Une justice différée

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 20 avril 2017

Un pouvoir judiciaire indépendant est parfois une contradiction, en particulier dans les relations internationales. La plupart du temps, la politique détermine l’issue de tout litige. Le droit international est un soulier qui chausse aux pieds des plus puissants et des plus musclés.
Un pays appelé Turquie, ou Turquie ottomane, se débarrasse d’un groupe ethnique autochtone, assassine les deux tiers de cette nation, reprend leur patrie et déporte les survivants, pourtant, un siècle plus tard, demeure un membre respectable du monde civilisé tandis que les victimes et leurs survivants n’ont aucun recours légal contre leurs meurtriers. Toutes les avenues légales de droit international ne mènent nulle part.
L’opportunité politique défie la logique et remplace les vérités historiques.
Beaucoup de problèmes d’aujourd’hui sont résolus de cette manière, la décision étant de favoriser les intérêts des plus puissants. La Yougoslavie s’est désagrégée lorsque les failles historiques des Balkans ont été exploitées, ainsi, un barrage de bombes a donné naissance au Kosovo, dont les dirigeants sont derrière certaine des terreurs qui frappent actuellement l’Europe. Ce petit état, sans précédent historique, contrairement aux autres pays issus de l’ex-Yougoslavie, qui ne peut se tenir debout sans les béquilles de l’OTAN, est derrière une grande partie de la terreur extrémiste islamique de l’Europe.
Lorsqu’elle devient une réalité politique, elle génère uniquement le désespoir des nations qui recherchent la justice.
L’Azerbaïdjan également, à travers ses puissants amis des Nations Unies, transforme un mensonge historique en une réalité politique, y compris le massacre de Khojali, le découpage du Nakhitchevan, et l’annexion de l’enclave autonome du Haut-Karabagh à son propre territoire, mettant en cause un dilemme de l’intégrité territoriale par rapport à l’autodétermination de la population autochtone. Le groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et même les amis de l’Arménie, à savoir la Russie et l’Iran, souscrivent à cette non-vérité politique, qui est devenue la base de tout règlement futur du conflit du Karabagh. La position de l’Arménie selon laquelle le Karabagh n’a jamais été partie intégrante de l’Azerbaïdjan historique, et que le peuple du Karabagh a été séquestré par un contrôle azerbaidjanais à travers les droits consacrés dans la constitution de l’Union soviétique ne tient plus la route.
Chaque année, en avril, les Arméniens commencent à compter le nombre de nations qui ont reconnu le génocide arménien, et se demandent si le président américain utilisera ou non le terme « génocide » dans son discours destinés aux arméno-américains. Nous jouons à ce jeu depuis des décennies et nous continuerons d’en être captifs durant le prochain siècle.
Les Turcs blâment les Arméniens disant qu’ils poursuivent la promotion de la question du génocide comme seul objectif définissant leur identité, une affirmation qui est vraie et qui restera vraie jusqu’à la fin, mais ce n’est pas le seul lien unissant les Arméniens.
Lorsqu’il y a une blessure dans un organisme vivant, toutes les cellules saines envahissent cette blessure pour la guérir. Cette vérité scientifique doit aussi avoir un sens en sciences sociales.
Le génocide arménien, dont ce 24 avril marque le 102e anniversaire, a été une calamité aux proportions gigantesques ; Ce génocide a effectivement détruit une nation et a laissé des survivants loin de leur histoire et de leur identité, recherchant une place au sein des nations civilisées. Mais l’opportunité politique joue toujours en faveur de la Turquie et entrave doublement notre lutte : la reconnaissance du génocide et la négation du déni.

Avec l’aide des principales forces mondiales, la Turquie est devenue une puissance régionale, bénéficiant d’énormes ressources mis à sa disposition. Elle défie l’Est et l’occident, tout en menant une guerre domestique génocidaire contre sa minorité kurde. Elle lutte également contre les Arméniens et la reconnaissance du génocide, en essayant de prévenir l’impact de certaines des mesures menées par les Arméniens à l’échelle internationale.
Prévoyant pleinement le tsunami dans les médias d’information en 2015, le gouvernement turc a organisé la célébration de la campagne de Gallipoli afin de détourner l’effet des commémorations du centenaire du génocide, qui ont attiré quatre présidents et 50 délégations politiques à Erévan, cette année-là.
Après avoir combattu avec succès la réalisation du film « Les quarante jours de Musa Dagh » dans les années 1930, la Turquie a voulu plutôt financé la sortie d’un film intitulé « Le lieutenant Ottoman » pour promouvoir son message déformé du génocide arménien. Le producteur principal du film, Stephen Joël Brown, dans le quotidien Hurriyet, a déclaré : « En tant que souffrance commune objective et respectueuse des Turcs et des Arméniens, nous voulions montrer au public ce qui s’est passé durant la Première Guerre mondiale en Anatolie orientale, un sujet jamais traité à ce jour. »
C’est le paradigme politique exact que le Président Recep Tayyip Erdogan et l’ancien Premier ministre Ahmet Davutoglu préconisent ces dernières années : la douleur commune ; On ne sait pas qui a causé la douleur, et qui a le plus souffert, etc.
Il semble que ce film de propagande dans lequel le fils d’Erdogan, Bilal était impliqué, n’a pas atteint son objectif.
Un article cinglant dans The Daily Beast de cette semaine et intitulé « L’épopée négative du génocide arménien à Hollywood, » signé Michael Daly, met en pièces « Le lieutenant ottoman ».
Selon l’article, « Ben Kingsley, Josh Hartnett et Hera Hilmar n’auraient sûrement pas voulu participer au tournage du « Lieutenant ottoman » s’ils pensaient qu’ils faisaient partis de la négation du génocide. »
Le scénariste, Jeff Stockwell, semble également avoir été dupé par cette propagande.
Les Turcs impliqués dans la production du film ont évité les questions, mais M. Daly a pu interroger Jeff Stockwell, qui, selon lui, est une personne convenable. Dans son entretien, Stockwell a confessé que « La sortie du film « La promesse » en voulant minimiser son impact ne m’a jamais été mentionnée. J’ai lu les commentaires récents selon lesquels le projet a été généré de manière à battre « La promesse » à l’écran – mais je ne sais pas pourquoi, si tel était le cas, ils ne m’ont rien dit. Les producteurs utilisent généralement des informations sur les projets « en compétition » afin de travailler plus rapidement ».  Edmond Y. Azadian

Traduction N.P.