La diaspora arménienne est une force née de la tragédie. Elle a suivi sa propre voie, et peut-être accessoirement, elle est devenue une force politique avec laquelle il faut compter. Les Arméniens de la diaspora ne reconnaissent parfois pas l’influence qu’ils exercent sur les politiques concernant l’Arménie. Mais les ennemis de cette dernière, les gouvernements turc et azerbaïdjanais, réalisent son potentiel et s’arment pour contrecarrer les conséquences négatives anticipées pour eux-mêmes.
Dans une récente déclaration, Ibrahim Kalin, porte-parole du président Recep Tayyip Erdogan ainsi que conseiller en politique étrangère, a commenté la nécessité pour l’Arménie et l’Azerbaïdjan de signer un traité de paix – un traité de paix plein de dangers potentiels pour l’Arménie. Tout en faisant ce commentaire, il a déclaré que le gouvernement arménien avait envoyé des signaux positifs. Mais, a-t-il ajouté, les Arméniens de la diaspora devraient également s’aligner et comprendre les avantages d’un tel traité pour toute la région. « Nous savons pertinemment que les Arméniens ont de grandes communautés aux États-Unis et en France », a-t-il déclaré.
C’était un aveu par inadvertance reconnaissant le pouvoir que ces communautés peuvent exercer. Les autorités turques se sont toujours plaintes des activités politiques des Arméniens de la diaspora luttant pour la reconnaissance du génocide arménien. Cela s’est avéré être un obstacle à la politique étrangère de la Turquie dans sa volonté d’adhérer à l’Union européenne, et se poursuivra tant que la Turquie visera son adhésion au Conseil de sécurité des Nations unies.
Actuellement, l’Arménie et la Turquie mènent des négociations pour lever le blocus contre la première et établir des relations diplomatiques, soi-disant sans conditions préalables. Cependant, au cours de ces négociations, Ankara a commencé à insérer une condition préalable, des progrès dans l’accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. En outre, il existe des conditions préalables tacites, en particulier les attentes de la Turquie pour que l’Arménie renonce à sa demande de reconnaissance du génocide.
L’administration du Premier ministre Nikol Pachinian a compris cette attente et signale déjà à Ankara que la question du génocide a été sous-traitée par les Arméniens de la diaspora. Cette position ne sauvera pas la peau du gouvernement Pachinian, puisque la Turquie veut faire taire la diaspora.
La Turquie et l’Azerbaïdjan ont alloué une quantité substantielle de ressources afin de combattre discrètement l’activisme arménien de la diaspora.
Tout cela indique que la diaspora a un rôle à jouer. Elle devrait prendre conscience de la valeur de ce pouvoir et en faire bon usage.
Il y a toujours eu des circonstances pour les Arméniens de la diaspora de procéder. Ironiquement, la diaspora a agi, parfois, contre ses propres intérêts. Par exemple, certains segments de la communauté, qui ont des adhérents politiques en Arménie, ont exporté les conflits locaux et la polarisation vers la diaspora, protestant contre les visites à l’étranger de responsables arméniens au point de lapider le cortège du Premier ministre dans les capitales étrangères, tout en accordant une liberté de passage au ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Çavusoglu, dont les visites à l’étranger sont restées incontestées.
Pourtant, le vent a actuellement tourné en faveur de l’Arménie, de sorte qu’il nous incombe d’être attentifs aux nouvelles occasions.
Pendant la guerre de 44 jours de 2020, la passivité et le silence démesurés de la communauté internationale n’étaient pas seulement dus à la politique étrangère nonchalante du président Donald Trump, mais aussi au fait que l’Azerbaïdjan avait exercé un lobbying intense, faisant valoir sa position de politique étrangère selon laquelle il n’agissait pas de manière belliqueuse, mais luttait plutôt pour récupérer son territoire historique « usurpé » par l’Arménie.
Les ressources combinées de la diaspora et de l’Arménie ne pouvaient jamais égaler celles de l’Azerbaïdjan. En 2018, 13 membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) ont été expulsés de l’organisation pour avoir accepté des cadeaux et des pots-de-vin de l’Azerbaïdjan. Le projet de rapport sur le crime organisé et la corruption a révélé qu’entre 2012 et 2014, l’Azerbaïdjan avait blanchi 2,9 milliards de dollars pour payer les politiciens de l’Union européenne (UE). Bien sûr, nous savons tous qu’Aliev, en investissant 3 milliards de dollars en Hongrie, a convaincu le Premier ministre Victor Orban de libérer l’officier azerbaïdjanais Ramil Safarov qui a assassiné, en 2004, le lieutenant Gourgen Margarian d’Arménie avec une hache, lors d’un programme d’entraînement de l’OTAN.
