Une étincelle de lumière au sein d’une sombre commémoration

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 7 septembre 2022

La proclamation du 31e anniversaire de l’indépendance du Karabagh a pris une tournure ironique. Dans des circonstances normales, cette occasion aurait dû être un moment de fête et la perspective d’une vie future prometteuse. Mais au lieu de cela, tous les quartiers officiels ont été remplis de tristesse et de malheur à l’ombre de la défaite après une guerre de 44 jours.

Le Karabagh a organisé ses propres événements marquant cet anniversaire historique, sans aucune représentation de haut niveau venue d’Arménie. Des discours sombres ont été prononcés à cette occasion par Arayik Haroutiounian, président du Karabagh, et des déclarations lues par le président arménien Vahagn Khatchatrian et le Premier ministre Nikol Pachinian. Aucun d’entre eux n’a émis un ton positif ou un résultat prometteur. Arayik Haroutiounian a évoqué la destruction à la suite de la guerre de 44 jours. Le président arménien a évoqué les « questions liées à la menace d’une nouvelle guerre, au statut de l’Artsakh ainsi qu’aux questions de nature humanitaire qui [sont] les priorités permanentes de l’agenda de l’Arménie et de l’Artsakh ».

Pachinian lui-même a lancé un appel à « la communauté internationale [qui] est obligée de faire des efforts pour résoudre les problèmes humanitaires causés par la guerre de 44 jours et pour empêcher la mise en œuvre de la politique de nettoyage ethnique au Karabagh ».

La seule personne qui s’est prononcée contre les déclarations du dirigeant azerbaïdjanais Ilham Aliev selon lesquelles la question du Karabagh a été résolue par la guerre est le président du Parlement arménien, Alen Simonian, qui a déclaré : « La question du statut du Karabagh est en cours de discussion sur des plateformes internes et externes. Il relève du mandat des coprésidents du groupe de Minsk de l’OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe] ; toutes les autres discussions n’ont rien à voir avec la réalité. »

De nombreuses personnes interrogées participant à l’événement commémoratif à Stepanakert ont exprimé leur appréhension quant à un éventuel nettoyage ethnique dans le moule de l’évacuation des trois villes du Karabagh le 25 août, à savoir Berdzor, Aghavno et Sus. Mais ils ont également fait preuve de résilience et ont exprimé leur détermination à rester « sur le territoire de nos ancêtres ».

Une fois de plus, des discussions tumultueuses ont eu lieu dans les médias arméniens revenant sur l’histoire et les développements juridiques de la question du Karabagh. Il y a eu une abondance de critiques et d’accusations contre les négociateurs des 31 dernières années. Des questions ont été soulevées quant à savoir si le Karabagh aurait dû s’unir à l’Arménie ou déclarer son indépendance, et pourquoi l’Arménie n’a pas reconnu l’indépendance du Karabagh et en a ainsi fait un paria international.

De nombreux commentateurs avisés ont réalisé que la puissance combinée de la machine de propagande turco-azerbaïdjanaise a écrasé la réalité et poussé le faux récit du Karabagh dans le cadre de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, au mépris des faits historiques et juridiques.

Des comparaisons ont été faites entre le Karabagh, le Timor oriental, le Kosovo et le Soudan du Sud, où l’indépendance ou l’autodétermination ont été accordées sur la base d’une cessation corrective, ce qui a été refusée au peuple du Karabagh.

Au cours des 31 dernières années, il n’y a pas eu un moment de calme et de stabilité pour que les dirigeants tracent un avenir raisonnable pour les deux entités et la situation actuelle est plus confuse que jamais. Alors que les touristes et les émigrés russes inondent Erévan, les citoyens arméniens pansent leurs plaies et se demandent d’où viendra leur prochain repas ou envisagent de quitter le pays.

Afin de maintenir l’anxiété des citoyens à son plus haut niveau, l’armée azerbaïdjanaise a créé des incidents frontaliers quotidiens et en accuse la partie arménienne, tandis que son gouvernement fait pression sur l’Arménie pour qu’elle signe un traité de paix sous la contrainte, de peur que la situation politique ne change avec l’issue imprévue de la guerre de la Russie en Ukraine.

