Depuis la fin des années 80, l’État du Pakistan a nourri le terrorisme djihadiste au Jammu-et-Cachemire. Le refus du Pakistan de retirer ses troupes du Cachemire n’est pas seulement une transgression de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, mais le Pakistan refuse de quitter le Cachemire.
Il existe de nombreuses preuves que les djihadistes pakistanais ont pleinement participé à la guerre du Karabagh en plus de l’armée de l’air pakistanaise. Le Pakistan est l’un des rares pays au monde à ne pas avoir reconnu l’Arménie et à avoir voté systématiquement contre elle à l’ONU ainsi que dans d’autres forums internationaux. Après la guerre, Ilham Aliev a abondamment félicité le Pakistan pour son « soutien fraternel ».
Maintenant que cet axe du mal a gagné la guerre du Karabagh, il cible d’autres points chauds du monde. Tufail Ahmad écrit sur le même site qu’« après que l’armée pakistanaise a aidé l’armée azerbaïdjanaise à vaincre l’Arménie dans la guerre du Haut-Karabagh, il semble que l’Azerbaïdjan cherche un acte de réciprocité pour aider le Pakistan sur la question du Cachemire. Cette réciprocité – issue d’une alliance militaire trilatérale impliquant également la Turquie, qui a orchestré la victoire militaire de l’Azerbaïdjan – pousse maintenant ces partenaires de guerre à cibler le Cachemire comme prochain objectif militaire. »
L’implication de l’Azerbaïdjan dans le conflit au Cachemire le place directement contre l’Inde, un immense pays nucléaire, qui est également connu pour ses exportations d’armes.
Nous voyons rarement la diplomatie arménienne engagée de manière significative avec l’Inde, qui peut fournir non seulement un soutien diplomatique à Erévan, mais très probablement aussi une aide militaire et économique.
Alors que l’Arménie pleure pour sa concession forcée du passage à travers la région du Zangezour (que le dirigeant azerbaïdjanais Ilham Aliev a récemment nommé terre azerbaïdjanaise historique), il y a une célébration à ce sujet à travers le monde islamique évaluant ce corridor comme un chemin pour ses plans pantouranique mais également comme un passage pour la Turquie afin d’accéder à la mer Caspienne.
Les navires de guerre turcs défient déjà la flotte russe en mer Noire. La mer Caspienne deviendra un autre point d’achoppement entre les marines turque et russe.
La colonisation turque de l’Azerbaïdjan a transformé ce pays en une rampe de lancement pour que la Turquie étende ses forces en Asie centrale, mais Bakou deviendra en outre le bénéficiaire des exploits turcs dans d’autres parties du monde.
La Turquie et l’Azerbaïdjan continuent non seulement de bénéficier des forces djihadistes pakistanaises, mais se sont également vantés d’être devenus avec ce dernier des partenaires de la capacité nucléaire islamique.
Le Pakistan s’est avéré être un pays expansionniste, la plupart du temps dirigé par l’armée. Il n’est pas signataire du Traité de 1968 sur la non-prolifération des armes nucléaires. Par conséquent, il n’est pas légalement tenu de refuser sa technologie d’armes nucléaires à la Turquie. Le président Erdogan prétend depuis longtemps qu’une force politique responsable comme la Turquie doit avoir le droit de posséder des armes nucléaires. En tant que leadeur expansionniste, Erdogan pourrait développer son propre arsenal nucléaire, dès que la Russie aura achevé les deux centrales nucléaires qu’elle a accepté de construire en Turquie, mais les bombes toutes faites du Pakistan deviennent plus attrayantes à ce stade.
Avec la posture agressive de la Turquie au Moyen-Orient et au-delà, la configuration militaro-politique de la région va subir une transformation.
Vali Nasr, dans une argumentation publiée dans le numéro du 2 mars de Foreign Policy, a déclaré que « les prochains conflits au Moyen-Orient ne seront pas entre les États arabes et l’Iran ». Il prédit, au contraire, que la région sera partagée entre la Turquie, l’Iran et Israël. Chacun de ces pays ont des conflits avec les deux autres.
L’Iran est censé être plus amical envers l’Arménie. Mais tous les plans et promesses de coopération économique avec l’Arménie n’ont pas réussi grand-chose. De plus, le clergé iranien et l’establishment de la politique étrangère se sont mis en quatre pour féliciter l’Azerbaïdjan d’avoir « libéré » des territoires d’Arménie. Les dirigeants iraniens sont pleinement lucides et prêts à faire face aux méfaits que la Turquie et l’Azerbaïdjan complotent contre son intégrité territoriale. En outre, les dirigeants iraniens sont également pleinement conscients qu’Israël a demandé à l’Azerbaïdjan de recueillir des renseignements et, un jour, de planifier une frappe préventive de l’Azerbaïdjan sur l’Iran. Il ne semble pas facétieux de se demander si l’Arménie aurait dû imiter la politique de l’Azerbaïdjan pour mériter la même déférence. Peut-être que dans ce cas, Israël ne serait pas motivé à demander l’extension de la frontière azerbaïdjanaise si l’Arménie avait fourni les mêmes facilités.
Avec l’émergence de la Turquie en tant que puissance importante, la région deviendra plus dangereuse. La Turquie a profité des rivalités entre les forces majeures et mineures pour promouvoir son propre programme. Ankara est à un point de non-retour si elle n’est pas bloquée maintenant.
Malheureusement, dans ce scénario, la guerre du Karabagh n’est peut-être pas la dernière tragédie pour l’Arménie. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.