Tout cela ne représente que la pointe de l’iceberg des activités illicites de l’Azerbaïdjan, pour acheter l’acceptation dans les cercles politiques.
Il y a quelques bonnes nouvelles. Les récentes agressions contre l’Arménie et les occupations territoriales ne sont plus perçues avec la même tolérance et l’Azerbaïdjan est progressivement stigmatisé comme le paria qu’il est, en lieu et place de la fausse image de démocratie européenne tolérante qu’il tente de projeter.
Il est donc temps pour les militants arméniens de contre-attaquer, notamment avec les forces politiques que nous pouvons galvaniser dans la diaspora. Les opportunités sont là, attendant d’être exploitées.
Le premier scénario se développe en Espagne, où la chambre basse du parlement a rejeté cette semaine un accord avec l’Azerbaïdjan. En effet, un accord avait été signé en 2021 entre l’Espagne et l’Azerbaïdjan pour échanger des informations confidentielles. Mais la chambre basse a voté contre cet accord par 174 voix contre 132, en signe de protestation contre l’agression de l’Azerbaïdjan contre l’Arménie. Le député Jon Iñárritu a rejeté cet accord comme une « absurdité », lorsque l’agresseur azerbaïdjanais a mené une attaque contre l’Arménie en septembre, occupant plusieurs kilomètres carrés du territoire de l’Arménie. Marta Rosique, une autre députée, a blâmé le gouvernement espagnol pour son silence face aux atrocités de l’Azerbaïdjan en Arménie et au Karabagh, se demandant, en outre, pourquoi l’Espagne n’a pas encore reconnu le génocide arménien.
Le Sénat français a exprimé une posture plus affirmée. En effet, un projet de motion a été déposé au Sénat français, appelant à imposer des sanctions contre l’Azerbaïdjan, demandant à Bakou de se retirer immédiatement de l’Arménie, et appelant également à l’application de l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020 pour établir une « paix durable » entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Le Royaume-Uni est la partie la plus récalcitrante sur la question du génocide, à l’exception des discours périodiques de la baronne Carolyn Cox à la Chambre des lords, qui portent principalement sur le Karabagh, ne faisant référence qu’indirectement au génocide. Mais récemment, un projet de loi sur la reconnaissance du génocide a été parrainé par Lord David Alton. Une deuxième lecture a été donnée à la Chambre des lords et elle a été renvoyée à un comité pour un examen plus approfondi. Lord Ara Darzi, le seul membre de la Chambre des Lords d’origine arménienne, a prononcé un discours émouvant en faveur du projet de loi.
Ces actions et d’autres qui se déroulent dans les cercles politiques européens et internationaux méritent notre attention et notre soutien. Plutôt que de harceler les responsables du gouvernement arménien lors de leurs visites, les Arméniens de la diaspora doivent se rallier à ces développements. La présence arménienne a été rare en Espagne. Ce n’est que récemment que quelque 30 000 Arméniens, pour la plupart originaires d’Arménie, s’y sont installés. Si les dirigeants de la communauté là-bas peuvent politiser les masses, ils peuvent officiellement exprimer leur gratitude envers le gouvernement espagnol et organiser des rassemblements de soutien envers les législateurs qui ont été le fer de lance du vote en faveur de l’Arménie.
La communauté franco-arménienne est plus active politiquement. Ses membres feront certainement entendre leur voix aux échelons supérieurs du gouvernement.
Le défi demeure d’organiser un mouvement à l’échelle de la diaspora et de se diriger vers toutes les ambassades espagnoles et françaises avec des rassemblements pour exprimer notre appréciation.
En attendant, nous devons être à l’affût d’autres possibilités, éduquer nos différentes communautés et les motiver politiquement.
Les Arméniens ont l’habitude de soutenir financièrement l’Arménie pour apaiser leur conscience. Mais la plupart du temps, l’activisme politique peut donner de bien meilleurs résultats. Dans l’état actuel de la mondialisation, motiver les masses est relativement facile, mais seulement si nous pouvons générer une direction politique dont les membres peuvent guider les mouvements et envoyer des messages aux sphères du pouvoir à travers le monde.
Malgré son activisme limité, la diaspora a démontré qu’elle avait retenu l’attention des autorités turques et azerbaïdjanaises. Cela justifie de nouvelles actions et de plus grands efforts coordonnés pour promouvoir les questions arméniennes historiques et actuelles.
Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.