Au milieu de cette tourmente, une nouvelle voix a émergé, celle de Ruben Vardanian, un bienfaiteur milliardaire qui a avancé de nombreuses idées et projets sur l’avenir de l’Arménie. Pourtant, il a toujours été considéré, par beaucoup, avec suspicion. Il est accusé d’avoir des ambitions politiques en Arménie et son nom a été mentionné récemment en relation avec le nouveau parti politique Aprelu Yerkir (Pays de vie), bien qu’il nie être membre de ce parti ou de tout autre.

Cette fois-ci, il a pris la décision dramatique de renoncer à sa citoyenneté russe, de remettre son milliard de dollars d’actifs aux membres de sa famille et de déménager au Karabagh. Il admet les risques liés à ce déménagement, mais maintient « C’était la bonne décision. »

Ce que Vardanian prévoit pour le Karabagh est une énigme, mais les spéculations abondent.

Peu de commentateurs croient sur parole qu’il ait déménagé au Karabagh pour utiliser ses ressources et lever des fonds à l’échelle internationale pour aider le peuple du Karabagh. Au lieu de cela, l’opinion la plus répandue est qu’il suit la voie politique de Serge Sargissian et de Robert Kotcharian, qui ont utilisé le Karabagh comme tremplin pour une carrière politique en Arménie. Maintenant que le Karabagh est assiégé et que son avenir est incertain, on peut se demander si le même scénario peut encore être viable.

Certains autres commentateurs pensent que Vardanian avait fait un pas astucieux en renonçant à sa citoyenneté russe pour éviter les sanctions américaines. Bien qu’à l’heure actuelle il n’y ait pas de sanctions contre lui, son nom est revenu dans de nombreuses discussions politiques devant le Congrès américain. De plus, en mars 2019, le projet de signalement du crime organisé et de la corruption et ses partenaires ont découvert un réseau de blanchiment d’argent de plusieurs milliards de dollars qui aurait opéré par l’intermédiaire de la banque de Vardanian.

En tout cas, beaucoup de gens, dont cet écrivain, pensent qu’il a peut-être déjà conclu un accord avec le président Vladimir Poutine, ce qui explique pourquoi il est suffisamment confiant pour prendre cette initiative audacieuse.

La presse arménienne affirme que Vardanian préconise que l’Arménie rejoigne l’État d’union proposé par la Russie et obtienne un statut similaire à celui du Tatarstan. Cependant, dans un entretien, avec Michael Melkonian, il a déclaré que l’Arménie devrait penser stratégiquement et si ce scénario était inévitable, travailler pour parvenir au meilleur accord possible. Comme le pays dans son ensemble s’oriente régulièrement vers l’Occident, cette perspective semble moins probable. Mais dans le contexte de la scène politique caucasienne complexe, tout peut arriver.

Les Arméniens n’hésitent pas à décrier leurs bienfaiteurs. Nous devons attendre et voir si Vardanian tient ses engagements bienveillants avant de remettre en question ses motivations ou de critiquer ses plans.

Avant Vardanian, il y avait le précédent de Levon Hairapetian, ce milliardaire du Karabagh qui avait bâti sa fortune en Russie et est retourné dans son pays natal pour aider ses compatriotes. L’un de ses projets était de financer le mariage de milliers de jeunes couples du Karabagh et de garantir l’éducation future de leur progéniture. C’était la décision la plus directe d’aider la politique future du Karabagh, car les statistiques démographiques étaient l’un des éléments politiques des négociations. Les plans de Hairapetian auraient dû être promulgués par le gouvernement, qui, cependant, manquait de ressources pour cela, sinon de vision.

Ce qui est arrivé à Hairapetian et ses plans a été tragique. Les cercles du pouvoir azerbaïdjanais à Moscou ont sali sa réputation, ruiné ses plans et l’ont conduit à une mort prématurée dans une prison russe. Le gouvernement arménien, alors dirigé par Serge Sargissian, a gardé un silence cynique et lâche, refusant de faire un pas pour son sauvetage.

Certes, Hairapetian était téméraire et mal avisé politiquement et est donc tombé dans un piège, perdant sa fortune et sa vie. Vardanian, au contraire, est un opérateur astucieux qui a certainement beaucoup appris des erreurs de son prédécesseur pour éviter de tels écueils.

Si nous prenons Vardanian au mot, il pourrait devenir une force dirigeante précieuse au Karabagh et en Arménie, et certainement dans la diaspora, où il a des relations très importantes.

L’Arménie et le Karabagh sont désespérés et ils doivent profiter de toute la lumière qui brille sur leur chemin. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.